Les marchés de Breith. A Unys aussi, ces assemblages hétéroclites de maisonnettes en bois et de tentes fleurissent partout à l'approche des fêtes de fin d'année. On y trouve toutes sortes de babioles pour les touristes : des portes-clés à l'effigie de divers pokémon, des écharpes aux couleurs criardes et même les minuscules sculptures en verre soufflé qu'Eva collectionnait quand nous étions plus jeune. Petite, je me rappelle avoir passé une longue semaine à jouer entre les différents stand, alors que notre cirque s'était installé à Flocombe pour profiter de l'effervescence et du public qu'offrait l’événement.

L'atmosphère qui règne aujourd’hui sur la place du Capitole de Bronswick n'est guère différente de mes souvenirs. Elle semble juste un peu plus... électrique. Sans doute est-ce dû à la foule déchaînée qui se presse autour de moi. Des visages inconnus à perte de vue, des cris de vendeurs et de pokémon de tous côté, et des odeurs de nourritures tour à tour alléchantes ou écœurantes. Me glisser entre les passants s'avère être un combat de chaque instant : avec ma grande taille, je tiens plus de l'ours que de l'anguille. Au moins les regards se posent-ils moins sur moi que d'habitude : la foule à ce pouvoir de rendre chacun anonyme. Perchée sur mon épaule, Sarah s'étire et se tourne dans tous les sens, surexcitée et incapable de choisir ou regarder. Je la comprends : le marché s'étend sur l'entièreté de la place du Capitole, un dédale de ruelle étroite et de stand tous plus attirants les uns que les autres, dont je mettrais sans doute un certain temps à m'extraire. Mais je n'en ai pas vraiment envie pour l'instant. J'apprécie cette ambiance bouillonnante, qui me rappelle les jours de fête à Méanville ou à Volucité. A Keros bien sûr, tout cela reste plus sage, plus... convenable. Mais le mélange d'excitation et d'impatience qui m'étreint comme chaque 24 décembre est bien le même.

Je n'avais pourtant pas prévu de me retrouver ici en ce début d'après-midi. En fait, je n'aurais même pas dû en avoir l'occasion : le Cabaret prépare un show spécial pour célébrer Breith, et je pensais qu'une paire de bras supplémentaire n'aurait pas été de trop pour installer les décorations en salle. Mais quand j'étais arrivée ce matin, l'équipe était déjà débordée face à toutes sortes de problèmes logistiques absolument insolubles à mon échelle : le traiteur annonçait un retard de livraison et deux danseuse s'était faite portée malade. Des difficultés auxquelles je n'avais jamais été confrontée en bossant dans un cirque. Je m'étais rapidement trouvée désœuvrée après avoir installé les nappes et les dessous de verres bleu et argent, et, pendant la pause de midi, Ingrid avait eu la brillante idée de m'envoyer faire des emplettes pour ceux qui ne pourraient pas aller au marché. Je la soupçonnais d'avoir tout simplement trouver un prétexte pour que j'arrête de traîner dans ses pattes, mais quelque part, j'étais contente de sortir m'aérer l'esprit. J'avais laissé Echo au calme dans sa pokéball pour qu'il se repose avant la représentation de ce soir, lui épargnant l'agitation de la foule, qu'il n'apprécie de toute façon pas beaucoup. Et puis il fallait que je passe un peu de temps avec Sarah, que j'avais l'impression de négliger.

Me voilà donc au milieu du marché, avec dans la main droite la liste des articles que je dois dénicher. J'entreprends de longer les différents stand, en m'arrêtant de temps à autres lorsque je repère un article intéressant : je trouve l'écharpe pour Laeticia, la boîte de sablés pour Vincent et quelques autres petites choses que je paie avec les billets que m'a donnée Ingrid en guise d'avance. La chanteuse m'a prise sous son aile depuis mon arrivée à Keros, mettant un poing d'honneur à s'occuper de mon intégration au sein du Cabaret. Elle aussi expatriée de Kalos il y a vingt ans, je dois la renvoyer à sa propre jeunesse...
Alors que je règle le dernier article de ma liste, Sarah s'agite puis quitte brusquement mon épaule pour se perdre entre les badauds. Je chuchote un juron que ma mère n'aurait sûrement pas aimer entendre, avant de la poursuivre, encombrée de mon sac désormais bien plus lourd qu'à l'aller. Je ne sais pas d'où lui vient cette manie de me fausser compagnie d'un seul coup, mais elle commence vraiment à m'insupporter !

Je finis par apercevoir sa fourrure rose de loin. Elle s'est accrochée à la devanture d'un stand plus grand que les autres, surmonté d'une énorme banderole rouge et blanche indiquant « B 129 » en lettre capitale. La petite Capumain semble extrêmement intéressée par ce qu'il se trouve à l’intérieur, si bien qu'elle ne se retourne même pas quand je la rejoint, particulièrement remontée et prête à lui faire passer l'envie de me fausser compagnie une seconde fois. Mais la stupeur supplante ma colère lorsque je vois ce qui l'a attiré jusqu'ici. Dans un petit enclos ce bousculent plusieurs pokémon aux couleurs étranges, qu'un marchand distribue à un petit attroupement. Pas de doutes, ce sont les fameux Pokémon Immaculés dont toute la ville fait gorge chaude depuis quelques semaines. Je n'ai pas le temps de me pencher pour mieux voir qu'un vendeur taillé comme une armoire s'approche de nous.

« - Vous avez un ticket, madame ?
- Oh, pas du tout, je venais chercher ma...
- Alors je vais vous demander de vous écartez pour laisser la place aux honnêtes gens. »

Sarah et moi sommes repoussé des barrières sans plus de cérémonies, tandis que de nouveaux passants viennent s'agglutiner devant nous. Je prend vite mes distances, en serrant peut-être un peu trop fort Sarah, qui se débat entre mes bras. La colère me fait suffoquer. Quel connard ! Ainsi je ne suis pas assez « honnête » pour lui ? Sur quels critères ? Je parie qu'il m'a placé dans la case voleuse ou mendiante à la simple vue de ma peau. Les gens d'ici ne peuvent-ils donc pas se comporter avec un minimum de décence, même le jour de Breith ? Privée d'interlocuteur, ma rage finie par trouver un exutoire en la personne de Sarah, que je lâche sur le sol.

« Et toi, tu étais vraiment obligée de filer ? J'ai encore dû te courir après ! »

La Capumain, désarçonnée par ma soudaine agressivité et elle aussi passablement énervée, s'éloigne de quelques mètres en sautillant et me tourne le dos, me faisant ouvertement la gueule. Il faut quelques minutes pour que ma colère retombe, le temps pour moi d'imaginer des dizaines de vengeances toutes plus violentes les unes que les autres contre ce type, puis de jeter un coup d’œil à ma liste pour vérifier qu'il ne me manque rien. Après ce qui vient d'arriver, le sentiment d'euphorie qui m'accompagnait jusque là semble avoir définitivement disparu, et je n'ai plus aucune envie de m'attarder. En voyant Sarah toujours ostensiblement tournée, la culpabilité m'étreint. J'ai été injuste : ce n'est clairement pas sa faute si les kerosiens sont désagréables. Je m'approche doucement et m'accroupis à côté d'elle, donnant à voir un tableau particulièrement étrange.

« Pardon, je sais bien que tu n'y es pour rien. Mais il ne faut plus que tu partes comme ça, j'ai tout le temps peur de te perdre... »

J'ai de la chance, Sarah n'est pas rancunière. Elle accepte mes excuses et frotte sa tête contre la mienne pour me rendre la pareille, avant de se hisser sur mes épaules à la force de sa queue. Je me redresse, et l'odeur de nourriture qui flotte autour de nous fait soudain grogner mon estomac.

« On va se trouver de jolies brochettes de baies flambées, tu vas voir... »

Les odeurs de nourriture qui flottent dans l'air me mettent de plus en plus l'eau à la bouche. Après une heure à courir de stand en stand pour remplir ma liste de course, mon estomac laisse entendre des grondements qui amusent beaucoup Sarah : elle colle son oreille sur ma poitrine pour faire mine de les entendre. Je rie à ses pitreries pour lui faire plaisir et me faire pardonner par la même occasion. Et tant pis si nous récoltons de drôle de regards : ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude.

Comme promis, nous nous arrêtons devant un stand de brochettes, où je cède aux caprices de la Capumain et prends en deux exemplaires chaque assortiments qu'elle me désigne. Après tout, je recevrais bientôt ma première paye... et puis c'est Breith ! S'il y a un jour où nous avons le droit de nous faire plaisir, c'est bien aujourd'hui !
Plus pernicieusement, je me sens encore terriblement coupable de lui avoir crier dessus. Alors que nos relations s'améliorent peu à peu et que je vois combien elle fait des efforts pour rester concentrée pendant nos répétitions, je gâche tout en lui déversant ma colère dessus sans raisons valables. Ce n'est pas comme ça que nous arriverons à nous accorder sur scène ! Au lieu de toujours lui demander de se calmer, je devrais faire d'avantage d'efforts pour la supporter et accepter son énergie éclatante. A y réfléchir, nous nous ressemblons beaucoup l'une l'autre, et là où Echo est rassurant et relaxant, elle est, comme moi, incapable de rester immobile plus d'une ou deux minutes. Je suis même persuadée que c'est à cause de cela et pour m'éviter d'insupporter nos collègues qu'Ingrid m'a envoyé faire les courses. Je lui dois une fière chandelle... et même plus : elle m'a sauvée la mise à de nombreuses reprises, et est sans doute une des artistes du Cabaret dont je me sens la plus proche. Je devrais lui prendre un petit quelque chose en plus, avant de partir, pour la remercier...

Je règle le vendeur, qui, goguenard, nous regarde peiner à porter l'ensemble, même avec la main supplémentaire qu'offre Sarah. Les brochettes sont composées de divers assortiments de baies recouvertes de sucre caramélisé, qui les rendent tout à la fois croquantes et savoureuses. La Capumain en engouffre deux en quelques minutes, avant que je lui conseille de ralentir la cadence pour ne pas tomber malade. Quand à moi, je m'arrête quelque fois devant certains étalages, en cherchant LE cadeau qui plairait à Ingrid.

Alors que je me penche pour regarder des pendentif sculptés d'un peu plus près, un violent coup me frappe dans le dos, faisant sursauter Sarah et m'arrachant un cri de surprise. Je ne suis pas au bout de mes surprises, puisque lorsque je me redresse, le poids remonte pour venir alourdir mon épaule inoccupée et se plaquer contre mon cou en ronronnant exagérément, sous les piaillement de plus en plus mécontents de Sarah.

« Mais qu'est-ce que... »

Je passe prudemment les brochettes qu'il me reste à Sarah avant de déloger de mon cou la boule de poil qui semble l'avoir pris pour son lit... et me retrouve avec une Fouinette lovée entre les bras. Le pokémon à l'air absolument ravi de se retrouver là, se plaquant toujours plus contre ma poitrine, en réclamant des caresses que je ne lui procure pas, trop occupée à chercher autour de moi le dresseur affolé à qui elle doit bien appartenir. Les pokémon sauvage sont rarement si câlin, et ne s’aventure jamais dans une foule aussi dense... La petite chose à donc forcément un propriétaire. Mais personne ne semble chercher un pokémon perdu. Je reporte mon attention sur l'animal, qui rivalise de petits cris pour attirer mon attention.

« Tu es perdu ? Où est ton maître ? »

Succède à mes paroles un court silence, pendant lequel je vois le petit visage de la Fouinette passer rapidement de la réflexion à la décomposition : elle se mets à chouiner, puis finalement à pleurer à grosses larmes en se serrant contre mon t-shirt. Déconcertée, j'essaye de lui remonter le moral du mieux que je peux, pendant que Sarah, manifestement jalouse, tourne ostensiblement le dos à la petite créature en finissant une brochette à grands coups de dents rageurs.

« Mais non, il ne faut pas pleurer, on va le retrouver, tu vas voir... »

Je propose à la Fouinette une baie caramélisé, sur laquelle elle se précipite, oubliant bien vite son chagrin. J'observe une nouvelle fois la foule, découragée. Me voilà dans de beaux draps : comment réussir à retrouver le dresseur de cette petite parmi tous ce monde ?