Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le forum est la propriété du staff et de ses membres. Toute copie, même partielle, est prohibée.
Keros FORUM POKEMON · ANNEES 60 · AVATARS 200*320 · PAS DE MINIMUM DE LIGNES
En Novembre 1965, Keros fête ses 30 ans. Désormais libre de l'égide de Galar, la région se remet péniblement de deux guerres, et la jeunesse a envie de tourner la page. Sa liberté, elle la trouve autant dans l'activisme que dans des loisirs innocents. Les combats de Pokémon, en phase pour devenir la discipline phare à Keros. La coordination, l'élevage et le métier de ranger ont également le vent en poupe. Une organisation criminelle profite de cette mode pour s'enrichir grâce au braconnage et le gouvernement ne semble pas concerné par la crise écologique et économique imminente.Lire la suite
00.00.00Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Curabitur eget lectus in ligula luctus feugiat id vitae nisi.00.00.00Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Vestibulum rutrum arcu iaculis nisl porttitor sodales.
Une énième journée de cours. Les mêmes insultes, les mêmes brimades, rien de vraiment spécifique. Oliver avait conscience qu'il était devenu encore plus faible et vulnérable quand la présence d'Ilya lui manquait au quotidien. La simple idée d'avoir quelqu'un de confiance dans la même pièce que lui le réconfortait. Alors chaque fois qu'il séchait les cours, c'était encore plus douloureux que lorsqu'il ne le connaissait pas. Il lui en voulait, parfois, de le laisser seul, mais après tout, son ami ne lui appartenait pas - et cette réalisation venait avec son lot de haine envers lui-même. Quoiqu'Ilya fasse pendant l'école buissonnière - ce qui ne le regardait pas, c'était son droit. Au fond, il avait raison. Aucun des deux n'était heureux dans ce lycée et si Oliver n'avait pas été aussi peureux et faible, il l'aurait sûrement imité. Ils auraient pu bien s'amuser à jouer pendant que tous leurs camarades subissaient "l'histoire passionnante de Keros" ou des formules mathématiques "qui seront essentielles plus tard".
Cela ne l'empêcha pas de passer toutes ces heures à rêvasser, le regard dirigé vers la fenêtre, à se demander ce qu'il pouvait bien faire et s'il s'amusait bien sans lui. Peut-être passait-il du temps avec Finn. Après tout, il n'était pas dans la même classe qu'eux, alors Oliver n'aurait pas eu le moyen de savoir s'il était plus élève modèle ou sécheur. L'idée le réconfortait autant qu'elle l'attristait. Savoir Ilya en bonne compagnie le faisait sourire, mais que les deux jeunes garçons trainent ensemble sans le prévenir le rendait incroyablement jaloux.
En voilà une autre nouvelle émotion qu'il n'aimait pas.
Enfin, la fin des cours arrivait. Le professeur de littérature, contrairement à cet imbécile de Flemming, savait terminer sa leçon à temps pour éviter à ses élèves de sortir en retard. Son programme était tout aussi inintéressant (comme tout ce qu'Oliver apprenait dans la journée, finalement), mais l'adolescent lui accorderait au moins ce compliment. Arriva la distribution de livres, celui qu'il faudrait lire en un temps record avant de l'étudier. Une histoire de romances et de tromperies, charmant. Oliver rangea le sien quand l'enseignant appela, un dernier roman en main :
Est-ce que quelqu'un pourrait apporter son livre à Rusalka ?
Oliver leva la main avec entrain, le regrettant vite quand son acte attira des "ouuuh" amusés et même quelques sifflements qui furent ignorés. Timidement, le blond se dépêcha d'aller récupérer le bouquin en essayant de ne pas croiser le regard de ses camarades qui, il le savait, n'attendaient que ça pour lui adresser des gestes obscènes. Il n'eut heureusement pas à les supporter bien longtemps, puisque la classe disparut en un clin d’œil une fois la cloche sonnée. C'était vraiment la meilleure partie de la journée pour plus d'une raison. Une fois la salle vide de ces fauves - qui en avaient le comportement comme l'odeur, Oliver se sentait à nouveau respirer. Ce ne fut qu'une fois calme qu'il réalisa qu'il n'avait aucune idée d'où apporter sa livraison. Il savait qu'Ilya vivait dans (ou près de) la forêt Eagal, mais sans plus. Il ne lui avait jamais donné les coordonnées et quelque chose lui disait que c'était en rapport avec son horrible tante. Il devrait demander son adresse au professeur.
Oh, Rusalka n'est pas chez lui, il est à l'hôpital, vous devriez lui apporter là-bas.
Oliver se sentit mourir en entendant le mot "hôpital". L'enseignant ne sembla pas remarquer son choc et l'invita juste à sortir avant de verrouiller la salle de classe. Ilya était... à l'hôpital ? Que lui était-il arrivé ? Tous les pires scénarios imaginables vinrent assaillir le cerveau du pauvre garçon. Sa grande-tante aurait pété un câble et aurait essayé de le tuer ? Ou alors il souffrait d'une maladie grave et il en mourrait dans quelques mois ? À moins qu'il ne soit vraiment prince et que des révolutionnaires aient tenté d'achever la famille royale ? Oh, il se sentait partir en vrille. Il fallait qu'il se dépêche : plus vite il serait arrivé à la clinique, plus vite ses doutes seraient dissipés. Il demanderait ce qu'il s'est passé à son ami et se trouverait bien sot en apprenant qu'il avait juste glissé dans la douche.
Il courut presque toute la distance, mais ses petites pattes et son manque d'endurance l'avaient vite rattrapé. Il arrive haletant aux portes de la clinique Saint Soin-Bobo. La bonne nouvelle, c'était que s'il faisait un malaise par fatigue, il était déjà au bon endroit. Enfin, "bon", façon de parler. C'était toujours la même vieille clinique malsaine avec ses docteurs plus fous les uns que les autres. Bah, avec un peu de chance, l'un de ces charcutiers le tueraient en cherchant à le réanimer.
La secrétaire à l'air méchant lui indique la chambre de son ami. Chambre 14. Sachant qu'il n'y avait pas de chambre 13, pouvait-elle être considérée comme porte-malheur à sa place ? Oliver n'était pas superstitieux (ou alors le Skitty l'attendant devant les portes de l'hôpital l'aurait terrifié), mais il n'aimait pas l'ironie de la situation. Une fois devant la porte portant le bon numéro, il frappa, tenant fort contre sa poitrine le livre qu'il était censé déposer. L'angoisse de ce qu'il y trouverait était de retour. Et si, pour une raison quelconque, il l'attendait dans un bain de sang ? Ce n'était pas comme ça que marchaient les hôpitaux, mais l'image était trop réelle dans son esprit pour écarter cette théorie. Il pourrait être certain de s'évanouir si un tel spectacle s'avérait vrai.
Il prit une grande inspiration avant de pousser la porte, doucement. Il n'entra pas immédiatement, se contentant de passer un oeil discret à travers l'ouverture. C'était qu'il ne voulait pas entrer dans la chambre d'un inconnu. Il reconnut néanmoins les cheveux blonds d'Ilya et en constatant qu'il ne dégoulinait pas d'hémoglobine, il soupira de soulagement. Il s'annonça d'une petite voix.
I-Ilya ? C'est m-moi, Oliver, comme s'il était nécessaire de préciser à qui pourraient appartenir ces bégaiements... J-je peux entrer ?
Il passa la moitié de sa tête à l'intérieur pour être certain que le Stranaïte l'ait compris. Pas question qu'une bête barrière linguistique empiète sur la politesse.
Muet, il regarde les centaines de cicatrices qui ornent ses bras.
La blouse médicale bleu pastel à manche courte ne lui donnait aucune possibilité de les camoufler. Il se sentait nu, non, pire que ça. Les entrailles à vif, on pouvait lire en lui comme un livre.
Le Docteur Raine lui avait fourni quelque livres imagés pour qu'il ne s’ennuie pas trop et il s'entendait plutôt bien avec lui. Mais la solitude le rongeait.
Il ne voulait pas que Genya le voit comme ça et refusait souvent ses visites, se terrant dans un mutisme qui finissait par rendre furieuse la jeune fille.
Elle s'en allait. Peut-être en pleurant.
Il ne vérifiait pas, il allait assez mal comme ça.
Alors il restait souvent ainsi, à contempler ses anciennes et nouvelles cicatrices. Puis son bras droit couvert de bandages.
Évidemment, si il avait utilisé la main droite, il ne se serait pas raté comme ça. Mais il était malheureux de laisser la peau de son bras droit si 'vierge' pas vrai ?
La plupart de ses blessures n'étaient que des cicatrices et pourtant, elle le démangeaient méchamment. Le col ample de sa blouse laissait voir la naissance de celle qu'il portait à l'épaule.
Une blessure par balle.
C'est vrai, en y réfléchissant, la plupart de ses blessures lui venaient de Strana. Mais aucune n'avait manqué de le tuer comme celle qu'il cachait à présent sous d'épais bandages.
Il se laissa retomber dans son lit en soupirant, se cachant un peu sous les couvertures. Il n'avait pas envie d'exister. Les regrets qu'il avait éprouvé à l'idée de mourir s'étaient rapidement dissipé.
Les idées noires étaient rapidement revenues.
Illuminé par le soleil terne de l'automne, il avait fermé les yeux et s'assoupissait lentement lorsqu'il entendit la voix d'Oliver.
Tout son être se glaça d'effroi.
Oh, il pouvait tolérer que Genya le voit ainsi pendant quelque minutes, elle savait depuis longtemps qu'il pratiquait ce genre de 'chose'. Mais Oliver ne savait pas.
Comprendrait-il seulement ?
Il resta muet pendant quelques minutes, les yeux fermés à s'en faire mal aux paupières, tremblant comme une feuille et ne sachant pas trop quoi dire.
Pauvre Oliver, il ne méritait pas d'être malmené émotionnellement comme ça. Genya pouvait comprendre, mais lui. Il prendrait ça comme un signe de rejet.
Comme si leur amitié prenait fin pour une sinistre histoire de...
Toi entrer. Souffla-t-il sans pour autant se tourner vers son ami. Il se redressa, s'asseyant une nouvelle fois sur son lit.
Hésitant, il laissa doucement la couverture glisser pour révéler ses bras balafrés. À quoi bon les cacher au juste ? Il fallait être honnête.
Oliver le prendrait pour un fou et s'en irait de lui-même. C'était une question de secondes.
Mais les secondes commençaient à se faire bien longues. Il releva timidement la tête, les yeux d'Olivers étaient perdus sur ces cicatrices.
Une grimace déforma le visage du blond.
Toi pas regarder trop, s'il-te-plaît. Ça... Ça pas bien...
Il regrettait déjà de s'être livré en pâture ainsi. Il pensait déjà à s'enfouir sous ses couvertures pour attendre que le jeune garçon s'en aille mais l'affection qu'il lui portait était trop forte pour le laisser dans une telle situation.
Il sentait qu'il lui devait quelques explications, mais que pouvait-il dire ? Ça pas faire mal. Moi aller bien. Revenir bientôt.
Puis il replongea dans son mutisme, baissant à nouveau le regard sur ces maudites cicatrices. Plus que jamais, il aurait souhaité ne jamais avoir existé.
Bien que le ton d'Ilya lui sembla bien triste, Oliver entra avec le sourire, tout simplement soulagé que son ami ne soit pas en danger. Quoi qu'il lui soit arrivé pour terminer dans ce lit, c'était terminé, il était sain et sauf. Il s'approcha à pas de Lougaroc - après tout, il était dans un hôpital, pour s'arrêter en face du jeune homme. Il pourrait lui expliquer le devoir et peut-être rester un peu pour l'aider. Ironiquement, ils y seraient plus tranquilles que chez lui où il sentait une aura menaçante émaner de son père dès qu'il invitait "l'étranger". Il y aurait bien des mots compliqués et figures de style qu'il ne comprendrait pas. L'idée de se rendre utile réchauffa le cœur d'Oliver.
Hum... m-mons-... I-Ilya ?
Ce qu'il était malpoli, cet enfant. Incapable de regarder une personne dans les yeux, il avait laissé les siens divaguer, jusqu'à ce qu'ils se posent fatalement sur les bras d'Ilya. Il ne cria pas, mais le ton plaintif avec lequel il avait interpelé son ami en disait long. L'un était couvert de griffures, des qui ne pouvaient pas juste venir de ses Lixy jouant un peu trop fort. L'autre était emmitouflé dans un bandage et laissait place à l'imagination. Oliver imaginait déjà un massacre dégoulinant d'hémoglobine. Le pire dans tout ça ? Il avait peur de sous-estimer la gravité de la blessure cachée. Il chercha à dévier son regard de là, ne serait-ce que parce que ça ne le regardait pas, mais c'était impossible. Toute son attention était captée par l'horrible spectacle, comme une personne assistant à un terrible accident. Et puis il y avait tant d'incompréhension sous ce crâne : comment était-ce arrivé ? Il avait déjà écarté l'hypothèse des Pokémon mais c'était pourtant sa préférée. Moins d'enjeux inquiétants, seulement des animaux ne maîtrisant pas leur force qui apprendraient de leur leçon.
Un accident, peut-être ? Quel genre d'accident peut laisser des traces pareilles ? L'image d'Ilya essayant grossièrement d'expliquer quelque chose comme "moi tomber couteau cuisine" aurait presque été drôle si la réalité des cicatrices n'avait pas été si frappante. Quelqu'un aurait voulu le blesser alors ? Sa grand-tante, peut-être ? Elle avait déjà réussi à le griffer assez violemment d'une simple gifle, aurait-elle pu causer quelque chose d'aussi grave ? Non. Les lignes étaient trop nettes. A moins de s'être armée d'un couteau, elles n'auraient pas été si "belles". Ça ne pouvait pas non plus être un assaillant quelconque : certaines semblaient bien vieilles, bien refermées et ne pouvaient pas dater de ce jour-ci ou de la veille. Il ne restait qu'une option possible mais...
Oh, qu'il se sentait mal, Oliver. Il sentait sa tête tourner, il entendait ses oreilles sonner comme une radio mal réglée et ne voyant plus que des formes floues. Un sentiment presque agréable de laisser-aller, si ses entrailles ne le faisaient pas souffrir au point où il craignait de les vomir tout entières s'il avait le malheur d'ouvrir la bouche. Assez lourdement, il se laissa tomber sur le lit pour s'assoir. Heureusement qu'il n'était pas bien lourd... il fit tout ne même rebondir le matelas sur ses vieux ressorts rouillés mais au moins il n'avait écrasé personne. Il avait juste besoin de souffler. Inspirer... expirer... inspirer... expirer.
Chaque expiration semblait lui ôter tout l'air des poumons jusqu'au dernier atome. Alors il inspirait encore plus fort au point de sonner comme un aspirateur défectueux. Sa bouche et sa gorge étaient sèches, il aurait cru avoir du papier de verre à la place de l’œsophage. Il songea à se lever pour aller boire un verre d'eau mais il sentit bien au moment d'essayer de bouger ses jambes qu'elles avaient la consistance de la gelée. S'il essayait de se tenir debout... les choses finiraient assez mal et il aurait l'air bien con.
Il devait se calmer, il savait qu'il devait se calmer, ne serait-ce que pour le bien de son ami, qui était clairement dans une plus grande détresse que lui. Oliver aussi avait déjà songé à "agir" pour arrêter de souffrir, mais il en avait toujours eu très peur et c'était sûrement la seule chose qui le maintenait en vie. Sa couardise. Était-ce parce qu'il était plus fort et courageux que lui qu'Ilya avait osé franchir le pas ? Ou était-ce simplement qu'il souffrait beaucoup plus que lui ? Les choses revenaient souvent toutes à ça : il vivait une belle vie dans une région en paix, avec un toit sur la tête et un estomac bien rempli, puis il avait le malheur de se plaindre de quelques mots méchants et de deux ou trois coups de pied. Alors, est-ce que ce genre d'actions était une fatalité après avoir dépassé un certain seuil de désespoir ? Y avait-t-il un point de non-retour où tout le monde décidait de se foutre en l'air ? Cela expliquerait pourquoi personne ne semblait triste à part lui dans son entourage... sauf Ilya.
Ilya était triste, c'était une évidence qu'il n'était pas nécessaire de préciser, à ce stade. Plus que triste même, Oliver en avait été témoin le lendemain de leur rencontre. Si une simple image dans un livre avait pu le faire éclater en sanglot, il devait tellement souffrir... bien plus que lui, infiniment plus. Il était donc "logique" qu'il finisse par prendre des mesures drastiques. A y repenser, c'était évident, non ? Et lui n'avait rien vu venir... quel imbécile.
Et-... et s'il avait été coupable ? Lui et son existence insignifiante... il se sentait soudain important dans la vie de quelqu'un et voilà qu'il essayait d'y mettre fin ! Était-ce ça, l'effet qu'il avait sur les gens ? Les autres avaient raison, il n'aurait jamais dû naître. Tout le monde s'en serait mieux porté. Papa et maman n'auraient pas été déçus par un fils indigne, ses camarades n'auraient pas eu à supporter sa présence honteuse au quotidien et Ilya ne serait probablement pas dans un lit d'hôpital mais tranquille chez lui.
J-je-je... je suis d-d-dé-désolé ! couina-t-il sans oser regarder son ami.
Sa voix était tremblotante, il sentait sa gorge se nouer mais les larmes ne venaient pas.
La demande d'Ilya n'était pas respecté. Il aurait pu s'en énerver si le regard d'Oliver ne reflétait pas tant d'émotions.
C'est qu'il avait oublié une chose, le stranaïte : la capacité extraordinaire du jeune homme à s'auto-blamer de tout les maux du monde.
Mais quel abruti il était, il n'aurait jamais du les lui montrer.
Il fallait qu'il fasse quelque chose, qu'il dise quelque chose et vite.
Mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Une violente nausée s'empara de lui, le stress tordait ses intestins et il menaçait de régurgiter l'infâme repas qu'on lui avait servi à midi.
C'est pas le moment, merde. Dis quelque chose, explique-lui ! Il en a besoin !
Son incapacité d'agir étant dû au silence d'Oliver, lorsque celui-ci parla, ce fut comme un électrochoc.
Il se dépêcha de se se redresser, de prendre la main de son ami et de la serrer.
Oliver, pas ta faute. Déclara-t-il d'une voix pleine de gravité, presque sévère. Ça accident. Moi pas vouloir... Le mot lui resta dans la gorge. Il ne pouvait pas le prononcer. Frustrant. Faire erreur, couper trop profond. Habitude, pas ta faute. Ça commencer Strana, avant toi.
Il était totalement franc. Bien que voulant disparaître, le but de son acte n'était pas du tout de s'ouvrir les veines et d'y rester. Mais comment l'expliquer à Oliver ? Blyat ! C'est qu'il manquait de vocabulaire. Plus que jamais, il se maudit de ne pas être bilingue. Cela aurait été tellement plus simple pour lui de trouver les bons mots pour calmer son ami. Moi faire ça pour calmer. Tenta-t-il tout de même d'expliquer. Si toi dire moi fou, pas grave, moi comprendre. Pas ta faute. Faute guerre. Comme pour l'expliquer à Finn, il montra du doigt sa tête. Guerre toujours là. Toujours faire mal.
Foutu lit d’hôpital, trop étroit, il fallait qu'il se penche un maximum pour tenir la main d'Oliver. Mais ce n'était pas assez pour le rassurer.
Il regarda tout autour de lui. Personne.
Il pouvait le faire, ce qu'il avait voulu faire lorsqu'Oliver lui avait confié Sieba, les larmes aux yeux.
Si le docteur Raine les surprenait, il garderait le silence. Après tout, n'avait il pas un 'dette' envers le Tsarévitch ?
Il se redressa complètement, se débarrassant des couvertures pour se mettre à genoux sur son lit, pouvant ainsi se rapprocher de son ami comme il le souhaitait.
Sans plus y réfléchir, il le prit dans ses bras. Pas une accolade furtive comme il avait pu en recevoir de la part de son ami, non, un vrai câlin. Comme il avait pu en recevoir d'Anastasia ou de Genya quand tout allait mal.
Pardon. Moi pas devoir montrer ça. Toi avoir mal aussi. S'il-te-plaît, toi pas faire ça. Moi idiot, pas vouloir...Pas vouloir mourir. Moi avoir toi, avoir sœur. Couper trop fort. Pas vouloir.
Si Oliver ne pleurait pas, lui s'aperçut qu'il chouinait comme un gamin. Il s'en fichait, personne n'était là pour le traiter de 'pédale' ou de 'petite frappe'. Et quand bien même, il n'y aurait pas accordé d'importance.
Il se sentait affreusement mal et c'était là le seul moyen qu'il avait pour prouver à Oliver que ce n'était pas sa faute.
Il se souvenait de la pensée qu'il avait eut en adoptant Peluche.
Que les autres ne pouvaient pas comprendre. Parce qu'il était un survivant.
Mais survivre était un coup de chance, une chance qu'Oliver n'aurait peut-être pas si lui-même tentait de...
Par Arkæ, tout sauf ça!
Moi être idiot, Mudak, moi inquiéter toi. Toi important, ami ! Toi souffrir aussi, moi pas vouloir perdre toi. Pas faire comme moi, s'il-te-plaît.
À ton moment, Oliver s'attendait à être chassé de là. Il ne pourrait pas courir bien loin pour s'échapper, certes, mais ne méritait-il pas de s'écraser sur le carrelage glacé ? Il sursauta quand, contre tout attente, il sentit qu'on lui prenait la main. Il n'eut pas le temps de s'imaginer dans quel scénario tordu Ilya la lui aurait tordue pour se venger, puisqu'il se contenta de la serrer doucement. Incrédule il regarda le visage du jeune homme, qui était aussi tordu de culpabilité que le sien. Il suffit de quelques mots pour faire revenir Oliver sur terre.
"Pas de sa faute", hein ? Il s'était encore emballé, n'est-ce pas ? Ce qu'il se sentait bête, chaque fois qu'il revenait d'une crise de paranoïa... non, le monde entier ne lui en voulait pas. Ne serait-ce que parce que la plupart des habitants de cette planète ne le connaissaient pas ou se moquaient bien de lui. Évidemment qu'il n'était pas responsable des blessures d'Ilya : il avait lui-même remarqué comme certaines semblaient vieilles, bien antérieures à leur rencontre. Pas étonnant qu'il échoue à l'école, con comme il était.
Il songea à s'excuser mais il savait bien que ça ne mènerait nulle part. Et puis, le Stranaïte n'avait pas fini de parler. Il le laisserait finir son monologue avant d'ouvrir sa grande gueule. Il manqua de l'interrompre quand il parla d'accident, néanmoins, de s'indigner, de lui demander s'il le croyait si stupide et naïf que lui, avant qu'il ne finisse sa phrase. C'était un accident, et pourtant c'était volontaire ? Oliver était soudain bien confus. S'il ne voulait pas risquer la mort, pourquoi jouer à se trancher le bras, alors ? D'autant plus si c'était une habitude. Il aurait presque compris la curiosité morbide de l'enfant qui se demande ce que ça fait de mettre sa main dans le feu, mais beaucoup moins l'idée de recommencer au point d'avoir une boucherie à la place de l'avant-bras. Même lorsqu'Ilya voulut s'expliquer, il n'était pas certain de comprendre. La guerre lui faisait mal, alors il se faisait mal aussi. La logique lui échappait totalement. Il se souvenait d'avoir un jour détruit son propre château de sable au parc pour que le méchant garçon qui l'embêtait ne puisse pas le faire lui-même. Était-ce le même cheminement qui l'avait amené à ça ? S'il disait que ça l'aidait à se calmer, alors peut-être que oui. Ça lui arrivait souvent d'arriver à un point où il se sentait prêt à exploser et que rien ne pouvait calmer ses nerfs. Il se contentait toujours d'attendre, passant parfois des heures dans son lit sans trouver le sommeil, à pleurnicher et à se crisper au point d'en avoir mal. Si Ilya avait trouvé un moyen de supporter ces crises alors... tant mieux pour lui ?
Ça sonnait affreusement faux, mais Oliver avait du mal à faire sens de la situation. Il devrait se contenter de croire Ilya sur parole.
D'ailleurs, il semblait avoir terminé ses explications. Timidement, Oliver se tourna vers lui. Il avait tant de questions, aucune qu'il n'osait vraiment poser de peur de ne pas aimer la réponse ou qu'elles blessent encore plus son pauvre ami déjà écorché. Il ouvrit la bouche, espérant qu'une idée lui vienne, mais il se ravisa vite. Et quand des bras vinrent le serrer fort, il perdit tout son souffle. Les yeux grand écarquillés, il avait du mal à comprendre ce qu'il se passait. Il devait forcément rêver, pas vrai ? La dernière fois qu'on l'avait enlacé de cette façon était-... il n'en avait même pas le souvenir, mais il aurait dit quelque part entre ses dix et douze ans. En toute honnêteté, il avait oublié ce qu'il était censé faire. Il resta longtemps, les bras ballants, à essayer de se sortir du sommeil. Pourtant, les secondes passaient et rien ne semblait indiquer qu'il se réveillerait.
Alors... c'était vrai ? Quelqu'un venait de le prendre dans ses bras ? Et contrairement à l'embrassade d'une demi-seconde qu'il avait à peine osé donner à Ilya en échange de son amitié, celle-ci était digne de ce nom. La chaleur d'un autre être humain, le réconfort de se sentir apprécié et la sécurité des mains dans son dos, tout était vrai. Il eut envie de rire - un rire sarcastique. Évidemment qu'Ilya serait le premier à oser un vrai câlin, c'était lui le plus courageux après tout. Oliver l'enviait. La moindre des choses qu'il pouvait faire pour le remercier était de lui rendre son affection. Peut-être avec trop d'entrain, il jeta ses bras autour de son torse et serra aussi fort qu'il le pouvait. Avec ses petits bras tout maigrichons, ça ne voulait sûrement pas dire grand chose pour Ilya, mais pour lui, ce geste était plus efficace que mille mots.
Il écouta Ilya pleurer des excuses. Il était désolé de l'avoir laissé voir, il était désolé de l'avoir fait en premier lieu, et surtout, il le supplia de ne pas l'imiter. Chaque mot était un pieu au cœur, qui petit à petit, fit tomber le barrage qui empêchait ses larmes de couler. Il resta néanmoins silencieux, laissant l'eau couler sans voix pour mieux entendre celle de son ami. Il en disait, des belles paroles, malgré son kerosien approximatif. C'était qu'on lui disait rarement qu'il était apprécié, encore moins "important". Un drôle de sentiment, ressemblant à de la fierté le fit trembler. La douleur dans sa poitrine était de retour. Bizarrement, elle lui avait manqué.
J-je... t-toi aussi... tu es... important, parvint à articuler le jeune garçon malgré son hoquet.
Comme pour appuyer son propos il serra encore plus ses bras et enfouit son visage probablement cramoisi de honte. Comme il avait été dur de répéter les mêmes mots qu'Ilya... mais il n'était pas question qu'il le laisse croire qu'il ne l'appréciait pas autant que lui, d'autant plus s'il souffrait.
Tôt ou tard, il faudrait bien lâcher prise, mais Oliver ne serait certainement pas celui qui y mettrait fin.
Les bras d'Oliver vinrent le serrer avec la force d'un courant d'air. Évidemment ça n'était pas grand chose en terme d'emprise mais pour Ilya, c'était énorme.
À part sa mère ou sa sœur, personne ne l'avait enlacé comme ça. C'était comme si il pouvait accorder sa pleine confiance à Oliver.
La confiance. Il avait encore du mal avec ce terme. Surtout envers lui-même en réalité.
Mais honnêtement, comment faire confiance à un esprit brisé comme le sien ? Quand chaque chose du quotidien le mettait dans un état d'alerte extrême au point de croire que sa vie était continuellement en danger ?
Il se souvenait du cirque qu'il avait fait pour cette histoire de feux d'artifice d'Halloween et n'en était pas particulièrement fier.
Mais le moment ne se prêtait guère à l'autocritique. Non, il avait prit Oliver dans ses bras, lui demandant pardon. Le suppliant de ne pas faire de même. C'était un pas en avant, non ?
Il s'éloigna un peu, sans pour autant lâcher son ami.
Moi pas idiot, vouloir rester vivant. Avoir Sieba pour protéger. Il rigolait en pleurant, quel drôle de mélange. Sieba grandir, apprendre nouvelles attaques quand battre avec Chernaya. Lui gagner ! Toi être fier ! Lui fort comme Némélios !
Ce qu'il ne disait pas, c'est que Chernaya l'avait prit en affection et le laissait gagner. D'ailleurs, maintenant qu'il y pensait, sa petite tribu de Lixy lui manquait énormément. Zaria et Vodianoï aussi. Il savait que Genya veillait sur eux mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter.
Moi vouloir rentrer. Dit-il dans un soupir lourd. Il n'aimait pas se l'avouer mais c'était vrai. Pokémons me manquer. Toi et Finn aussi. Genya... Il se rendit compte qu'il n'avait jamais parlé de Genya à Oliver. Genya être sœur à moi. Elle beaucoup colère contre moi parce que moi faire ça. Il montra son bras droit emmitouflé de bandages. Moi pas savoir quoi faire.
Il relâcha son étreinte avec un regret qui dû se lire sur son visage tant il était important. La chaleur humaine lui manqua presque immédiatement mais il ne pouvait pas emprisonner Oliver dans ses bras pour toujours.
Il reprit sa position assise sur son lit et baissa les yeux, à nouveau honteux.
Genya vouloir moi arrêter. Il y eut un court silence avant qu'il reprenne. Moi pas pouvoir promesse arrêter. Ça trop...trop important. Mais moi essayer faire moins, promesse. Il releva la tête vers Oliver, un petit sourire triste sur les lèvres. Ça secret, toi pas dire, hum ?
Cette phrase sonnait presque comme un excuse sincère. Il savait quel était le poids de certains secrets. Mais celui-là était nécessaire.
Genya pouvait savoir. Le docteur Raine pouvait savoir. Oliver pouvait savoir. Pas les autres. Peut-être Finn ?
Non, Ilya n'était pas prêt à partager ce secret avec Finn. Déjà parce qu'il avait vu dans quel état ça avait mit Oliver. Puis parce qu'il voulait rester son ami et qu'il avait peur que l'adolescent le prenne définitivement pour un fou.
Il essuya ses joues couvertes de larmes d'un geste lent et timide. Moi pardon. Toi mériter meilleur. Moi mauvais ami. Moi fou, couper, pleurer, avoir peur tout le temps. Moi beaucoup pardon.
Lentement, l'étreinte d'Ilya se relâcha, à la grande déception de son camarade. Il put au moins permettre à ses muscles de se détendre. Le contact physique serait sûrement déjà trop obscène pour ses parents, mais il aurait largement préféré rester comme ils l'était, des heures si nécessaire, jusqu'à ce qu'il soit trop fatigué, probablement. Cette image l'amusa. De quoi aurait-il l'air, à s'endormir dans les bras d'Ilya ? Il était ridicule. Plutôt que de se lamenter plus longtemps, il écouta attentivement la voix tremblante mais solennelle de son ami. Il avait beau être au bord des larmes et ne pas maîtriser la langue qu'il parlait, il avait le don d'être captivant quand il parlait. Peut-être la curiosité causée par son accent exotique. Ou la simple jalousie de se sentir déjà dépassé en terme d'élocution par quelqu'un qui connaissait à peine sa conjugaison.
Il mentionna Sieba comme raison de rester en vie. Le nom du lionceau fit sourire Oliver, un sourire empreint de mélancolie mais de fierté. Il se sentait parfois stupide de voir "rien qu'un Pokémon" comme son enfant, mais il était trop tard, il l'aimait déjà. Savoir que le petit Lixy se battait déjà comme un grand lui mettait du baume au cœur. Il était plus certain que jamais qu'il avait fait le bon choix en le confiant à Ilya et ses deux lionnes, et le sermon de ses parents n'enlèverait rien à ça.
M-merci d-de t'en occuper si b-bien... murmura-t-il presque, pas certain qu'Ilya l'ait entendu au delà du "merci".
Le soupir malheureux d'Ilya fit lever la tête à Oliver, inquiet de ce qu'il allait bien pouvoir ajouter. Avant qu'il ne puisse d'imaginer la moindre horreur, le Stranaïte continua. Il voulait juste rentrer chez lui, malgré cette satanée grand-tante qui pourtant, l'attendait sûrement pour lui mettre une bonne paire de soufflets. Mais il comprenait que ses Pokémon lui manquaient. Lui-même avait toujours hâte de retrouver Vendredi 13 à la sortie de l'école et de laisser sortir Noisette de sa Pokéball en rentrant chez lui. C'était bien sûr sans compter Sieba, qu'il ne pouvait voir que quand le dresseur de ce dernier venait lui rendre visite. Mais Ilya avait quelqu'un d'autre dans sa vie, dont il ne lui avait jamais parlé : une sœur. Un fait qui rassura Oliver autant qu'il l'inquiéta. Il était d'un côté heureux de savoir que quelqu'un de confiance pouvait veiller sur lui, mais de l'autre, il était désolé pour elle, qui devait être au premier rang des horreurs que vivait son frère - en plus de les subir elle-même. Il se demandait à quel point les deux étaient proches, s'ils avaient une relation plutôt fusionnelle, neutre ou si elle se prenait pour sa mère comme le faisaient ses propres sœurs, pourtant pas bien plus vieilles que lui. Il en parlait mal dans son monologue intérieur, mais au final, elles lui manquaient beaucoup.
Oliver dut tenir bon pour ne pas interrompre Ilya d'un "moi beaucoup colère aussi", non seulement parce que quelque chose lui disait que parler de la sorte serait bien moins charmant de sa part que de celle de son ami, mais aussi parce que cela ne mènerait pas à grand chose. Il était énervé, oui, mais surtout inquiet et triste, et c'était sûrement aussi le cas du jeune homme. Des reproches ne soigneraient pas ses bras plus vite.
Après un silence, Ilya lâcha prise pour retourner s'assoir à sa place, laissant une horrible sensation de froid et de solitude à Oliver. Il se revoyait tout petit, faisant signe à sa mère de le porter en tendant les bras et en couinant comme un Goupilou. Quel drôle de spectacle il aurait offert là à son ami... évidemment, il était trop grand pour ce genre de gamineries, mais sa détresse était la même.
Même s'il ne s'attendait pas à ce que son camarade lui promette soudain d'arrêter de se blesser, Oliver sentit son cœur se briser et couler dans ses entrailles en entendant ses mots. Ses coupures étaient trop importantes pour que les mots de ses proches le fassent arrêter. Elles aidaient vraiment tant que ça ? Le jeune garçon avait toujours horriblement peur pour son ami et un sentiment de crainte le prenait à la gorge, comme s'il savait que cette histoire ne pourrait pas bien se finir. Néanmoins, il ferait confiance à Ilya comme lui-même lui faisait confiance.
J-je n-ne d-dirai rien... promit-il d'une petite voix, désolée mais sincère.
A qui pourrait-il en parler, de toute façon ? Aux professeurs ? Ils s'en moqueraient. À sa famille ? Ils le prendraient pour un fou et son père aurait enfin une bonne excuse pour interdire à "l'étranger" de rentrer dans sa maison. À Finn ? Ça serait à Ilya lui-même de lui en parler en temps voulu. Qui lui restait-il ? Noisette, peut-être ? Elle ne dirait rien à personne, au moins. Ou son journal, alors, dans lequel il avait promis d'écrire.
Lentement, Ilya essuya les quelques larmes qu'il lui restait sur les joues. Oliver l'imita, ayant lui-même oublié qu'il avait pleuré. C'était que ces choses arrivaient si souvent qu'il ne s'en rendait pas toujours compte. Alors quand il était en présence d'une personne qui ne lui reprochait pas de pleurnicher, il était facile de ne pas y porter d'attention. Une énième fois, le Stranaïte s'excusa. De quoi, exactement ? Comment pouvait-il penser un instant qu'il était un mauvais ami, alors qu'il avait plus fait pour lui en quelques semaines que sa famille en plusieurs années ? Il avait même été la seule personne amicale qu'il connaissait jusqu'à sa rencontre avec Finn - et là encore, il n'aurait jamais osé adresser la parole à un autre lycéen si Ilya ne les avait pas présentés. S'il n'avait pas été si petit, Oliver l'aurait bien giflé. Finalement, sa petite taille aurait eu l'avantage de ne pas le pousser à faire un geste irréfléchi.
Silencieusement, il se rapprocha d'Ilya en glissant le long du lit, ce qui lui laissa le temps de rassembler son courage et les quelques mots qu'il arriverait à lui dire. De ses deux mains, il saisit celle avec laquelle son ami avait essuyé ses larmes. Elles paraissaient si petites et frêles à côté... deux n'était pas de trop pour pouvoir serrer aussi fort qu'il le souhaitait pour montrer sa sincérité.
T-tu es un b-bon ami ! M-meilleur ami ! M-moi aussi j-j'ai t-toujours p-peur et-... pas vraiment besoin d'utiliser ses mots quand ses yeux étaient encore rouges, A-alors, n-ne dis p-pas p-pardon ! conclut-il avec un ton qui se voulait assertif. Il savait que son expression de colère n'intimidait personne, mais peut-être pourrait-elle au moins convaincre Ilya de sa bonne volonté.
Oliver aussi avait peur tout le temps. Ilya le savait, il pouvait le voir. Mais les 'prédateurs' d'Oliver étaient bien réels, contrairement à ceux du stranaïte, venant d'un autre âge.
Il esquisse un maigre sourire.
Il a soudain envie de tout lui déballer mais le courage lui manque. Le vocabulaire aussi.
Oh, Oliver, tu sais que j'ai déjà tué ? Plusieurs fois même. Et je suis quasi-sûr d'avoir ressentit une grande satisfaction à chaque fois. Je crois que quelque chose ne va pas chez moi, tu ne trouves pas ?
Si Oliver est intelligent -et nul doute qu'il l'est, il s'enfuira les jambes à son cou et ira crier sur tout les toits qu'Ilya est un meurtrier.
Un...Comment dit-on déjà ?
'Criminel de guerre'
Ilya frissonne en pensant à ce mot. Ça lui rappelle beaucoup de mauvais souvenirs, de choses qu'il souhaiterait ne jamais avoir vécu et qui ne veulent pas s'effacer de sa mémoire.
Il ferme les yeux, il n'est plus à Strana. Il est ici, avec Oliver. Il n'a rien à craindre. Et pourtant, il se remet à trembler comme si le froid mordant de son pays s'était installé dans la pièce.
Toi...Toi pas comprendre. Moi vraiment...Mauvaise personne. Murmure-t-il d'une voix tremblante, chargée de honte. Ton père avoir raison...
Il n'ose plus regarder son ami. Ce qu'il fait là est bien cruel. Lui dire de se méfier sans en expliquer les raisons.
L'espace d'un instant, il sent la force de tout avouer, de tout lui dire. De se libérer de ce poids tabou. L'espace d'un instant oui...
Puis son regard se perds sur la couverture du livre laissé en vrac sur son lit. Son inconscient y voit là un échappatoire, un moyen de changer de sujet.
Un livre ? Il se tourne vers Oliver et je regarde avec des yeux ronds. C'était de sa part ? C'était gentil mais...Il avait toujours beaucoup de mal avec le kerosien écrit. Déchiffrer les messages de son ami était une chose mais lire tout un livre.
Puis son cerveau réussit à faire deux plus deux. Bien sûr que non, ce n'est pas Oliver qui lui fait un cadeau empoisonné mais c'est l'abruti de prof de littérature qui n'a toujours pas comprit qu'il ne maîtrisait pas la langue et qui continuait à lui demander des dissertations sur ses lectures.
Bizarre qu'il se rappelle de son existence.
Il avait prit soin de sécher les cours dès qu'il le pouvait.
Enfin, Oliver était venu le voir 'grâce' à ça donc quelque part...Il ne pouvait pas vraiment s'en plaindre, non ?
Il émets un petit rire avant d'adresser à son ami un sourire doux.
Toi vraiment bon ami. Moi pas comprendre pourquoi autres pas aimer toi. Autres être idiots ! Il vient poser sa mains libre sur celles d'Oliver. Moi revenir très vite. Vouloir jouer avec toi et Finn. Plus jamais ça arriver, promesse !
Puis il jette à nouveau un regard à la couverture du livre.
Or...Orj...Orgueil et...P...Prég... Préjugés ? Ça raconter quoi ?
Ce n'est pas parce qu'il avait du mal à lire qu'il détestait les histoires, bien au contraire. Cela lui permettrait sans doute d'apprécier la compagnie de son ami sans avoir à pleurer tout le temps devant lui.
Ça commençait tout de même à faire beaucoup.
Puis, c'était mieux qu'il ne sache rien de plus pour le moment.
Le regard triste d'Ilya était inquiétant. Avait-il dit quelque chose de mal ? Peut-être que parler de la sorte était un tabou stranaïte, peut-être qu'il s'était finalement lassé de se laisser toucher. Oliver était déjà trop tactile pour un Kerosien, qu'en était-il de cette région lointaine ? Et voilà que son ami se mettait à trembler. De chagrin ? De dégoût ? D'une voix tremblante, il laissa échapper une pseudo-confession. Il semblait sincère mais le jeune garçon ne voyait pas de quoi il voulait s'excuser. Il n'avait vraiment aucune raison de le croire quand il jurait être une mauvaise personne. Il était une des rares personnes qu'il connaissait à ne jamais lui avoir fait de mal : pas une insulte, pas un cri, pas un coup. Et voilà que son camarade lui disait soudain qu'il avait tort de lui faire confiance ? Il avait même utilisé l'argument de la méfiance que ressentait son père à l'égard de l'étranger...
Jamais il ne l'aurait dit à voix haute et encore moins devant l'intéressé, mais il se foutait bien de ce que pensait son père... quand ça concernait ses amis, du moins.
Ilya semble prêt à déblatérer encore plus d'horreur sur sa personne, mais heureusement, il n'en est rien. Son regard se pose sur leur futur devoir de littérature, qu'il dévisage avec confusion. Ah, effectivement, Oliver comptait en parler à son ami mais cette histoire de cicatrices l'avait complètement déboussolé. Maintenant, il se sentait bien bête, il balbutia, les yeux rivés vers le sol :
C-c'est p-pour l'école.
Ilya lui répondit d'un petit rire et d'un adorable sourire, avant de prononcer des mots qui vinrent percer le cœur d'Oliver comme une flèche. Comme il avait du mal à digérer les compliments... d'une part, il venait d'entendre ce qu'il avait toujours rêvé d'entendre. "Ce n'est pas de ta faute", "ça ne devrait pas arriver", "ce sont les autres les méchants", "tu es une bonne personne". Tant de phrases qu'il n'avait jamais entendu alors qu'il les attendait désespérément. Et maintenant qu'on les lui adressait enfin, il était incapable de les apprécier passée l'euphorie de sa réaction initiale.
Son ami avait tort. Les gens au lycée avaient une bonne raison de le harceler. Il avait fait une erreur plusieurs années de cela et il en payait encore les frais. Parfois, il se demandait s'il n'avait pas assez payé comme ça, puis il se ravisait vite. Le jour où il se pardonnerait serait le jour où il accepterait d'être monstrueux. S'il devait continuer de se torturer pour rester normal, qu'à cela ne tienne... Pourrait-il le dire à Ilya ? Lui expliquer pourquoi tout le monde le détestait à raison ? Il savait sûrement déjà de quoi on le traitait mais ne connaissait pas l'origine de ces insultes... Non. Il n'était pas question de le perdre, pas déjà... il le fuirait sûrement. Il repenserait à toutes les fois où ils se sont tenus la main ou à l'embrassade qu'ils avaient tout juste partagé et se sentirait souillé. Sûrement prendrait-il part aux "festivités" avec le reste de l'école.
Il se contenta alors de sourire bêtement tandis qu'Ilya promettait de ne pas recommencer. Il ne le croyait pas mais il aimait entendre ses paroles réconfortantes et sentir sa main sur les siennes. Il avait l'impression d'avoir bien agi, d'être récompensé d'être une bonne personne. Il se satisferait de cette illusion.
Quand son camarade l'interrogea au sujet du livre, Oliver le saisit pour en lire la quatrième de couverture. Oh, il connaissait ce bouquin de nom, un "grand classique de la littérature", avait répété le professeur. On l'avait probablement déjà adapté en film. S'il avait pu, l'adolescent l'aurait plutôt regardé que de devoir passer des heures à lire sous pression. Il avait beau aimer bouquiner de son temps libre, les lectures imposées par le lycée étaient toujours d'un mortel ennui.
C'était une histoire d'amour - du moins elle se présentait comme telle. Mais aussi de mariages arrangés et de disputes familiales. Il n'aimait pas ce genre d'histoires, elles le rendaient trop triste. Il commençait toujours par s'émerveiller devant la romance parfaite entre les protagonistes et vers la fin, il se souvenait qu'il ne vivrait sûrement jamais ce genre d'idylles. Quel genre de fille voudrait d'une mauviette comme lui ? Il n'avait rien des gentlemen qui faisaient rêver l'héroïne. Souvent, d'ailleurs, il s'identifiait plus aux personnages féminins que masculins. Il s'était bien passé d'en parler à quiconque.
Ilya non plus ne comprendrait pas.
Ç-ça p-parle d'a-d'amour, mima-t-il en signant un cœur, les joues forcément roses dès qu'il abordait ce genre de sujet, t-tu aimes ? C-ce genre d-de livre ? demanda-t-il, curieux.
C'était toujours une façon plus indirecte de connaître son avis sur le sujet. S'il rêvait de tomber sur la personne qui ressentirait la même chose, ça ne serait sûrement pas Ilya. Les garçons n'aimaient pas les histoires à l'eau de rose, ils préféraient les récits de guerre ou les romans policiers.
T-tu v-voudras le lire... en-ensemble ? proposa-t-il timidement.
Il ne ferait définitivement pas le meilleur conteur, loin de là, Ilya risquerait même d'être frustré après à peine quelques pages de lecture à voix haute. Mais lui qui ne pouvait pas lire un simple message sans dictionnaire... il espérait pouvoir l'aider.
Une histoire d'amour ? Oh, ça changeait agréablement du dernier livre qu'il avait eut à traduire pour le premier mois de la rentrée -un véritable enfer qui avait achevé de le convaincre de sécher les cours d'ailleurs.
Le dernier livre que le professeur de littérature lui avait donné à étudier était un récit bien trop romancé de la guerre d'indépendance kerosienne.
Chaque mots avaient révulsés le stranaïte.
On voyait bien que l'auteur de ce livre n'avait jamais vécu la guerre de prêt. Sans doute un fils de riche ou un jeune inconscient, ou tout simplement un menteur ou quelqu'un qui n'avait pas eut à mettre un pieds au front.
La guerre n'était jamais 'glorieuse' ou 'salvatrice', Ilya en était convaincu. Pour le peu qu'il avait vécu à Strana, il s'en était bien rendu compte. Il avait accepté l'idée que l'époque des Tsars étaient révolue mais une révolution aussi sanglante n'était pas justifiable.
Peut-être inévitable.
Mais en aucun cas justifiable.
Alors quand Oliver lui annonça que ce livre-là parlerait d'amour, Ilya fut soulagé. Il conserva son sourire doux et lâcha doucement les mains de son ami pour aller chercher le livre et feuilleter les pages.
Il émit un 'Oh !' émerveillé en regardant les belles illustrations que le livre avait à offrir. Elles étaient complètement kitsch, mais il trouvait que ça les rendait encore plus belles.
Moi beaucoup aimé histoires comme ça. Expliqua-t-il, feuilletant toujours les pages avec une curiosité grandissante. Quand moi être petit, Mama raconter à nous histoires de princes et princesses...Contes de fées ! Moi beaucoup aimer. Genya et moi jouer à prince et princesse aussi. Mais elle toujours prince, jamais princesse.
Il émit un petit rire avant de continuer sur le ton de la confidence. Moi toujours aimer rôle de princesse. Jolies robes et amie avec les pokémons. Comme dans films Wattoualt Disney. Son sourire et sa voix se teignirent de mélancolie. Princesses toujours trouver bonheur, même après vie malheureuse. Comme Tsarevna-Liagouchka.
Il s'arrêta un instant, peut-être qu'Oliver ne connaissait pas l'histoire de la princesse Grenousse. Il devait au moins lui expliquer un peu l'histoire.
Tsarevna-Liagouchka être histoire de princesse Grenousse. Princesse devenir Grenousse à cause de Kochtcheï, méchant sorcier. Tsarévitch Ivan trouver Grenousse et devoir épouser elle. Il s'arrêta, ne sachant pas trop expliquer le processus qui avait poussé le prince à devoir épouser une Grenousse. Il n'avait pas vraiment le vocabulaire suffisant. Ça être...compliqué expliquer mais lui devoir épouser Grenousse. La nuit, Grenousse devenir princesse et faire choses jolies et magiques. Mais un jour, Ivan découvrir secret et princesse devoir retourner avec Kochtcheï. Ivan devoir faire voyage pour sauver princesse Grenousse. Lui réussir et tuer Kochtcheï, libérer princesse. Eux vivre heureux malgré tout leurs malheurs.
Il devait avoir des étoiles dans les yeux à expliquer son conte favori, celui qui avait bercé son enfance mais qu'il ne réussissait pas à trouver dans les recueils de contes kerosiens. Ses souvenirs étaient un peu vagues mais il se souvenait des grandes lignes. Et surtout des magnifiques illustrations dans le vieux livre de contes de sa mère.
Princesse s'appeler Vassilisa, comme Grande-tante. Admit-il en grimaçant. Mais moi préférer appeler elle Anastasia, comme Mama. Il conclut avec un petit ricanement. Grande-tante être Baba yaga, sorcière méchante qui manger enfant.
Il referma doucement le livre et adressa un grand sourire à son ami. Bien sûr, moi vouloir lire avec toi ! Ça être comme enfance à moi. Bon souvenir ! Après une courte pause, il reprends, un peu plus timidement cette fois. Merci être venu. Moi seul, malheureux, oublier pourquoi vivre mais toi rappeler. Moi aller mieux maintenant.
Silencieux, Ilya lâcha finalement prise avec un sourire qui fit presque oublier à Oliver le vide dans ses petites mains. Le jeune homme se saisit du livre pour le feuilleter, réfléchissant sûrement à la question de son cadet. Ça se comprenait : si le livre ne l'intéressait pas, pourquoi le lire, même avec un ami ? Son émerveillement en découvrant les illustrations surprit Oliver. Il ressemblait à un enfant, découvrant un roman par ses images avant de savoir déchiffrer les lettres. Finalement, c'était exactement la situation du Stranaïte, condamné à devoir se fier à des dessins à l'aquarelle. Enfin, pas si Oliver pouvait l'aider.
Quelle ne fut pas la surprise de ce dernier quand Ilya affirma être friand de ce genre d'histoires. Il ne s'en serait pas douté, et pourtant, ça faisait sens. Il s'en serait presque voulu d'avoir douté un instant du fait que son ami soit un grand romantique - le gentleman par excellence, le gendre parfait. Évidemment qu'il était comme ça, il était tout ce qu'il aspirait être et plus encore. Il était difficile de dire où s'arrêtait l'envie et où commençait l'admiration. L'idée qu'Ilya aime également les histoires de princesses était surréaliste. Était-ce normal, à Strana, qu'un garçon joue le rôle d'une fille et vice-versa ? On n'avait jamais grondé l'une de ses sœurs pour avoir voulu jouer un chevalier, mais passé un certain âge, elles avaient été sévèrement disputées pour lui avoir laissé jouer une énième fois le rôle de la princesse. Son père devait s'imaginer qu'il était malheureux, émasculé par les jupons qu'on lui avait fait porter, quand c'était tout l'inverse. Revenir en enfance lui avait été défendu. Un presque adolescent de dix ans qui joue à s'habiller en femme, ce n'est pas normal. Peu importe qu'il se soit plu en robe, il n'aurait plus le droit que de les admirer sur les courbes d'une jolie demoiselle. C'était probablement ce qu'entendait Ilya quand il admirait les costumes des héroïnes de Wattoualt Disney.
L'admiration se lisait clairement dans les yeux d'Oliver tandis qu'il écoutait Ilya parler de contes de fées. Il avait tellement progressé en seulement quelques semaines. Lui qui peinait à tenir une conversations du quotidien sans avoir recours à son dictionnaire tous les deux mots, voilà qu'il racontait avec une aisance presque énervante une histoire plutôt compliquée. C'était un conte qu'Oliver ne connaissait pas. S'il avait entendu des centaines d'histoires où un prince changé en Tarpaud avait besoin du baiser d'une belle jeune fille pour redevenir humain, celle d'une princesse elle-même devenue Grenousse était une nouveauté. Est-ce que tous les contes stranaïtes étaient différents ? Pour Oliver qui croyait les avoir tous entendus mille fois, il revenait en enfance en écoutant son ami raconter, se revoyant dans son corps de petit garçon, piquant du nez tandis que sa mère lui lisait livre après livre. Comme cette époque lui manquait.
À quand remontait la dernière histoire qu'on lui avait raconté ? S'il avait su que c'était la dernière, il l'aurait sûrement plus appréciée.
L'histoire touchait à sa fin. Le vilain sorcier était puni, le couple, réuni, et nul ne doutait qu'ils se marieraient et auraient beaucoup d'enfants. Ilya conclut avec une blague qui fit doucement rire Oliver, bien que la mention du nom d'Anastasia l'attrista un peu. Comment oublier l'état dans lequel il avait vu le jeune homme le lendemain de leur rencontre. Le simple fait d'y penser lui nouait la gorge. Mais il ne pouvait qu'apprécier une insulte envers une femme qu'il n'avait jamais vue, mais méprisait déjà.
Le sourire d'Ilya lui fit vite oublier sa colère et son chagrin. Il accepta enfin son offre, et Oliver était au paradis. S'il était toujours persuadé que son ami se lasserait de ses bégaiements et lui intimerait poliment d'"articuler ou se taire", il en profiterait autant que possible.
M-merci ! Merci b-beaucoup ! s'exclama-t-il avec peut-être trop d'enthousiasme pour un hôpital. Son engouement était juste trop fort pour être contenu.
S'il aurait cette fois-ci le rôle du conteur en expliquant les termes compliqués, il aurait aussi, il n'en doutait pas, une bouffée de nostalgie. Il repensa à tous les contes qu'on lui avait raconté à l'époque, les dessins animés qu'il avait regardé. Tous l'avaient impacté d'une certaine façon, peut-être trop. C'était sûrement de là que venaient sa vision biaisée de la romance et son cœur de Canarticho.
N-ne te m-moque pas, s'il te plait... commença-t-il timidement.
Si Ilya venait de lui parler de son récit préféré, il sentait que l'occasion était parfaite de confier un secret un peu honteux.
J-j'aime b-beaucoup l'histoire d-de la B-belle au B-bois dormant, murmura-t-il presque, les joues déjà roses d'embarras, t-tu sais, la p-princesse qui a d-dormi cent ans, précisa le jeune garçon, incertain des contes qui pouvaient exister ou ne pas exister à Strana, j-je sais que c'est p-pour les f-filles mais... son visage était désormais couleur Tamato, j-je la t-trouve t-très romantique.
Il se fichait bien que le prince et la princesse ne se soient vus que le temps d'une danse - du moins dans le dessin animé qu'il avait vu au cinéma tout petit. Être réveillé par un baiser, sauvé par le pouvoir de l'amour, il savait que c'était ridicule mais il ne pouvait pas empêcher son cœur de papillonner en y pensant. La Terre entière se serait moquée de lui s'il l'avait clamé, mais il faisait assez confiance à Ilya pour au moins faire semblant de comprendre.
Ah ! J-j'aime aussi l'histoire d-des Trois Ursaring. M-ma maman t-trouvait que j-je re-ressemblais à la p-petite f-fille, alors elle r-remplaçait t-toujours son n-nom par Oliver, ajouta le jeune garçon, espérant qu'une conte moins cucul la praline le rende un tantinet moins ridicule. Et puis, en parler lui avait permis de se rappeler d'un de ses meilleurs souvenirs d'enfance avec le sourire.
Les sourcils d'Ilya se froncèrent quand Oliver lui 'ordonna' de ne pas se moquer. Moi jamais moquer toi, toi savoir ça ! Dit-il avec une pointe de fierté solennelle.
Ce fut au tour d'Oliver de raconter des contes.
Ah ! La belle au bois dormant, voilà une histoire intéressante également. Ilya ne la connaissait que parce qu'elle avait été adaptée en ballet durant les heures de gloire de la Strana Impériale.
Il n'avait jamais vu le ballet et ses danseurs et danseuses, ni le faste des décors de du grand opéra de Stolitsa. Par contre, Anastasia, elle, s'en souvenait au point de pouvoir donner vie aux petites poupées de chiffons dont elle se servait pour raconter l'histoire à ses enfants.
Ilya n'avait pas spécialement aimé ce conte même si le fait qu'il soit raconté par sa mère le rendais cent fois mieux. Tandis si Genya se targuait de dire que si quelqu'un lui avait donné un baiser dans son sommeil, elle l'aurait égorgé comme un porc.
Ça faisait beaucoup rire les jumeaux à l'époque. Mais avec le temps et le sang versé, cette blague s'était teintée d'amertume.
Le sourire d'Ilya se teinta de mélancolie à cette pensée puis il fut surpris d'entendre Oliver parler de Boucle-d'Or et des trois Ursaring. Il vint aussitôt chercher l'un des livres imagés que lui avait confié le docteur Raine -un recueil de contes kerosiens- et l'ouvrit à la page où Boucle-d'Or piquait l'un des Porridges.
Il montra l'illustration à Oliver et lui demanda simplement : C'est quoi 'Porridge' ?
Attendant tranquillement sa réponse, il ne put s'empêcher de feuilleter le livre de contes imagés -qui devait être destiné à des enfants de 4 à 6 ans. Les illustrations étaient là-aussi très belles, et comme le docteur lui avait permit, Ilya avait passé son temps libre et griffonner quelques traductions sur les pages de texte.
C'est vrai que cette petite gamine aux cheveux d'or ressemblait à l'image qu'Ilya se faisait d'Oliver en petit enfant. Son sourire quitta enfin cette teinte mélancolique pour reprendre sa joie habituelle.
Ta maman avoir raison. Toi ressembler boucle-d'or, jolis cheveux blonds. Mignon. Il s'arrêta, se rendant compte qu'il n'avait pas utiliser le mot qu'il fallait. B-beau, moi vouloir dire beau.
Après une courte période de silence, Ilya reprit sur un autre sujet avec une voix beaucoup moins joyeuse.
Docteur Raine pas vouloir moi sortir maintenant. Lui vouloir garder moi pour moment. Toi venir hopital pour lire ? Un peu soucieux, il ajouta d'une voix timide. Si toi pas avoir temps, moi comprendre.
Cela voudrait dire recevoir la visite d'Oliver tout les jours -plus ou moins. Et l'idée que son cadet lui tienne compagnie lui plaisait énormément.
Finn aussi pouvoir venir, si toi vouloir. Nous retrouver tout les trois, pouvoir être drôle. Il marqua une nouvelle pause et se rendit compte que la venue de Finn impliquait de lui dévoiler ses blessures. Ça peut-être pas bonne idée. Moi pas vouloir inquiéter plus. Moi pas savoir comment expliquer bien. Lui pas comprendre. Il secoua la tête de gauche à droite avant de regarder Oliver d'un air décontenancé. Toi penser lui pouvoir comprendre ?
Ilya avait promis de ne pas se moquer et tint promesse. Pas un rire, même pas un sourire narquois ou un regard méprisant. Juste un air nostalgique alors qu'il se rappelait sûrement de sa propre enfance. Comment ne pas penser à la voix de sa mère narrant des histoires de princesses et de dragons quand on parlait de contes de fées ? C'était peut-être cette mélancolie qui l'empêchait de juger son ami. Il comprenait la vraie valeur de ces récits comme peu en étaient capables.
L'anecdote sur les Trois Ursaring sembla lui rappeler quelque chose. De l'autre côté de son lit se tenait une pile de livres et il vint se saisir de l'un d'eux. Un recueil de contes pour enfant, une lecture risible si l'on oubliait que le lecteur apprenait tout juste le kerosien. Il le feuilleta un moment avant de trouver ce qui l'intéressait. Oliver fut amusé quand son camarade lui montra l'illustration. C'était Boucle d'Or, en train de dévorer le dîner de Teddiursa. Il fallait croire qu'Ilya avait voulu vérifier cette soi-disant ressemblance. Mais c'était le terme de "porridge" qui l'avait laissé perplexe.
Um... c'est... il ne savait pas trop quels termes comprendrait Ilya. On ne lui avait jamais demandé d'expliquer quelque chose d'aussi basique que du porridge, alors à un étranger de surcroit ? Un p-petit d-déjeuner. Avec d-des graines. J-je n-n'aime p-pas vraiment...
Certes, personne ne lui avait demandé son avis, mais il n'avait pas su s'empêcher de ponctuer son explication d'un commentaire haineux et d'une moue. Cette horrible bouillie sortie tout droit de l'enfer galarien était bien trop fade à son goût. Il préférait de loin ses céréales à l'unysienne, trop sucrées pour son bien. On lui reprochait souvent d'être trop grand pour continuer à en manger, mais plutôt se laisser mourir de faim que de se mettre au porridge tous les matins.
Après quelques regards, Ilya se permit enfin de donner son avis sur la question sur la similarité entre l'héroïne et son ami. Avec un sourire qui ne portait aucune trace de moquerie et d'animosité, il confirma les mots de la mère d'Oliver. S'il fut d'abord un peu flatté, son sourire retomba vite. Il était censé apprécier qu'on lui dise qu'il était mignon, non ? Ilya avait même dit "beau". Peut-être ne parlait-il que de ses cheveux, mais dans tous les cas, entendre de tels mots de la part d'un autre garçon était horriblement doux-amer. D'autant plus qu'il savait que ces compliments n'étaient pas aussi sincères qu'il l'aurait aimé. C'était juste des compliments maladroits de la part d'une personne qui ne maîtrisait pas la langue ou les conventions sociales. Aussi coupable se sentait-il de ne pas juste retourner le compliment, Oliver n'arriverait pas à répondre. Il se contenta de rester silencieux, regardant ses doigts et ses pieds s'agiter pour tenter de se débarrasser en vain de son malaise.
Heureusement, Ilya ne s'attarda pas longtemps sur le sujet. Lui aussi en avait gros sur le cœur. La réalisation qu'il serait alité pendant plusieurs jours loin de ses amis le frappa enfin. S'il allait manquer à Oliver, ce dernier comprenait parfaitement. Quel médecin inconscient aurait laissé partir un patient qui avait probablement perdu beaucoup de sang et avait des tendances auto-destructrices le soir-même de son "accident" ? Le Docteur Skyblack, peut-être, mais celui-ci n'avait pas donné de signe de vie depuis des mois. Son successeur semblait bien plus compétent. Le Stranaïte invita alors son camarade à le visiter après les cours pour avancer leur lecture. Évidemment, la question ne se posait même pas. C'était lui qui avait proposé cette idée et il comptait bien la mettre en œuvre. Même si l'hôpital n'était pas le lieu le plus agréable pour passer du temps entre amis, il était toujours préférable à leurs foyers respectifs où l'un était toujours le malvenu.
Malheureusement, malgré toute la sincérité avec laquelle Oliver voulait s'écrier qu'il acceptait, il resta silencieux, toujours taraudé parce des mots qui auraient dû le réjouir. Ses lèvres étaient pressées comme pour empêcher un flot de paroles paniquées de s'échapper. Il écoutait, tout de même, c'était la moindre de choses, mais son esprit était clairement ailleurs. Alors, il ne répondit pas à la question du jeune homme. Il se contenta de le regarder dans les yeux avec un air à la frontière de la tristesse et de la misère.
H-hé, Ilya... bien vite, son regard fut incapable de soutenir les iris bleus glacés de son interlocuteur, alors il retourna étudier le carrelage, qui le jugerait sûrement moins, j-je suis d-désolé m-mais... il l'était vraiment. Il n'aimait pas ce qu'il s'appétait à dire mais Ilya devait savoir avant de répéter son erreur, à... à Keros... les g-garçons n-ne doivent p-pas dire aux autres g-garçons qu'ils sont m-mignons... ou b-beaux...
Sa voix se cassait déjà. C'est qu'il avait bien des mauvais souvenirs qui remontaient. Celui d'avoir eu le malheur d'affirmer qu'un certain camarade au collège était beau, en toute innocence, avant de réaliser bien trop tard que pour beaucoup d'adolescence, l'innocence n'existait plus. Qu'à son âge, trouver quelqu'un "beau" ou "mignon" avait toujours des implications impures. Et il fallait voir où ces simples mots l'avaient mené. En cinq ans, la situation s'était envenimée un peu plus chaque jour, au point où il était convaincu de mériter son châtiment. Il ne voulait pas de ça pour Ilya. Ilya n'était pas apprécié au lycée, mais au moins, à part quelques voyous, on ne lui criait pas des insultes, on ne le frappait pas, on ne se permettait pas de lui voler ses affaires, d'écrire des insanités dessus avant de les lui rendre couvertes d'ordures, on n'osait lui mettre des mains au cul en l'accusant d'aimer ça. Il n'avait déjà pas une vie facile, alors... s'il pouvait lui épargner de souffrir davantage au lycée, il le ferait.
Il n'aimait simplement pas être la personne qui devrait lui apporter la nouvelle.
Voilà qu'il avait mit Oliver dans un drôle d'état sans savoir pourquoi. Il s'était arrêté de parler pour avoir une réponse de son ami concernant son épineuse question.
Mais les paroles de ce dernier ne concernait en rien Finn.
Les garçons ne doivent pas appeler les autres garçons 'beaux' ou 'mignons' ? Avait-il encore fait une bêtise ? Oh, mince.
Il savait que l'homosexualité n'était pas 'permise' à Keros. Voilà qui avait dû embarrasser Oliver, le pauvre...
Enfin, Ilya le regarda d'un air pensif. Pouvait-il lui dire que lui-même était... ? Non, ils étaient peut-être amis, mais c'était sans doute l'équivalent de lui avouer ses crimes.
Pardon. Fit-il simplement en refermant le livre de contes. Il se sentait à présent triste sans savoir exactement pourquoi. Les yeux dans le vide avec une nouvelle envie de pleurer, il avait du mal à réfléchir.
Ce monde était injuste et peuplé de gens qui ne comprenaient rien. En quoi était-ce mal de dire à un garçon qu'il était mignon ? Ou même de l'aimer ? Ça ne regardait personne et ça ne faisait de mal à personne non-plus.
C'était définitivement injuste.
Mais pourtant, il s'était fait à cette idée. Pourquoi était-elle si douloureuse à présent ? Peut-être parce qu'il l'entendait de la part d'un ami. De son meilleur ami même.
Il secoua la tête, chassant la frustration naissante au creux de ses entrailles.
Ça pas important. Nous être amis. Moi pas dire ça devant autre mais toi savoir, toi être beau. C'est tout.Déclara-t-il en haussant les épaules. Ce n'était pas subtil, mais il ressentait le besoin de lui dire.
À bien y réfléchir, Ilya pensait qu'il était moins grave qu'Oliver brise leur amitié parce qu'il était 'comme ça' plutôt que parce qu'il avait apprit que le stranaïte avait du sang sur les mains.
Il croisa les bras et se laissa tomber sur son oreiller. On aurait dit qu'il boudait comme un enfant. Ce qui n'était pas totalement faux. Il ne voulait pas vraiment se l'avouer mais il était vexé. Pas que ce soit de la faute à Oliver mais...
Il ne comprenait pas ce sentiment de rejet et de chagrin qui l'envahissait et préférait interpréter ça comme de la frustration et une colère naissante face à une règle qu'il trouvait ridicule.
Non, il ne devait pas se donner à nouveau en spectacle devant son ami. Le pauvre aurait cru que c'était de sa faute -peut-être l'était-ce mais ce n'était en rien volontaire, il voulait juste aider. Ilya décroisa les bras et poussa un lourd soupir. Son regard s'évada vers le ciel qui se couvrait peu à peu de nuages.
Toi pas répondre question. Moi pas savoir si devoir dire à Finn. Lui gentil, moi pas vouloir inquiéter. Moi faire mal à toi. Pas vouloir recommencer. Murmura-t-il d'une voix qui laissait clairement transpirer sa tristesse.
Il s'en voulu de ne pas pouvoir faire semblant que tout allait bien, que ce qu'Oliver avait dit ne lui avait rien fait. Mais c'était ainsi, il avait le cœur serré sans savoir pourquoi et même avec toute la volonté du monde, il ne parvenait pas à le cacher.
En vérité, il n'en voulait pas à Oliver. Il en voulait à tout Keros...Non, au monde entier de penser qu'un garçon n'avait pas le droit de dire 'beau' ou 'mignon' à un autre garçon.
L'air peiné dans les yeux d'Ilya fit immédiatement regretter ses mots au jeune garçon. Il l'avait blessé, c'était évident. Honteux, il se recroquevilla un peu sur lui-même. S'il lui avait avoué ça, c'était surtout pour son bien, qu'il ne dise pas ce genre de choses à des personnes mal intentionnées... mais du point de vue du Stranaïte, il avait juste refusé son compliment, l'avait insulté. Croyait-il qu'Oliver l'avait accusé d'aimer les hommes d'une manière peu appropriée ? Ce n'était pourtant pas son intention. Il savait qu'Ilya était mille fois plus normal que lui, il s'était juste dit qu'il lui épargnerait une réputation comme la sienne en lui apprenant ce qui se disait ou non à Keros. Après un silence beaucoup trop long et terriblement inconfortable, il s'excusa.
D-désolé !
Il avait parlé en parfaite synchronisation avec les excuses d'Ilya. Pourquoi était-il désolé, exactement ? Des deux, c'était bien Oliver qui avait dérapé. Il s'en voulait mortellement. Il aurait dû faire comme toujours, la fermer, garder ses sentiments et ses peurs pour lui, pour éviter de polluer les autres quand il s'ouvrait à eux. S'il s'était contenté d'accepter les compliments et de remercier son ami, ils seraient tous deux sortis de cette conversation avec le sourire. Mais il aurait fallu qu'Oliver soit normal. Il aurait fallu qu'Oliver puisse recevoir un compliment d'un garçon de son âge sans paniquer, sans rougir, sans rendre les choses plus bizarres qu'elles ne le sont réellement. Il avait bien pu le constater la première fois qu'ils s'étaient parlés. Le fait d'être appelé "mignon" l'avait mis dans tous ses états. Un autre lycéen se serait sûrement contenté de rire, pas affecté le moins du monde. Lui s'était tout de suite mis en tête des images perverses. Jamais on ne flirterait avec lui, et sûrement pas un autre homme.
Il laissa d'abord parler Ilya. Après tout, il avait un peu perdu le droit de parler après ça. S'il avait pu mourir sur place, il aurait accepté ce cadeau des dieux avec joie. Mais le Ciel était cruel et se délectait probablement de le voir souffrir. C'était sa punition. L'expression du jeune homme était difficile à lire. Était-il vexé ? Triste ? Énervé ? Peut-être les trois. D'un instant à l'autre, Oliver anticipait des cris, des coups, quelque chose. Si c'était tout ce qu'il fallait pour se faire pardonner, il accepterait son sort. Mais rien de tout cela ne vint. Au contraire, Ilya parla posément, non sans une pointe d'aigreur. Oliver devint rouge de honte. Oui, ils étaient amis, rien de plus, rien de moins, et son ami avait voulu le complimenter en tout bien tout honneur. C'était qu'il débutait tout juste avec ce concept d'amitié...
D-désolé...
Il aurait aimé s'arrêter là, mais il semblait évident qu'Ilya méritait un peu plus.
J-je n-ne voulais p-pas...
Il leva un peu les yeux pour faire face à son interlocuteur. Avec ses yeux humides et son air abattu, il devait ressembler à un Ponchiot abandonné.
C'est... les autres vont d-dire d-des choses sur toi. A cause d-de moi.
Il repensa au festival, à Johnson et ses amis. Il était déjà trop tard, n'est-ce pas ? A quel point la rumeur était-elle répandue ? Juste Thomas et sa troupe ? Toute la classe ? L'école ? Les professeurs aussi, alors ? Peut-être toute la ville était-il au courant. Cela voulait aussi dire ses parents. Ils ne pouvaient pas entendre ça, en particulier avec les mots qu'avait utilisé la brute. Et Ilya alors ? Lui aussi était forcément affecté par ces rumeurs. Il avait beau ne pas connaître toute l'étendue du vocabulaire kerosien, Oliver ne doutait pas qu'il comprenait une bonne partie de ce qu'on disait sur eux. Il n'était pas stupide et pourtant il l'avait traité comme un gamin incapable de faire ses propres choix. Malgré toutes les horreurs sur son dos, il continuait à le considérer comme son ami et à lui dire de belles choses.
J-je suis vraiment d-désolé. T-tu est t-trop gentil avec m-moi... malgré ses quelques larmes, il rigolait presque, un demi-sourire sur les lèvres, merci b-beaucoup. T-tu as raison, on est amis.
Il considéra un instant l'idée de lui retourner le compliment. Il en avait à son égard, d'ailleurs. Il était élégant, bien bâti, sensible, attentionné, intelligent et drôle. Mais aucune de ses qualités ne voulut sortir, pas même quand il ouvrit la bouche. Elles restèrent coincées par une barrière d'inhibition impossible à abattre. Un jour, peut-être, mais certainement pas ici, à l'hôpital alors qui essuyait ses yeux avant que d'autres gouttes ne coulent le long de ses joues.
F-Finn est aussi n-notre ami. Il est moins b-bête que moi, j-je p-pense qu'il n-n'aura pas p-peur com-comme moi ! répondit-il dans un petit rire gêné.
Finn était plus courageux que lui. Il savait garder un visage impassible mais restait quelqu'un d'empathique. Il comprendrait sûrement bien mieux Ilya que lui. Il ne se mettrait pas à paniquer et à pleurer au point d'avoir besoin d'un câlin pour se remettre de ses émotions. Et puis, Ilya avait raison. L'idée de se retrouver tous les trois pour finir ce livre ensemble était très plaisante. Ses parents seraient sûrement ravis d'entendre qu'il rentrerait plus tard tous les soirs parce qu'il faisait ses devoirs entre amis.
J-je lui parlerai, d-demain. J-je suis sûr q-qu'il d-dira oui. promit-il calmement.
Avec Finn, au moins, il n'oserait pas parler de choses gênantes. Il ne dirait rien de compromettant, ne mettrait pas Ilya mal à l'aise et ils s'en porteraient mieux tous les deux. D'ailleurs, ne serait-il pas plus simple qu'Oliver laisse ses deux amis seuls ensemble ? Après sa bourde, il avait mérité d'étudier seul dans son coin pendant qu'ils révisaient ensemble.
D-dis... tu veux toujours q-que j-je vienne ? Après ce q-que j-je t'ai d-dit ? J-j'ai vraiment été m-mauvais, j-je suis d-désolé, demanda-t-il avec l'air coupable d'un Voltoutou qui aurait mangé le dernier biscuit, si tu n-ne veux pas, j-je comprends.
Était-il égoïste d'espérer de tout cœur qu'Ilya lui dise non ? Qu'il serait toujours le bienvenu ? C'était que sa mère n'aimait pas quand il s'excusait de la sorte. Elle lui reprochait de partir à la pêche au sentiment. Mais sa peur du rejet était bien réelle. Son syndrome de l'imposteur aussi. Il avait besoin d'être rassuré, et apparemment, ça faisait de lui une mauvaise personne.
Alors il avait une bonne raison de demander pardon, au final.
Oh, bien sûr qu'il savait que ce n'était pas la faute d'Oliver. Bien sûr que ce n'était pas pour le blesser que l'adolescent lui avait fait cette remarque.
Était-ce son amour propre qui avait été blessé ? Ou autre chose dont il ne connaissait pas l'existence jusqu'à là ?
Il laissa son cadet parler sans vraiment oser l’interrompre, regrettant plus que jamais le fait de ne pas pouvoir avoir fait semblant d'aller bien, de prendre ce commentaire comme une personne normale l'aurait prise.
Mais Ilya n'était pas 'normal'. Pour l'instant, seul Genya le savait. Et elle était préparée à garder ce secret jusquà la tombe.
Pauvre Oliver, il ne pouvait pas comprendre, il s'imaginait sans doute qu'Ilya était 'normal' et qu'il se voyait vexé d'être comparé à ce que la vielle Vassilisa appelait 'ces gens-là' d'une voix pleine de mépris.
Le stranaïte eut envie une nouvelle fois de tout déballer, de lui expliquer que ce n'était pas sa faute, qu'il ne pouvait pas savoir qu'il parler à 'l'un d'entre eux'.
Alors quand le petit blond eut terminé son discours qui, quelle surprise, consistait à se blâmer plus que de raison, Ilya vint lui saisir la main et lui serrer, sans pour autant lui faire mal. Il voulait lui faire comprendre que ce qu'il allait dire était important et qu'il devrait s'en souvenir à l'avenir.
Oliver. Moi...Je m'en fiche. Il marqua une pause. C'était la première phrase à peu prêt correct qu'il prononçait. Il reprit cependant. Je m'en fiche de Johnson et de lui quoi dire. Pas vouloir être ami avec eux. Eux dire moi fou ? Pédale ? Suceur de bite ? Je m'en fiche. Tu être mon ami. Jamais abandonner toi, c'est tout.
Il marqua une pause et vit chercher le regard fuyant de son cadet.
Nous être amis. Vrai. Affronter ensemble, tu protéger moi, je protéger toi. S'il-te-plaît, tu pas dire toi bête. Toi pleurer, avoir émotions et parler bizarre ? Moi aussi être bizarre et pleurer. Tu pas devoir penser moi normal, ça être faux. Il baissa les yeux et regarda, plein d'amertume, les cicatrices sur son bras gauche et son bras droit emmitouflé dans un bandage. Toi pas moquer moi quand moi pleurer, moi faire crise, ça être pour ça que moi appeler toi ami. Ça être pareil pour toi, vrai ?
Il lui adressa un sourire timide mais franc. Moi triste, pas ta faute. Monde pas juste.
Il y eut une période de silence. Ilya baissait les yeux à présent. Essayant de calmer ce sentiment qu'il n'arrivait ni à identifier, ni à cacher.
De quoi parlait-il déjà ? Ah oui, Finn. Je pas savoir si Finn aimer histoire d'amour mais... Ça pouvoir être drôle. Et toi venir, obligé ! Il vint poser une seconde main sur celle d'Oliver. Moi besoin toi pour expliquer à Finn, juste être là si toi pas savoir quoi dire. Ça aller. Juste toi être là donner moi courage.
Puis le silence revint.
Si Ilya devait lâcher la main d'Oliver, ce ne serait pas lui qui en prendrait l'initiative. Tu être bonne personne. Je y croire, pas mentir. Promesse.
Le contact de la main du jeune homme sur la sienne fit presque bondir Oliver. Il s'était davantage attendu à une réaction violente, ou même à de l'indifférence. Ce qu'il avait dit ne méritait en rien de l'affection. Pourtant, il avait beau savoir ne pas mériter de poignée de main, il ne bougea pas, il se contenta simplement de baisser les yeux une fois la surprise passée.
La réponse du Stranaïte fit trembler le jeune garçon. Non seulement il ne l'avait pas habitué à parler avec une grammaire si nette, mais il s'était vite inquiété du sens des mots "je m'en fiche". Je m'en fiche... de toi ? De tes émotions ? De tes problèmes ? Oliver s'attendait au pire, il y était résigné même. Il se préparait pour un impact qui n'arriva pas. Pour l'énième fois de la journée, il s'était laissé emporter. Il ne pouvait pas nier que la sensation de soulagement était toujours grisante, comme lui enlevant un poids de la poitrine. Oliver, lui, ne se fichait pas de ce que Johnson, ses amis ou le reste de l'école pouvaient dire, c'était bien là le problème. Il voulait être aimé mais il ne récoltait que de la haine, difficile de penser à autre chose quand ses journées de cours se résumaient à un torrent d'insultes. Ilya, lui, réussissait à se moquer des pires horreurs. Il l'enviait tellement. Cette force d'esprit, cette confiance en soi qu'il lui prêtait... S'il ne pourrait jamais faire son chemin sans se soucier de ce que les autres pensent de lui, Oliver serait au moins rassuré de savoir que son ami ne souffrait pas autant que lui des rumeurs dans son dos. Ilya s'en moquait pour deux, lui en souffrirait pour deux.
Le grand blond sembla remarquer les regard fuyant de son camarade et chercha à le croiser. Oliver était toujours trop honteux pour oser le soutenir mais il voulait avant tout faire plaisir à ceux qu'il aimait. C'était horriblement difficile, mais il força ses yeux à se fixer sur le visage d'Ilya pour l'écouter parler. Lui qui faisait de son mieux pour ne pas le regarder directement dans les yeux, il devait avoir l'air bien plus bizarre à analyser chaque centimètre carré de sa face. Heureusement, pris dans son monologue, il ne le remarqua pas.
Le jeune garçon ne put cacher son sourire timide et ses joues roses en entendant Ilya parler d'amitié avec tant de sincérité. N'était-ce pas tout ce dont il avait jamais rêvé ? Une relation forte et inconditionnelle, où l'un est toujours là pour soutenir l'autre et vice-versa. Ce qui manquait le plus à Oliver au quotidien était sûrement, entre autre, le sentiment de sécurité. Toujours à se sentir à deux doigts de la mort, c'était éreintant. Il n'en pouvait plus. Et chaque fois qu'il pensait craquer il découvrait qu'il pouvait ranger encore un peu plus d'anxiété avant que la bouteille n'explose. C'était le cas depuis des années. Si Ilya avait trouvé un exutoire, ce n'était pas son cas.
Que se passerait-il s'il venait à craquer ? Il ne le savait pas et n'osait pas y réfléchir.
De toute façon, avec Ilya à ses côtés - et aussi Finn, désormais... il n'aurait plus à se sentir seul, à se sentir en danger, à être toujours à l'affût des prédateurs, n'est-ce pas ? À écouter son ami parler avec tant d'éloquence du lien qu'ils partageaient, il avait envie de croire que tous ses problèmes disparaîtraient par magie, comme la malédiction de la Belle au Bois dormant.
Ilya disait ne pas être normal. Oliver ne le croyait pas vraiment. Il avait beau être plus émotifs que les autres garçons du lycée, avoir vécu une vie qu'il imaginait désastreuse et en garder des plaies autant physiques qu'immatérielles, il était mille fois plus normal que lui, ça se voyait. Il ne se tenait pas comme une fille, ne parlait pas comme une fille, ne se comportait pas comme une fille. Ilya savait-il au moins ce qu'Oliver entendait par "normal" ou "pas normal" ? Probablement pas. S'il n'avait pas eu le malheur d'avoir un accent, et malgré tout le bon sens du monde, il était toujours persuadé que sa famille l'aurait volontiers échangé. Oliver aurait fini avec la vieille Winters. Bah, il avait l'habitude d'être traité comme la pire des ordures, alors une de plus ou de moins...
Il se contenta néanmoins d'acquiescer silencieusement, ne voulant pas froisser son ami davantage. S'il devait lui faire comprendre quelque chose, c'était que son affection était sincère. Il se permit de rendre la petite pression dans la main de son ami, histoire de dire sans utiliser de mots "je comprends, je suis là". Pour le moment, il préférait se taire et laisser finir Ilya.
C'était bien honteux, mais Oliver avait oublié que la question concernait Finn, avant qu'il ne vienne jouer les victimes et ne ruine l'ambiance. Il était vrai qu'il ne s'était pas demandé si le garçon aux cheveux blancs était un grand amateur de ce type d'histoires, mais s'il était un lecteur curieux ou que son propre professeur lui avait également demandé de le lire, alors ils passeraient sûrement de bons moments à découvrir et se moquer de l'histoire. Bien évidemment, tout n'était pas rose. Finn devrait voir les bandages et Ilya devrait lui expliquer à son tour. Il voulait qu'Oliver soit là, comme soutien. Un genre de Pokémon d'aide, comme ceux qui viennent en aide aux handicapés et aux personnes âgées. Ça ne lui déplaisait pas, tant qu'il pouvait se rendre utile. Il hocha la tête avec un petit sourire en sentant une deuxième main se poser sur la sienne. S'il n'avait pas à parler, il ne risquait pas de tout gâcher, au moins.
Un moment de silence passe, sans que la chaleur sous des doigts ne disparaisse. Oliver ignorait si Ilya en était conscient ou s'il avait bêtement omis de retirer sa main après son grand discours, mais il ne dit rien. Sa partie rationnelle voulait juste éviter un autre moment gênant à lui expliquer que les garçons ne sont pas non plus censés se toucher de cette façon, mais l'autre lui criait de la boucler, qu'il était bien et presque heureux de recevoir un minimum d'affection. Alors il en profiterait, tant pis pour Ilya. Et puis, si ce dernier l'accusait, il pourrait aussi prétendre avoir oublié.
Il se serait presque assoupi sur le lit, avec son doudou taille réelle dans la main, mais la voix du fameux "doudou" l'en empêcha. Comment faisait-il pour connaître tous les mots qu'il avait toujours voulu entendre ? D'abord, il était mignon, puis gentil, puis un ami, un bon ami, maintenant, une bonne personne. Il n'arrivait pas à le croire. On lui avait trop répété le contraire pour qu'un seul compliment suffise à faire table rase. Il n'arrivait pas à le croire mais il le voulait. Il avait beau ne connaître le Stranaïte que depuis un peu plus d'un mois, il portait déjà beaucoup plus d'intérêt à son avis plutôt qu'à celui de ses camarades ou de ses professeurs.
À sa grande honte, parfois celui de ses parents aussi.
D'aucuns diraient que ce n'était pas sain et qu'il ne devrait pas accorder tant de confiance aussi vite, mais ces gens-là n'avaient pas vu le sourire subtile qui ornait les lèvres d'Ilya. Il ne pouvait pas mentir. C'était impossible.
M-moi aussi... j-je sais q-que tu es une b-bonne personne, répondit-il, agité.
C'était le plus proche qu'il avait pu lui faire des compliments qui lui pendaient au bout de la langue. Il avait dû redoubler d'effort mais il était satisfait. Son visage n'en était pas moins rouge et il se sentait obligé de jouer avec ses mèches blondes pour dissiper son trac, mais au moins, il avait été honnête.
Il n-n'est pas t-trop tard, pas vrai ? On pourrait c-commencer le livre, songea-t-il à voix haute, avant de se raviser, trouvant son idée stupide. Il serait plus judicieux d'attendre Finn. Ou alors... de sa main libre, il montra du doigt la pile de contes de fées, on p-pourrait c-commencer par ça, il espérait ne pas avoir l'air ridicule avec sa proposition, au point où ses oreilles brûlaient, c'est plus f-facile pour toi... et p-pour m-moi, avoua-t-il.
Maintenant qu'il y pensait, l'idée lui plaisait. Sa voix ne dirait pas non à un peu d'entraînement avant de s'attaquer à un grand roman.
Encore une fois, Oliver lui affirmait qu'il était une bonne personne.
Au lieu de le soulager ou de le faire sourire, cela lui provoqua un nouveau pincement au cœur. Son ami n'avait-il pas assisté à sa perte de contrôle pendant les festivités d'Halloween ?
Lorsqu'il avait tiré sur ces foutus ballons en imaginant la tête de Johnson et en étant ravi d'effrayer le forain du stand.
À y repenser, peut-être même que l'idée de retourner l'arme contre ce dernier lui était passée. Elle avait sans doute agrandit un sourire déjà bien grand.
Il avait réellement apprécié ce moment. Les regrets et la culpabilité n'étaient venus qu'après. Ces deux-là arrivaient toujours trop tard de toute façon. Une fois le mal fait.
Et si un jour, il pensait que ce serait une bonne idée de s'en prendre à Oliver ? L'idée, tout de suite, était stupide, certes. Mais il n'était plus lui-même dans ces moments là, comment savoir ce qui lui passerait par la tête ?
Peut-être était-ce mieux si il n'avait pas d'amis. Aucun risque de blesser qui que ce soit.
Sauf que voilà, il était égoïste. Enfin, il se jugeait égoïste. Il ne voulait pas être seul, il voulait que quelqu'un l'accepte et soit là pour le soutenir quand il s'effondrait pour une énième fois. Comme si Genya ne lui suffisait pas.
Alors oui, quand Oliver lui déclara qu'il était convaincu que son ami était une bonne personne, Ilya ne put sourire. Même un sourire triste.
Il eut un rictus de honte.
Heureusement, Oliver revint au sujet de la lecture du livre. Ilya hocha la tête.
Contes de fée bien pour commencer. Puis il marqua une pause puis reprit. Tu connaître l'histoire de l'homme Lougaroc ? Ça être histoire d'un homme qui devient Lougaroc la nuit. Lui redevenir humain grâce à collier magique. Mais méchante femme voler collier et cacher. Princesse courageuse le retrouver et sauver homme Lougaroc. Eux vivre heureux à la fin. Il échangea un regard triste et coupable avec Oliver. Moi comme homme Lougaroc. Quand choses aller mal, comme quand Johnson embêter nous pendant Halloween, je perdre mon collier, devenir Lougaroc. Toi et Finn me le rapporter. C'est bien. Mais je rester homme Lougaroc.
Il baissa le regard, puis se saisit du livre qu'Oliver lui avait apporté pour le serrer contre lui comme si il avait s'agit d'un doudou. Le fait de ne pas en avoir un sous la main lui manquait particulièrement.
C'est débile, pardon. Dit-il simplement.
À force d'essayer de convaincre Oliver qu'il n'était pas un ange, ce dernier finirait sans doute par être exaspéré. Mais il aurait tellement voulu qu'il comprenne. Ne pas avoir la sensation de lui mentir, qu'il soit accepté pour ce qu'il était et non pour ce qu'il montrait.
Mais cela impliquait de révéler des choses trop lourdes, beaucoup trop lourdes à supporter pour les frêles épaules de son ami. Sois il refuserait de le croire, sois leur amitié s'arrêterait là. Alors Ilya essayait la métaphore comme dernier recours, comme l'abruti qu'il pensait être.
Et maintenant, par débit, il changeait de sujet en montrant du doigt la pile de livre.
Tu aimer la Belle au Bois Dormant, vrai ? Ça y être. Tu pouvoir lire ça pour commencer. Je pas encore lu. Je connaître conte de Strana, pas savoir si conte de Keros pareil.
Ilya sembla apprécier l'idée de commencer par une lecture plus simple : il avait un petit sourire en coin. Un qui, Oliver devait l'avouer, ne semblait pas parfaitement sincère, mais il priait pour n'être que le fruit de son imagination. Depuis qu'il était arrivé, il n'avait pas arrêté de s'imaginer les pires scénarios, de se persuader qu'au moindre faux pas, son ami se mettrait à le détester. Alors quand un simple sourire lui serra la poitrine, il décida, pour une fois, de taire ses angoisses.
Reparti sur le sujet des contes de fées, le Stranaïte sembla se souvenir de l'un d'eux. Encore une fois, c'en était un qu'Oliver ne connaissait pas. Des histoires d'hommes-Lougaroc ne manquaient pas au folklore kerosien, mais il s'agissait plus souvent d'effrayer les enfants que de raconter les péripéties de ces derniers. Le jeune garçon admirait vraiment la culture de son camarade. Il connaissait tant de choses... il devait être curieux, intelligent, sagace, mais était encore handicapé par la barrière linguistique. Seul Arkée savait de quelles prouesses il serait capable à l'avenir. Mais le sourire émerveillé d'Oliver retomba vite quand Ilya se compara au monstre lycanthrope. Il reparla de la soirée d'Halloween et de ses débordements au stand de tir. Oliver aurait menti s'il avait dit qu'il n'avait pas été effrayé. Il avait eu plusieurs jours pour se ressaisir. Ilya avait fait ça pour leur bien, par amitié, il n'avait rien d'une créature assoiffée de sang ! Le fait qu'il n'arrive pas à s'en rendre compte serrait le petit cœur de son cadet. Lui-même ne connaissait que trop bien la sensation de haine et de peur envers lui-même. Savoir que son ami ressentait la même douleur l'attristait au plus haut point. Il s'était habitué à souffrir mais refusait toujours celle des autres.
L'homme-Loug... Lougaroc... m-même s'il se t-transforme... il redevient t-toujours gentil, à la f-fin, p-pas vrai ? demanda-t-il avec un petit sourire plein d'espoir, si tu es c-comme lui, j-je sais q-qu'au f-fond, t-tu resteras t-toujours gentil. F-Finn et moi... j-je serai t-toujours là p-pour ramener le c-collier. finit-il, les joues légèrement rosées.
Il n'était pas fier de sa métaphore, mais il espérait qu'elle ferait comprendre son point de vue à Ilya. S'il avait l'air niais, tant pis pour cette fois. De toute façon, après sa confession, il était sûrement trop tard pour sa crédibilité. Il serait vu à jamais comme une nunuche. La preuve : Ilya s'était souvenu de son conte préféré. Il en était étrangement flatté. Certes, leur conversation datait de, combien, cinq minutes ? Pas plus de dix ? Mais il était plus heureux qu'il n'aurait dû l'être de se sentir écouté, pour une fois.
Il trouva assez facilement le bon livre et le feuilleta quelques secondes pour s'assurer qu'il était le bon. C'était le second conte du recueil. Le titre était écrit avec de belles enjolivures imitant celles du Moyen-âge, et était illustré du corps de la princesse reposant sur son lit. Elle aussi était représentée avec de beaux cheveux blonds et bouclés. Oliver retourna s'assoir, un peu plus près de son ami cette fois-ci, pour lui permettre de bien voir les images (et le texte : il était important qu'il apprenne à identifier l'alphabet, après tout !). Peut-être étaient-ils un peu trop serrés, mais petit comme il était, Oliver n'en souffrait pas particulièrement.
Le trac lui revint. Il n'était soudain plus certain qu'il était prêt à se donner en spectacle. Ilya aurait-il la patience de l'écouter jusqu'au bout ? Finirait-il par buter sur un mot au point de s'effondrer de honte ? Le Stranaïte réaliserait-il que la version kerosienne était plus neuneu que celle avec laquelle il avait grandi ? Oliver poussa un long soupir. Il s'était engagé à ça, il ne pouvait plus vraiment reculer. Ilya serait déçu. Après une grande inspiration, il commença.
I-il était une f-fois...
Heureusement, le conte était bien familier. Encore heureusement, la lecture était destinée à des enfants apprenant tout juste à déchiffrer leur langue natale. Le vocabulaire était simple, assez pour qu'il n'ait pas à trop hésiter sur la diction. Il se retournait néanmoins de temps en temps pour s'assurer qu'Ilya comprenait bien des termes qui lui semblaient moins évident, prêt à jouer son rôle de professeur du haut de ses seize ans. Il était ravi, il se sentait utile.
Vint le moment clé de l'histoire. Peut-être plus inspiré du dessin animé que du conte ancestral, cette version voyait le prince combattre la méchante fée avant de pouvoir traverser le buisson de ronces et rencontrer la belle étrangère dont il était tombé amoureux. Oliver bégaya plus que jamais en tentant de décrire la scène du baiser, rouge comme un Écrapince, cherchant à éviter de regarder l'illustration. Pourtant, elle était jolie. Dans une pose dramatique, le beaux chevalier se penchait au dessus du lit de sa belle, les lèvres à quelques millimètres se sceller leur baiser et de briser la malédiction. Au prix de nombreux balbutiements, il parvint à venir à bout de la fin de l'histoire. Sur les derniers mots de "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants", il laisse s'échapper un souffle qu'il gardait depuis il ne savait combien de temps. Ses joues étaient flamboyantes, mais il était content d'avoir fait ça.
J-j'espère q-que ça t'a plu, demanda-t-il en se retournant vers son ami. A chaque fois, il devait se tordre le cou pour le regarder dans les yeux tant il était grand, p-parfois, l'histoire c-continue et la m-maman du p-prince essaie de m-manger les enfants... marmonna-t-il, toujours pas remis d'un certain traumatisme d'enfance, m-mais j-je préfère q-quand ça f-finit b-bien. ponctua-t-il dans un petit rire.
Il était sûrement trop naïf, mais un peu de positivité ne pouvait pas faire de mal, pour changer. Comme l'histoire de l'homme-Lougaroc ou celle de la Belle au Bois dormant, il espérait que la leur finisse bien aussi.
'Le problème avec les contes de fée, c'est qu'ils mentent. Ça se finit jamais bien dans la vie.'
C'est ce que failli rétorquer Ilya. Mais il fut dissuader par l'air tellement sincère et convaincu de son ami. Ça lui donnait presque envie d'y croire lui aussi mais...
Dans son cas, la reine était morte. Le prince et sa sœur la princesse vivaient dans un vieux manoir poussiéreux à la merci d'une vielle sorcière qui s'amusait à leur donner des coups de canne et des gifles de temps en temps pour leur rappeler que c'était elle qui commandait.
C'était un peu comme Hansel et Gretel, mais sans le courage de l'un d'entre eux pour pousser cette vielle bique dans un four.
Alors voilà, Ilya était persuadé qu'un jour, l'homme Lougaroc n'arriverait plus à trouver son collier. Même la candeur d'Oliver ne changerait rien à ça.
Parce que peut-être qu'un jour, l'homme Lougaroc préférerait être un Lougaroc plutôt qu'un homme. Et là, aucune princesses aux boucles d'or n'arriveraient à le faire revenir.
Il ouvre la bouche pour le dire. La referme, baisse les yeux. Ça servirait à quoi de toute façon ? Sans aveux de sa part, Oliver ne le croirait pas. Et pour faire des aveux, il faut du courage. Ilya n'en a pas.
Il ne voulait pas gâcher la joie et la candeur de son ami qui semblait ravi de pouvoir lire son conte préféré. La belle au bois dormant. Hum, Ilya n'avait pas particulièrement apprécié ce conte, la princesse Aurore était trop passive en comparaison de la princesse Grenousse.
Pas de magie, pas de pouvoir extraordinaires, pas de possibilité d'épater son prince. Il avait du mal à s'identifier à elle et il ne trouvait pas le prince spécialement intéressant non-plus.
Mais il garda ça pour lui, après tout, c'était le conte préféré d'Oliver, il devait voir quelque chose dans ce conte qui échappait aux yeux du stranaïte.
Comme d'habitude, la voix du jeune garçon était tremblante, butait quelque fois sur un certain mot puis reprenait tant bien que mal. Ilya se concentrait pour déchiffrer, les yeux perdu sur sa couette bleue ciel.
Il s'imaginait les fées maraines venant toutes apporter un don à la petite princesse, il s'imaginait la fée Carabosse venir et maudire l'enfant -elle avait le visage de Vassilisa, il s'imaginait la princesse malheureuse, vivre recluse à cause de cette malédiction.
Et il commençait peu à peu à comprendre pourquoi Oliver aimait cette histoire.
La princesse avait ses traits, observait par la fenêtre le monde d'en bas, consciente de la malédiction qui pesait sur elle et qui arriverait le jour des ses seize ans. Son air résigné collait totalement avec celui de son ami.
Cette acceptation de son sort.
Ilya ne connaissait que trop bien ce sentiment. Il ne pouvait pas le lui reprocher. Mais lui, il n'avait jamais réussi à aller au bout de cette acceptation fatidique. Ça finissait toujours mal. Ce vieux porc de Sergeï pouvait en témoigner.
La suite du conte se finissait de la façon dont Ilya la connaissait. A l'exception que la vielle Carabosse trouvait la mort à la fin. Bah, pas plus mal comme ça.
Puis le dessin du dragon était vraiment joli. Ilya souhaitais vraiment pouvoir arriver à ce niveau de gribouillage un jour, lui qui était pour l'instant coincé à dessiner des petits pokémons sur les pages vierges de ses cahiers.
Oliver conclut en lui demandant si il avait aimé. Il répondit par un bref hochement de tête et un petit sourire, franc cette fois. Il osa enfin soutenir son regard.
Apparemment, ce conte avait une suite. Une histoire sinistre de grand-mère voulant manger ses petits-enfants et sa belle-fille. Ilya eut une grimace.
Ça mieux comme ça, pas de suite. Déclara-t-il. Prince et princesse vivre heureux et tout finit bien, oui.
Il y eut une bref période de silence durant laquelle les yeux d'Ilya revinrent contempler ses bras mutilés. Il ne savait pas quoi dire de plus. Le conte de fée était très bien mais lui laissait un goût amer.
Sa vie ne serait jamais aussi simple.
Pas de prince charmant pour tout régler à coup de baiser. Puis d'ailleurs, c'était à lui d'aller chercher une princesse, selon les bonnes mœurs de Keros.
Contes de fées bien, vie moche. Souffla-t-il d'un air pensif. Je pas savoir si je pouvoir vivre heureux, trop cassé. Je pas faire bon prince, même pas bonne princesse.
Il se rendit compte qu'il étalait encore sa mauvaise opinion de lui-même devant son ami, il se redressa un peu en soupirant, lassé de lui-même.
Je suis désolé. Encore une fois, il avait formulé une phrase correct, ce qui lui procura un petit sourire fier qui s'évanouit cependant bien vite. Je vouloir être heureux mais pas y arriver. Pas à cause de toi. Juste...comme ça. Ça devoir aller mieux plus tard. Juste attendre.
C'était comme le mauvais temps, il fallait attendre, avec un peu de chance, le soleil pointerait enfin le bout de son nez.
Mais dans la tête d'Ilya, c'était la tempête depuis bien des années.
Oliver avait les yeux pleins d'espoir en attendant la réaction de son ami, essayant d'ignorer la petite voix au fond de son esprit qui lui prédisait qu'Ilya allait exploser de rire et se moquer de la simplicité et de la niaiserie de l'histoire. Il fit bien de le pas l'écouter, puisque le Stranaïte se contenta de hocher la tête et d'approuver son avis sur la fin plus qu'étrange de certaines versions. Certes, le prince finissait par sauver ses enfants et son épouse de sa propre mère et tout finissait bien une bonne fois pour toute, mais cette fin n'était pas aussi satisfaisante que la première. Peut-être parce qu'Oliver aimait s'imaginer qu'après le "ils vécurent heureux", plus rien d'horrible n'arriverait. Si après le baiser d'amour pur et le mariage, les héros devaient combattre une ogresse, c'était la porte ouverte à d'autres péripéties qui ne prendraient réellement fin qu'à la mort des protagonistes. Pour lui qui avait déjà du mal à voir la fin de son calvaire, savoir que même s'il devenait heureux, il devrait se battre pour le rester avait de quoi lui briser la moral.
Il semblait qu'Ilya était du même avis. Il avait raison. Les contes de fées finissaient généralement bien, mais il n'y avait aucune garantie que leur existence en fasse de même. Il le voyait tous les jours aux informations : la guerre, la maladie, la famine, les meurtres, les suicides... il y avait tant de façons horribles de perdre la vie avant d'avoir pu goûter au bonheur. C'était bien ce qui faisait qu'Oliver avait tant peur de la mort. Ce n'était pas tant la Faucheuse qui l'effrayait que l'idée de manquer de belles choses. Il n'avait jamais rien accompli de grand, il n'avait jamais connu l'amour, il était encore utilisé comme sac de frappe par tous ses camarades. Il n'avait pas l'ambition nécessaire pour courir après ses rêves, mais une chose était sûre : il ne pourrait rien accomplir six pieds sous terre. Et même si l'idée d'avoir une bonne excuse pour sa médiocrité était étrangement attirante, au fond, il s'en voulait chaque fois qu'il y pensait.
Ilya, lui, semblait penser qu'il était trop brisé pour prétendre à toutes ces choses. Si Oliver ne pouvait même pas s'imaginer à sa place, il rejetait catégoriquement cette idée. Ilya ne pouvait pas être cassé. S'il était cassé, il serait malheureux pour toujours. S'il était malheureux pour toujours, eh bien... Oliver serait malheureux aussi.
M-oi, j-je suis sûr q-que tu p-peux y arriver. J-je f-ferai d-de mon mieux p-pour t'aider, si tu veux ! affirma-t-il avec un peu de fierté. "Si tu veux était une façon de parler". Il aiderait Ilya qu'il ne veuille ou non. Et... et j-je n-ne suis p-pas d-d'accord ! Tu f-ferais un très b-bon prince ! T-tu ressembles à un prince, il refusait d'élaborer, ses joues étaient rose rien qu'en y pensant, et tu te c-comportes c-comme un prince ! Il ne le croirait pas s'il ne se justifiait pas, pas vrai ? L-le prince... il v-vient t-toujours sauver la princesse. Et toi... tu m-m'as sauvé, l'autre j-jour. finit-il, tremblant un peu. Il espérait faire sens. De toute façon, Ilya ne disait-il pas lui-même avoir du sang royal ? Pourquoi en doutait-il, alors ?
Au moins, il restait une once d'optimisme chez le jeune homme. Bien dissimulée sous des tonnes de chagrins et de traumatisme. Ce n'était que quelques mots auxquels il ne croyait pas, balancés tels quels pour essayer de faire plaisir à Oliver, au final. C'était tout ce qu'il demandait. Si la personne avec la vie la plus difficile qu'il connaissait pouvait rester optimiste, alors lui aussi. En revanche, le voir perdre espoir serait destructeur.
O-oui... j-juste attendre... répéta-t-il avec un sourire un peu triste.
Depuis quand attendait-il exactement ? Cinq ans ? C'était là qu'avait réellement commencé son calvaire. Mais même avant, il n'était pas certain d'avoir été particulièrement heureux. Satisfait, peut-être, mais pas heureux. Après tout, il avait toujours été seul, on s'était toujours moqué de lui, dans son dos puis en personne. Même tout petit, ses seuls alliés étaient les membres de sa famille, qui venaient le défendre et le protéger quand un sale gamin lui avait jeté du sable à la figure au parc ou qu'un Pokémon se mettait à lui courir après pour une raison quelconque. À partir d'un certain âge, il était attendu qu'il se débrouille seul et ses alliés l'ont laissé tomber. Un petit garçon sans défense, jeté dans la fosse aux Némélios et qui à défaut de savoir en sortir seul, se laissait dévorer.
Et puis, alors qu'il croyait que tout était perdu, on lui avait tendu une main, puis deux. La pente était haute et raide, mais il grimpait, doucement mais sûrement. Il n'était pas entièrement sorti et pouvait retomber à tout moment, mais tant qu'il était hors de portée des coups de griffes et de crocs, il garderait espoir.
On attendra... t-tous ensemble, p-pas vrai ?
Il n'avait même pas remarqué les quelques larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Il n'était même pas triste. Juste trop plein d'émotions qui demandaient à sortir, à défaut de savoir les parler.
L'optimisme d'Oliver était attendrissant. Ilya en était admiratif.
Son ami n'avait peut-être pas vécu la guerre mais il estimait que sa condition était loin d'être paisible. Peut-être même qu'il finirait comme lui à la longue, hanté par des ennemis depuis longtemps disparus.
Et pourtant, il espérait toujours. À bien y réfléchir, Oliver ressemblait vraiment à une princesse, oui. Attendant son prince charmant, le bonheur, venir le sauver.
Il enviait sans doute la Belle au Bois Dormant de pouvoir dormir, ça épargnait le temps d'attente. Et le malheur devenait seulement un mauvais rêve.
Mais les choses étant ce qu'elles sont, Oliver ressemblait d'avantage à la jeune Raiponce, attendant à la fenêtre de sa tour impénétrable.
Priant juste pour que quelque chose de bien vienne égailler son existence.
Oliver affirmait maintenant qu'il était un prince, l'idée qu'il commence à croire ce qu'il avait laissé échappé sous le coup de la détresse émotionnelle ne lui plaisait plus vraiment.
Mais après les maintes et maintes revendications de la vielle Winters sur ses droits au trône d'un empire inexistant, Oliver finirait par apprendre d'une façon ou d'une autre.
C'est juste que...
Vivre comme un simple adolescent n'était pas déplaisant. Se comporter comme un 'mauvaise garçon' avait son charme.
L'idée de devenir coordinateur lui était venue pendant qu'il dansait avec Finn, tout deux aidés par des vieux livres de pratique. L'idée d'avoir un futur l'avait frappé et agréablement surpris.
Mais dans tous ces futurs potentiels. Ilya voulait rester auprès d'Oliver. L'idée du pourquoi peinait vraiment à faire son chemin dans son esprit.
C'était son premier ami après une longue, très longue, période. Son premier ami en temps de paix. Ceci expliquait sans doute cela.
Il ne préférait pas chercher plus loin.
Alors il mit sur le compte de la joie de ne pas être seul l'immense chaleur qui l'envahit lorsqu'Oliver lui proposa d'attendre 'tous ensemble' ce fameux jour où tout irait mieux.
Il esquissa un sourire doux et ses yeux brillèrent d'une allégresse contenue.
Oui, tous ensemble. Tout ira bien. Si tu m'aider. Je...Je essayer. Vraiment. Promesse. Sa main vint à nouveau chercher celle d'Oliver et il la serra doucement. Tu essayer aussi ? Plus jamais dire que je devoir laisser Johnson faire. Attendre ensemble. Promesse ?
Il y eut un bruit dans les couloirs et leur proximité se dénoua aussi rapidement qu'elle s'était nouée. Oliver se tenait à présent debout, le livre de contes toujours dans les mains pendant qu'Ilya se redressait en position assise.
Une infirmière fit son entrée, aimable comme une porte de prison, même pas un bonjour. Elle jeta un regard à Oliver comme si c'était un intrus et tendit nonchalamment un petit comprimé blanc ainsi qu'un verre d'eau.
Ilya échangea un regard désolé à Oliver avant de prendre son remède. Seul moyen de faire partir cette personne encombrante qui empêchait toute proximité entre lui et son ami.
Elle ne se fit pas prier d'ailleurs, une fois la tâche qu'on lui avait incombé effectuée, elle reprit son travail habituel : à savoir être dépassée par la tonne de travail que lui imposait le manque d'effectif.
Ilya se recoucha peu à peu.
Ça médecine conseillé par Docteur Raine. Lui chercher moyen pour arrêter 'crises', tu sais, comme stand de tir. Lui dire essayer médicament. Pour l'instant pas encore bon, faire bizarre, sommeil. Lui dire....'adapter', oui, c'est ça. Moi devoir adapter médicament.
Il remonta un peu ses couvertures, c'est que cette blouse d’hôpital était tout sauf réchauffante. Tu pouvoir rester un peu mais je pense bientôt être bizarre. Il se souvint d'un dernier détail avant de que son esprit s'engouffre peu à peu dans la brume. Toi garder peluche Mangriff ? Pour Genya. Elle adorer peluche. Quoi je sortir, pouvoir la récupérer ?
Sans aucun doute, le doux sourire d'Ilya valait tous les moments de honte et d'angoisse qu'Oliver avait dû supporter pour lui faire parvenir son message. Peu importait s'il sonnait niais, efféminé ou pire encore : son ami lui avait souri. Il lui avait promis de rester à ses côtés, attendant ensemble que les malheurs s'arrêtent. Une éternité serait bien moins longue aux côtés d'Ilya. Ce dernier le prit au dépourvu, quand il était le plus vulnérable, pour lui demander une promesse en retour. C'était bien peu, mais pour Oliver, c'était la mer à boire. Il n'aimait pas le fait de dépendre de ses compagnons pour le défendre. Il aimait le sentiment de sécurité que cela lui prodiguait. Il aimait se sentir apprécié, bien que son manque d'amour propre revienne souvent lui rappeler qu'ils pourraient l'abandonner du jour au lendemain. Il n'était même pas dérangé par le fait de leur paraître, faible, comme une demoiselle en détresse. C'était un soulagement, vraiment, que se laisser porter en sachant que des amis étaient là pour lui. Il était bien plus difficile, en revanche, d'accepter qu'Ilya et Finn ne l'avaient pas seulement défendu par pitié, mais aussi par plaisir de tenir tête à une mauvaise personne. Il le lui avaient dit de vive voix et pourtant il avait du mal à y croire. Chose qu'il s'était gardé de leur dire : le débat tournerait en rond, il le savait.
Non content de ne pas oser avouer ses doutes, voilà qu'Ilya avait pris sa main et le regardait avec des yeux pleins d'espoir. Rougissant, Oliver se mordit la joue pour ne pas sourire. Il voulait résister, ne pas donner raison au grand garçon qui se comportait comme un adorable petit Pokémon à le regarder comme ça, mais c'était trop dur. Il finit par laisser tomber, dans un soupir qui dévoila son sourire. Il ne pouvait décidément pas lui dire non.
D-d'accord... p-promesse. répéta-t-il, imitant malgré lui la diction maladroite du Stranaïte. Réalisant son erreur, il ne savait pas s'il voulait en rire ou en mourir de honte. Avec un peu de chance, Ilya ne lui ferait pas remarquer.
Il n'eut pas vraiment le temps d'y réagir, de toute façon. Quelqu'un arrivait et au boucan des ses chaussures, le médecin ou l'infirmière n'était pas vraiment de bonne humeur. En voyant la porte s'entrouvrir, Oliver réagit plus vite qu'il ne l'avait jamais fait pour se défaire des doigts de son ami, descendre du lit et se tenir à ses côtés comme si de rien n'était. Maintenant qu'il y repensait, il ne voulait pas savoir ce que se serait imaginé quelqu'un arrivant au milieu de leur conversation sans contexte. Leur amitié posait déjà assez problème comme ça, il n'avait pas envie d'alimenter des rumeurs... Le regard de la femme l'inquiéta d'abord. Il était froid et tranchant comme l'acier, il la sentait le juger. Les avait-elle vus, malgré la vitesse à laquelle il s'était relevé ? Son anxiété retomba assez vite en voyant le médicament qu'elle tendit à Ilya. Il était plus probable qu'elle n'approuve pas de la présence d'un inconnu pendant ses soins. Il leva timidement l'index, prêt à s'excuser et à offrir de s'en aller pour la laisser faire son travail, mais à peine le cachet avalé par le blond, elle s'en alla s'occuper d'un autre patient. Oliver se permit de souffler. Il avait encore eu peur pour rien.
La voix d'Ilya l'aida à se calmer un peu. Il avait probablement vu ses épaules se raidir sous l'emprise de l'angoisse et expliqua sa situation. D'un côté, c'était une bonne chose que le docteur tente de traiter les crises du jeune homme. Oliver aurait dû s'en réjouir, être heureux pour lui, avoir hâte de passer du temps avec un Ilya qui ne risquerait pas de péter un câble chaque fois qu'il se souviendrait de la guerre. Mais d'une autre part... c'était aussi accepter que le problème existait. Que sans médicament, Ilya serait condamné à être "malade" toute sa vie. C'était assez pour briser le cœur d'un insensible. Malgré ce sentiment de mélancolie, il se força à sourire un petit peu. Oui, il serait simplement heureux pour Ilya.
Savoir que son ami perdrait bientôt conscience fit vite retomber sa façade. Il n'avait désormais plus que de la peine. Il se garda de lui dire mais son visage disait sûrement mille mots. Il le laissa s'installer correctement, profitant de son temps avant de s'endormir pour lui rappeler l'existence de la fameuse peluche de Mangriff. Celle gagnée à la sueur de son front et au prix de larmes. Il l'avait plus que méritée. Elle siégeait dans un coin de sa chambre en attendant de pouvoir être rendue, servant de pouf à Vendredi 13. Heureusement, la fausse fourrure dont été couvert le chat-furet ne permettait pas de voir les vrais poils laissés par le Skitty.
Il était donc destiné à cette soeur dont il avait tout juste appris l'existence. Ceci expliquait cela. Après tout, Ilya n'avait pas l'air d'être le genre de personne à aimer les peluches. Il avait sûrement donné le Flamiaou à cette fameuse sœur. Oliver ne lui en voulait pas, il était ravi d'avoir indirectement fait plaisir à une inconnue. D'autant plus que l'offrir avait probablement fait plaisir à Ilya lui-même.
B-bien sûr ! Tu p-pourras v-venir chez moi p-pour la récupérer ! il marqua une petite pose, avant d'ajouter dans un murmure, q-quand tu iras mieux, b-bien sûr... m-moi, j-je suis trop p-petit p-pour le p-porter tout seul... conclut-il, les joues roses de honte mais un peu amusé. Il avait accepté depuis longtemps sa faiblesse, alors admettre qu'il ne pourrait pas livrer une peluche faisant sa taille n'était pas renversant.
Oliver jeta un oeil à l'horloge, dont le tic-tac semblait assourdissant maintenant que la pièce était silencieuse. Il pouvait rester encore un peu. Tant qu'il rentrerait à temps pour manger, on ne le disputerait pas trop fort.
J-j'aimerais rester encore un p-peu, admit-il. Peu importe si Ilya s'endormait, il n'aimait pas les au revoir de toute façon.
Il se saisit d'une chaise et la posa à côté du lit, s'asseyant confortablement auprès de son ami. Il avait une bonne occasion de commencer le roman de la classe de littérature. Il ne pourrait pas le lire à voix haute, bien sûr, pour ne pas déranger son camarade, mais ainsi, il rendrait sa lecture plus facile la prochaine fois qu'ils se verraient s'il connaissait déjà les mots.
Instinctivement, sa main vint chercher celle qu'il avait dû lâcher à regrets. Il avait assez d'une seule pour tourner les pages de son livre. Si le temps le lui permettait, il resterait jusqu'à ce que son ami s'assoupisse, comme sa mère veillant sur lui quand il était petit.
Alors la peluche était toujours à l'abri chez Oliver. Dans sa confusion grandissante, Ilya se demandait comment il avait pu en douter. L'idée que le père de son ami traîne la grosse peluche à la poubelle malgré les complaintes de son fils lui traversa l'esprit.
Il grogna puis pouffa de rire, ne sachant pas trop quelle émotion il devait arborer à cette pensée.
Tout devenait cotonneux autour de lui, étrangement calme. La voix d'Oliver se faisait lointaine, il disait vouloir rester.
C'était réconfortant quelque part.
Les iris bleues du stranaïte se posèrent sur son compagnon. Ses paupières tombaient toute seules et pourtant il voulait soutenir son regard.
Rien à faire, il soupira et ferma les yeux.
Oliver s'était de toute façon mis à lire. Enfin, il lui semblait. Il sentit pourtant sa main venir chercher la sienne et la serrer.
Il esquissa un sourire ensommeillé et répondit à l'étreinte. Je aimer quand tu tenir ma main, je sentir moins seul. Souffla-t-il, l'esprit agréablement embrumé. Je avoir un peu peur, tu sais ? Peur de moi, tout le temps.
Il entendit le bruit de la pluie, cela aurait dû l'embêter pour son ami. Il devrait rentrer chez lui et serait tout trempé en arrivant. Mais au contraire, il s'en réjouit, trouvant le bruit très reposant.
À Strana, tout être blanc. Neige partout en novembre. Souffla-t-il en souriant. C'est vrai que la neige lui manquait. Sans doute y en aurait-il dans un ou deux mois.
Les yeux toujours fermés, sa main libre vint chercher celle de son ami pour la serrer à son tour. Toujours un sourire doux aux lèvres. Tu sais quoi ? Je être Belle au Bois Dormant. Toi Rapunzel, princesse aux longs cheveux. Quand je me réveiller, venir chercher toi. Pas besoin prince. Nous attendre aller mieux ensemble. Promesse.
Son étreinte se relâcha peu à peu, sa respiration se fit de plus en plus régulière. Il se sentait léger, tellement léger.
Si le mauvais temps à l'extérieur s'était engouffré dans la pièce, il aurait été emporté par le vent sans doute. Mais il était à l'abri, avec son ami.
Même si ce n'était plus qu'une questions de minutes.
Ilya savait, malgré sa conscience défaillante, qu'il se réveillerait seul. Mais en attendant d'être totalement comateux, il pouvait profiter de cette accalmie encore un peu.
Qui sait ce qui l'attendrait quand il serait à nouveau livré à la solitude ?
Merci être là, Ollie. Murmura-t-il une dernière fois. Merci sauver ma vie.
Il y eut quelque minutes de silences, puis l'étreinte du stranaïte s'évanouit en douceur. Son souffle régulier indiquait clairement qu'il s'était assoupi.
Sans doute se réveillerait-il avec un certain mal de tête et des difficultés de mémoire mais pour l'instant, il rêvait tranquillement, à l'abri mauvais temps et de ses propres démons.
Pourtant, une part de lui n'oublierait pas la promesse bien étrange qu'il lui avait faite. Celle de venir le chercher et d'attendre ensemble que le mauvais temps laisse place aux éclaircis.
Peut-être y réfléchirait-il à deux fois, à présent, lorsqu'il fricoterait avec la mort.