Madame Nightingale a manqué de s'étouffet en entendant le discours de Ilya Rusalka. Alors que la moitié des orphelins a crié de joie, comme si aujourd'hui était une victoire. Mais une victoire de quoi ? Elle a mis du temps à comprendre, surtout parce que les histoires de la noblesse lui échappent. Maintenant Hitomi sait pourquoi la plupart de ses camarades ont été ravis de cette annonce, et elle ne peut que l'être aussi. C'est rare de nos jours que quelqu'un ose s'affirmer homosexuel, encore plus de façon publique de cette façon. Jamais la jeune fille n'oserait en tout cas, pour l'instant il n'y a que Hoshi qui partage son secret. Parce que toutes les deux ont le même après tout, elles se comprennent mieux que personne.

Apparemment ça n'a pas surpris le couple dirigeant l'orphelinat de voir le jeune Rusalka arriver. Au contraire, on aurait dit qu'ils l'attendaient. Comme si c'était son nouveau foyer. Avec le reste des enfants la blonde l'a observé de loin, poussée par la curiosité. Monsieur Braveheart leur a ensuite dit de filer s'occuper de leurs affaires au lieu de se mêler de ce qui ne les regard pas. Tout le monde s'est aussitôt dispersé, soit pour retourner dans sa chambre, soit dans une autre pièce. Hitomi fait partie de ceux étant retournés dans leur chambre, mais pas pour longtemps. Elle est peut-être trop curieuse, mais elle a envie de parler à ce nouveau venu.

Il a une famille, alors pourquoi est-il ici ? Il a une sœur, de ça elle est certaine. Et il est adulte. Elle ne comprend pas ce qui a poussé le jeune homme à venir à l'orphelinat. Enfin, ça ne la regarde pas, mais...

Hoshi dans les bras, la blonde vient timidement toquer à la porte, osant à peine passer la tête à l'intérieur en entendant une réponse.

-Bo-Bonjour ! Je m'appelle Hi-Hitomi ! Je v-voulais voir si tu é-étais bien i-installé...

Une part de vérité là-dedans. Comme tous ses autres camarades, elle veut qu'il se sente chez lui ici.

Ce n'est pas de la méchanceté mais de la curiosité qui l'amène. Peut-être un peu déplacée alors qu'il vient juste de s'installer et d'avouer au monde entier ce qu'il est. Hitomi ne ment pas quand elle vient également l'accueillir dans la famille, car c'est ce qu'ils sont ici, une grande famille. Originale, souvent dysfonctionnelle, mais aimante malgré tout. En tout cas la jeune fille n'a jamais reçu autant d'amour et de tendresse que ici. Madame Charlotte fait plus office de figure maternelle que sa propre mère, ce qui est un peu triste à dire. Maman n'a jamais voulu de cette fille venue de l'autre côté du monde.

-Oui ! Je s-suis origin-naire de K-Kanto !

Mais elle habite à Keros depuis suffisamment longtemps pour en avoir pris la langue, la culture. Seuls ses traits étrangers et son accent trahissent ses origines. Et certains habitudes héritées des coutumes kantoniennes, difficile de se séparer de ses premières années de vie. Surtout qu'elle espère un jour retourner là-bas.

Ilya se présente à son tour d'une voix faussement solennelle. On sent cependant que c'est une libération pour lui d'avoir annoncé ça officiellement. Se sentirait-elle mieux aussi si elle assumait ? Pour l'instant il n'y a bien que Hoshi qui connait ce secret - bientôt le jeune garçon aussi. Il a de suite deviné que l'accueillir n'est pas la seule raison qui l'amène, ce qui de suite la fait se sentir gênée. Il a beau dire qu'il accepte de répondre à des questions, ça l'embête d'être venue pour ça. Alors l'adolescente s'incline aussitôt avec le rouge aux joues.

-D-Désolée ! Je ne v-v-veux pas d-déranger juste p-pour ça.

Elle reste ainsi courbée encore quelques instants avant de se redresser. C'est vrai qu'il ne doit pas avoir l'habitude de ce genre de coutume.

-Je s-souhaite réellement t-t'accueillir chez n-nous, chez t-toi. C'est si-sincère. Mais... C'est que... M-Moi j-j'aime les fi-filles, et c'est la pr-première fois que je r-rencontre qu-quelqu'un qui l'a-assume comme t-toi.

Quelques adolescents ici affirment aussi haut et fort leur homosexualité, mais une fois en dehors des murs de l'orphelinat, c'est plus dur d'accepter de le dire à tout le monde. Ses amies du lycée ne sont au courant de rien, pourtant elle aimerait leur dire pour arrêter de garder ce secret.

-Alors o-oui je me d-demandais c-comment tu a-avais trouvé le cou-courage de le d-dire.

Il est le premier à qui elle ose se confier, sûrement encouragée par le courage dont il a fait preuve. Peut-être qu'elle aussi pourra un jour réussir à s'affirmer ? Elle ne l'a jamais imaginé, pas même espéré, toujours à croire que ça resterait un secret honteux. Mais l'espoir est peut-être permis finalement pour les gens comme elle. Comme eux. Hitomi décide donc d'être aussi sincère que possible avec lui, surtout alors qu'elle lui demande de s'ouvrir à elle. A vrai dire, elle n'était pas certaine qu'il accepte de répondre à sa question, celle-ci est très personnelle après tout.

Cependant il commence à parler, à se confier, et la jeune fille écoute avec une oreille attentive. Avec une réelle empathie envers ce qu'il a vécu. Une vie dans un pays où tout le monde veut sa mort... A côté, sa propre histoire paraît bien idyllique. Il faut dire que Hitomi n'a jamais cherché à se plaindre de sa mère, ou de son enfance chez les yakuzas. Ce n'était pas un milieu sain, mais c'était sa famille, et elle les aimait. Elle est sincèrement désolée de l'entendre raconter une partie de son passé.

Ironiquement, c'est sûrement l'origine de son courage.

-Je suis vr-vraiment admirat-tive.

Peut-être y a-t-il des choses non admirables dans ce passé troublé, mais ça lui importe peu. Chacun a ses cicatrices qu'il doit porter toute sa vie. Hitomi se dit bien que ce n'est pas demain qu'elle assumera qui elle est. Contrairement à lui, elle n'a pas la force de frapper si on la blâme pour ça. Au contraire la jeune fille serait plutôt du genre à s'excuser et s'écraser. Orion la protègerait, néanmoins pas question de l'envoyer sur des adolescents qui se moquent. Non, ce n'est pas pour tout de suite son propre courage.

-T-Tu as une fa-famille avec n-nous mainten-nant. On e-est parfois dy-dysfoctionn-nels, mais on s'ap-pprécie tous.

Les orphelins sont une grande famille, Hitomi s'y sent à la maison malgré son père qui lui manque. Un doux sourire lui revient.

-Et p-puis moi je p-peux être ton am-mie. E-Enfin si tu v-veux bien...

Elle baisse aussitôt la tête, comme si elle venait de dire une bêtise.

Leur famille à l'orphelinat est toute cassée, très dysfonctionnelle. Mais ici au moins ils s'aiment, ils se soutiennent. Ils ont des parents - de substitution - qui les aiment aussi. Hitomi ne s'est jamais sentie aussi bien qu'en ce lieu où personne ne la dévisage mal parce qu'elle a un vilain accent kantonien. Bon, elle n'a pas encore osé avouer son plus grand secret, mais ça viendra. Et elle sait que les autres orphelins n'auront aucun problème avec ça. Ce qu'elle craint ce sont les réactions en dehors, des professeurs, de ses amis. Et si elle se retrouvait seule ? Non, elle ne doit pas penser ainsi. Un peu de courage.

Alors qu'elle s'apprête encore à s'incliner, certaine d'avoir dit une bêtise, Ilya la rassure. L'étincelle de bonheur qui s'allume dans son regard est pure, sincère. Hitomi avait peur qu'il ne veuille pas, parce qu'elle a fourré son nez dans ses histoires personnelles.

-Oh n-non, je ne ve-veux pas que t-tu sois m-mêlé à ça...

Elle n'a pas envie d'être la source d'une bagarre, même si il a l'habitude. C'est son problème si des gens se moquent, et elle le règlera toute seule. Comme une grande. La jeune fille n'est tout de même pas certaine d'en être capable. Il faudra du temps avant de pouvoir l'avouer malgré tout.

-M-Mais merc-ci, tu as r-raison. Ici o-on est en sé-sécurité.

Hitomi se détend finalement, câline doucement sa sabelette, pensive un instant. Puisqu'Ilya s'est confié à elle, ce n'est qu'un juste retour des choses d'en faire de même. Ça lui fait moins peur ça, bien qu'elle redoute sa réaction. Mais après tout, lui aussi a vécu des choses difficiles, alors ça ne devrait pas le choquer.

-Bi-Bien sûr. J'ai gr-grandi à K-Kanto, chez les ya-yakuzas. Mon p-papa en f-faisait parti. C'é-était eux ma vr-vrai famille...

Ils le sont toujours à ses yeux, même si elle adore également celle de l'orphelinat. Un sourire triste accompagne la suite.

-Ma m-mère vit ici. Elle m-me dé-déteste, c'est e-elle qui m'a a-abandonnée. M-Mais je ne l-lui en ve-veux pas, elle n'a j-jamais voulu m'a-avoir dans les p-pattes.

Est-ce bien vrai qu'elle ne tient aucune rancune ? En tout cas elle préfère ignorer si c'est le cas. Puis elle termine d'un rire gêné.

-Dé-Désolée, ça n'a r-rien de très in-intéressant.

Le garçon qu'il aime ? Il lui brûle les lèvres d'en demander plus, de demander qui est l'heureux élu. Mais elle se retient, après tout c'est la vie privée de Ilya. Cependant elle se dit que ce garçon a bien de la chance d'avoir un amoureux comme lui, qui le protège en cas de soucis. Certes, c'est à coup de poings, et elle n'approuve, néanmoins ça reste de la protection. Elle espère un jour trouver une fille qui lui inspirera le même sentiment.

Ilya la trouve forte.
Elle, forte ?
Difficile à y croire.

Pourtant, en y repensant, c'est le cas, car elle a enduré tout ce que sa mère lui a fait subir sans rien dire, sans se plaindre. Parce que c'est sa maman, et qu'elle comprend que celle-ci ne voulait pas d'elle.

-C'est v-vrai que ce n'ét-était pas f-facile... De là à me tr-trouver f-forte ? Je ne p-pense pas. Si je l'étais vr-vraiment j'aurais r-réagi, co-comme toi.

A ses yeux c'est ça la force. Être capable de réagir, pas juste de garder le silence et ne rien faire. Ça, c'est ce la lâcheté. Hitomi se trouvera forte le jour où elle aura le courage de retourner chercher sa famille à Kanto. Ilya a raison, les yakuzas ne sont pas clean, néanmoins ils étaient son entourage proche. Ils l'aimaient eux.

Si la jeune fille a une franchise brute, ce n'est pas le cas du garçon. Il hésite à raconter certaines choses, commence à peine à effleurer la surface des choses. Hitomi secoue la tête.

-Ce n'est p-pas grave. Tu me ra-racontera t-tout ça qu-quand tu s-sera prêt. Je n-ne te v-verrai pas c-comme un m-monstre, c'est pr-promis.

Une promesse faite avec le sourire, avec son petit doigt pour serrer celui de Ilya. C'est ainsi qu'elle faisait des promesses avec son papa à l'époque. Quoiqu'il ait pu faire, le garçon ne sera pas un monstre à ses yeux. Il a connu la guerre, rien d'étonnant à ce qu'il ait du faire des choses terribles.

Puis elle hésite un peu en tendant les bras pour un câlin, une façon de sceller leur amitié. Hoshi observe ça toute contente pour sa dresseuse, de voir que celle-ci s'est fait un nouvel ami.

Est-ce donc cela la chaleur d'avoir un frère ? Hitomi se sent bien dans ses bras, rassurée par sa présence. Même si Ilya ne se considère pas comme une bonne personne, elle en pense autrement. Seule une bonne personne réussirait à prendre quelqu'un dans ses bras ainsi, à lui apporter de la chaleur. C'est bête, Hitomi voit le bon partout, sauf chez elle. Elle glousse un peu de la comparaison effectuée, amusée par cette soudaine démonstration de sagesse. Un roseau qui plie mais ne rompt pas, ça la représente bien.

-Merci.

De faire les efforts pour la rassurer, alors qu'elle ne le mérite pas forcément. Un jour elle sera aussi forte qu'il le pense, c'est une promesse. Mais à sa façon, pas en utilisant les poings. En plus de brandir son sourire - souvent faux, timide - sa gentillesse sera son arme. Du moins c'est ce que Ilya semble penser. Peut-on vraiment considérer ça ainsi ? Si il le dit, elle a envie de le croire.

-T-Toi aussi tu se-seras un ro-roseau, j'en s-suis certaine. Tu a-as plus de g-gentille-esse à d-donner que t-tu ne cr-crois.

Avec curiosité, la jeune fille contemple la pokeball que son - nouveau - frère vient d'aller chercher. Un service ? S'occuper un de ses pokemon ? Au fond, elle comprend cette demande. Elle comprend ce sentiment de ne pas être capable d'offrir toute la tendresse dont le bébé aurait besoin. Hoshi fait signe à la kangourex, et un instant, la voilà qui fonce sur Hitomi. Celle-ci la cajole doucement pour lui donner cet amour qu'elle réclame tant. Hitomi ne sait pas si elle sera à la hauteur, mais elle peut rendre ce service à son frère.

-J-Je ne s-sais pas si j-je serais une b-bonne maman? Je n'a-ai jamais eu à m'o-occuper d'un b-bébé. M-Mais je f-ferais de m-mon mieux pour l-lui offrir ce d-dont elle a b-besoin. Je t-te le pr-promets.

Une seconde elle pense que ses amies feraient sûrement de meilleures mamans pour la petite kangourex. En plus ce sont des jeunes filles très bien avec les pokemon. Seulement devant cette minuscule créature qui s'accroche de toutes ses forces à elle, impossible pour Hitomi de l'abandonner.