Le cœur lourd, le pas hésitant, Oliver s'approchait lentement mais sûrement de l'orphelinat Nightingale.
La dernière fois qu'il était venu, il avait également un poids sur l'âme dont il avait juré de se débarrasser. Celui d'avoir la certitude qu'il n'avait rien fait de mal à Ilya, et celui de l'amour qu'il lui portait. Une déclaration à laquelle il avait beaucoup, énormément repensé au cours du dernier mois. Parfois, il avait envie de s'enfoncer un poignard dans le ventre tellement il en avait honte, tant il se trouvait stupide et trop niais pour ce monde. Parfois, il se disait qu'il avait fait tout ce qu'il pouvait, et que si la réponse n'avait pas été celle qu'il aurait voulu... ni celle à laquelle il s'attendait le plus... ce n'était pas de sa faute, et que dans un monde idéal où lui et Ilya auraient pu s'aimer sans que l'existence toute entière se mette en travers, elle aurait même été parfaite.
Mais mieux valait ne plus trop y songer. Il avait assez ruminé sur le sujet. Désormais, il venait pour la même personne, mais pour une autre raison. Le silence avait assez duré, il en avait assez de jouer les fantômes et ne pouvait pas se contenter de faire ainsi pour toute sa vie. Parce qu'en dépit de ce qu'il montrait, il pensait encore à Ilya tous les jours. Une plaie ouverte, qu'il était temps de traiter. Que les deux amis se réconcilient ou qu'ils se quittent à jamais, Oliver repartirait guéri. Peut-être endolori, mais guéri.
Ses coups à la porte, l'accueil de Ceriz... tout lui parut trop familier. Il tenta d'ignorer le goût amer au fond de sa bouche. La dernière fois, il avait été trop vulnérable. Cette fois-ci, il se préparait déjà au pire. Pas de risque d'ascenseur émotionnel. Du moins, il osait l'espérer.
Ilya était tranquillement en train de rassembler ses affaires pour quitter cette maudite Mine de L'Est, même si il savait qu'il y reviendrait sans doute, il espérait que ce ne soit plus pour y passer des nuits.
Son regard ne quittait pas cette étrange Gracidée qui ne s'était pas évaporée comme un restant de rêve éveillé. Anastasia lui avait... Réellement parlé. C'était étrange, plus un miracle des Sankta pour le remettre sur la bonne route.
Il aurait encore bien mille et une questions concernant son père mais il n'avait pas eut le temps et de toute façon, il ne la reverrais pas avant un bon moment. Il fallait se faire à l'idée que cette ignorance ne pouvait être comblée.
Mais il se sentait apaisé par les mots de sa défunte mère. Il pourrait retourner tranquillement à l'orphelinat. Tout allait bien, il avait juste l'impression d'oublier quelque chose, des cheveux blanc neige et deux perles d'Amethyste.
Ça ne devait pas être important, se dit-il pour se rassurer.
Le chemin du retour lui paraît rapide, même en portant son gros sac de voyage. Zaria vole tranquillement au dessus de lui tandis que sa petite meute de Luxray le suit en silence – sauf Belun qui ne cesse de bailler.
Il s'arrête un instant devant la porte de l'orphelinat, hésitant. Mais au travers du bois épais, il lui semble entendre une voix familière. Il se fige.
Entrer ou fuir ?
Il n'est pas prêt, pas du tout !
Il essaye de calmer sa respiration comme il peut, pas question de faire une crise d'hyperventilation en ce moment précis. Comme il souhaiterais avoir gardé les médicaments prescrits par le Docteur Raine, ça calmait au moins ses crises d'angoisses.
Ça fait bien deux ou trois minutes qu'il reste planté là comme un idiot avant de finalement prendre la décision d'entrer. Il a assez fuit comme ça. Il en a assez de fuir, même si Oliver le rejette une bonne fois pour toute, ce sera toujours mieux que de le fuir en permanence.
Ilya en a assez d'être un lâche et c'est avec la résolution de ne pas faire marche arrière qu'il ouvre la porte dans un grand grincement. Aussitôt que Ceriz l'aperçoit, elle pousse un petit cri joyeux et l'attrape par le poignet, le trainant vers Lady Nightingale, en pleine conversation avec...
Oliver.
Son ouïe ne l'avait pas trompé. Il baisse les yeux au sol alors qu'un silence lourd s'installe. Puis finalement, c'est Nightingale qui brise la glace en prenant le Stranaïte dans ses bras et en le serant fort contre elle. Oh, Ilya, je me suis fait un sang d'encre ! Ça va ? Tu n'es pas blessé ? Tu veux que j'appelle le Docteur Raine ?
Le blond secoue la tête avec un petit sourire gêné.
Je veux... Je veux juste ranger mes affaires dans ma chambre. Ollie peut me suivre ?
Nightingale esquisse un petit sourire complice, à moitié « je vous laisse entre amoureux » et « je te souhaites bonne chance ». Elle tapote l'épaule d'Oliver et lui adresse le même sourire.
Allez-y, je ne vous retient pas, je vais aller prévenir Bartholomew de ton retour. Je suis sûre que ça va aller. Dit-elle en s'éloignant, laissant les deux adolescents seuls.
Ilya regarde timidement Oliver sans oser croiser son regard, après un court silence, il ose enfin demander. T-tu m'accompagne ? Sa voix tremble un peu.
Ollie accepte silencieusement et ils prennent route. Une fois à destination, Ilya constate que le bordel qu'il y avait foutu a été soigneusement rangé. Ça lui pince le cœur, Lady Nightingale s'est donné beaucoup d'efforts pour lui.
Il n'est pas sûr de le mériter.
Après avoir posé son sac à coté de son armoire -il le rangera plus tard, il s'asseoit sur son lit et tapote la place libre juste à coté de lui à l'attention d'Oliver. Il ne lui en tiendra pas rigueur si il accepte l'offre. Désolé pour la dernière fois, j'ai tout gâché. Dit-il aussi calmement qu'il peut. Je comprendrais que tu ne veuille plus être mon ami après ça. Il baisse légèrement la tête avec un sourire amer. C'est peut-être mieux pour toi.
Lorsque Charlotte accueillit Oliver, son visage était froid et triste. Pas celui qu'il connaissait si bien, empli de tendresse et de soleil, toujours heureuse de voir venir des invités. Et pour cause... Ilya avait fugué. Cela faisait désormais un certain temps qu'il avait mis les voiles, laissant sa chambre en bazar pour aller on-ne-sait-où. Enfin... Oliver avait bien une idée d'où il était. L'idée d'une promesse brisée le prit aux tripes, mais il n'était pas étonné. Ilya lui avait expliqué. Il avait besoin d'adrénaline comme un drogué aurait besoin de sa substance. Ça ne lui plaisait vraiment, mais alors vraiment pas... mais il comprenait.
Il était donc venu pour rien ? Il semblerait qu'à moins de vouloir risquer sa vie une deuxième fois dans les mines - et il n'était pas particulièrement partant, il devrait rentrer bredouille. Du moins, il le crut jusqu'à ce que quelqu'un frappe à la porte et que la Wimessir surexcitée ramène le nouvel arrivant.
Ilya... Il ne pouvait pas arriver à meilleur - ou pire - moment.
Charlotte n'attendit pas une seconde avant de prendre le jeune homme dans ses bras. Il lui avait manqué comme un fils. Elle s'était inquiété comme une mère. Une image qui aurait probablement fait sourire Oliver s'il n'avait pas été aussi morne. Ilya lui-même avait compris qu'il était temps de parler sérieusement. Il rejeta l'offre de la directrice, préférant retourner s'installer et... discuter avec son ami. La brune accepta et laissa partir les deux adolescents, non sans leur accorder un sourire et une main sur l'épaule d'Oliver. Il y avait quelque chose dans son regard, une étincelle qui le fit grimacer. Elle avait vraiment cet air de "ah, les amoureux !" qui lui déplaisait dans un moment pareil. Alors qu'Oliver n'avait jamais été aussi incertain de leur amitié, en dépit des sentiments qui le rongeaient... il aurait préféré le genre de regard que l'on réserve aux condamnés à mort.
Il suivit néanmoins Ilya sans broncher. Ni l'un ni l'autre ne semblait avoir envie que cette discussion arrive, mais il savaient que c’était inévitable. Peut-être un début de cette fameuse responsabilité qu'on est censé avoir en devenant adulte. Il s'assit sur le lit mais n'osa pas poser les yeux sur Ilya. Il avait encore l'air... irréel après tant de temps sans se voir.
Le Stranaïte commença et ses mots firent vite froncer les sourcils à son cadet. Il s'excusait pour la dernière fois et se voyait déjà rejeté. C'est non sans agacement qu'Oliver lui répondit d'un ton qu'il ne se connaissait pas vraiment.
P-peu imp-porte la d-dernière f-fois. C'est p-pas de ça q-qu'on devrait p-parler...
Principalement parce qu'il n'avait pas envie d'aborder ce qu'il lui avait avoué avant l'aveu fatidique. Pas maintenant.
J-je sais p-pas ce q-que je v-veux... p-pa-pas v-vraiment... ami ? Meilleur ami ? Amant ? Simple connaissance... c'était encore trop confus, m-mais... j-j'aimerais c-continuer... réessayer.
D'où devraient-ils repartir ? Le tout début, quand Oliver avait encore peur du géant stranaïte ? Ou aux débuts de leur amitié quand ils faisaient tout juste la connaissance de Finn ? Peut-être devraient-ils faire table rase depuis juin et l'incident avec Calendula, où tout avait semblé dégringoler.
J-j'ai p-parlé à q-quelqu'un hier. On a p-parlé d-de choses... p-pas très b-belles, Ilya n'avait pas vraiment besoin de savoir qu'il avait discuté avec un fantôme, ni des détails de l'accident, Aalors... j-j'ai rep-repensé à tout ça et... j-je peux p-pas p-penser que tu es... m-mauvais, ou m-même un m-m-monstre. P-pas ap-près t-tout ce temps.
Pas besoin de mentionner toutes les belles choses qu'Ilya avait faites pour lui. Si leurs jours heureux défilaient devant ses yeux, il en était peut-être de même pour son ami.
Tu as f-fait des m-mauvaises ch-choses... mais... il repensa à ce qu'on avait pu lui dire. Comme la mort d'Emil n'était qu'un bête accident sous le coup de la colère, comme Zahra lui avait avoué avoir vu et fait les horreurs de la guerre, c'est p-plus c-compliqué que ça, hein ?
Il n'était pas sûr de savoir s'il voulait connaître les détails. Il se sentirait rassuré qu'Ilya lui confirme qu'il n'avait fait que se défendre, mais entendre parler de morts ? Et devoir imaginer Ilya les mains couvertes de sang ? Il n'en était pas capable. Un jour, peut-être, mais pas là.
J-je v-veux p-pas savoir tout... m-mais... j-j'ai c-confiance en toi. Le Ilya q-que je c-connais.
Il en avait déjà parlé. "Le Ilya de Strana" ci, "le Ilya de Strana" ça... Oliver ne connaissait que l'Ilya de Keros. Un qui, en dépit de crises causées par son passé, ne lui avait jamais voulu que du bien. Il était peut-être naïf, mais il en était certain. L'Ilya qu'il connaissait était le vrai, et les horreurs que lui avaient fait commettre sa nation d'origine n'étaient qu'un masque.
L'agacement dans la voix d'Oliver blesse Ilya. Il ne sait pas pourquoi mais ça le blesse vraiment. Il voulait qu'il dise quoi exactement, à la place ? Il ne pouvait que parier sur leur séparation, cela aurait été arrogant et malvenus de se revoir déjà amis ou plus. Un air sombre s'affiche sur son visage tandis qu'il y pense.
Ollie veut réessayer qu'il dit. Sous le coup de l'aigreur, Ilya manque de lui dire que lui sait ou s'en tenir mais il sait se taire. Ce serait con de perdre un ami à cause de la mauvaise humeur, non ?
Il écoute en silence.
Et quand Oliver a terminé son monologue, il se lève calmement, son œil unique rivé sur le petit blondinet. Strana, c'était le bordel. Ni méchants ni gentils, pas comme dans les contes de fée. Juste ceux qui veulent le pouvoir et les autres qui veulent le garder. Ma mère, moi et... Il marque une pause, et qui déjà ? … Enfin bon, on était seuls dans cette merde.
Il fait les cents pas, essaye de recoller les fragments de sa mémoire endommagée par Dévorêve. C'est difficile...
Le premier, c'était un garçon... Roux je crois. Je connaitrais jamais son prénom et ça me rends triste. Mais... Il allait nous dénoncer aux Stranaïtes rouges. Maman voulait le faire elle-même mais... Il y a quelque chose que... Je ne me souviens plus pourquoi ça a été moi qui...
Il se passe une main sur le front en plissant les sourcils. Il oublie quelque chose d'important, il le sait, mais impossible de remettre ses idées en ordre. Le second, je... Je sais pas... Il puait l'alcool et je crois... Qu'il a essayé de me faire du mal. Tout ce que je me rappelle c'est qu'il était pire qu'un Tentacruel. Zaria a effacé le reste.
Il conclut sur cette phrase, dépité. Peut-être que l'oubli n'était pas une bonne chose finalement, puisqu'il a l'impression de ne pas avoir les pièces de son propre puzzle. Comment s'expliquer à Oliver quand lui-même ne sait pas ce qu'il s'est passé exactement ? Les derniers, je... Je sais pas si... C'était vraiment nécessaire de le faire. Ils voulaient juste nous voler, pas nous tuer. Mais... J'étais pas dans mon état normal quand c'est arrivé.
Il reste muet un instant et vient chercher le regard d'Ollie, son œil à lui ne refletant aucune émotion particulière, juste une légère confusion. Je sais que tu voulais sans doute pas que je raconte tous ça mais... J'avais besoin de te le dire. C'est juste que j'ai jamais eut le contrôle sur ma vie depuis que je suis né. Ça m'a fait sentir que je contrôlais quelque chose quand je le faisais mais en fait...
En fait il perdait juste le contrôle qu'il lui restait. C'était ironique et tragique à la fois. Mais Ilya n'avait pas les mots pour l'expliquer. Alors il enchaina directement sur des évènements plus récents, des évènements de Keros. Pour Johnson, il a dit des choses... Sur toi et Camil et je crois que ça m'a rappelé... Un moment de silence, il ne sait plus encore une fois. … Je crois que j'étais déjà amoureux à ce moment-là, j'ai pas supporté l'idée ni le fait qu'il s'en moque alors... Enfin voilà. Et Williams, il voulait juste me tabasser. Là, j'ai aucune excuse, je voulais juste m'amuser à lui faire peur...
Il se rassoit finalement et reste silencieux un bon moment avant de reprendre parole.
Je sais pas si c'est ce que tu voulais entendre mais c'est ce que j'avais à dire. Je ne sais pas si tu dois me faire confiance ni redevenir mon ami. J'ai encore beaucoup de chemin à faire pour... Pouvoir vivre avec « ça ». Le Docteur Raine cherche encore le bon traitement, il me dit que ça prendra du temps.
Il soupire et se laisse tomber sur son lit. Il réalise que ça lui avait manqué, le confort d'un matelas douillet, un petit sourire se dessine sur ses lèvres mais s'efface vite. Moi aussi j'ai rencontré quelqu'un cette nuit. Traites-moi de taré si tu veux, j'ai vu Maman. Elle m'a dit qu'il fallait que je me pardonne à moi-même et qu'elle était reconnaissante que j'ai tous fais pour qu'on survive, moi et... Il y a quelqu'un d'autre ? Ilya ne s'en souvient pas mais il est certain qu'Anastasia parlait de deux personnes. … Je sais pas quoi en penser. Je me pardonnerais sans-doute jamais mais c'est vrai que je suis content de t'avoir connu. Finn, Teagan, Camil et Madame Charlotte aussi. Mais je suis pas sûr de mériter tout ça...
Il se redresse et regarde Oliver droit dans les yeux, sans sciller.
Je t'aime, Ollie et ça fait longtemps que c'est le cas. Peut-être plus longtemps que je crois. Mais je t'ai rien dis à cause de ça, je voulais pas non-plus te mentir si... Enfin, si on devenait vraiment des amoureux. Mais... Il marque une pause, incertain. … C'est peut-être mieux pour toi si ça ne va pas plus loin, non ? Moi j'ai rien à perdre mais toi...
Ilya vient confirmer les dires d'Oliver. Strana était un milieu hostile et presque irréel dans son absurdité. Loin de Keros et de la paix du monde occidental, les circonstances étaient différentes. On ne parle pas de meurtres. On parle de crimes de guerre, ou même de survie. Et alors que le blondinet peinait à accepter ces faits, son ami sembla ignorer son aversion pour l'horreur et commença à expliquer chacun de ses... crimes.
Le premier avait dû être éliminé pour éviter d'être arrêtés. La boule au ventre, Oliver grimaça. Il n'avait vraiment pas envie d'entendre ça. Mais il n'avait pas le choix, n'est-ce pas ? Ilya ne semblait pas déterminé à garder le silence, alors il se contenta d'écouter en retenant la bile qui remontait dans son œsophage, en faisant de son mieux pour ne pas imaginer les détails. Ilya tenant une arme. Du sang. Des morts. Il ferma les yeux pour oublier ce spectacle, ce qui évidemment, ne suffit pas à arrêter les images qui défilaient dans son esprit. Alors il n'écouta qu'à moitié le reste. Un homme voulant leur faire du mal, des brigands tués de sang chaud. Peu importe à quel point Oliver avait envie de crier à Ilya de fermer sa gueule, il se tut. Un éclat de voix n'aurait servi à rien d'autre qu'à briser les liens qu'il restait de leur amitié.
Ilya continua. Cette fois, il s'agissait des crises de violences qu'il avait eues à Keros. Quand il avait attaqué Johnson, et quand il avait fini en garde-à-vue pour avoir tabassé cet abruti de Williams. Heureusement, aucune de ces agressions ne s'était terminées en drame. Et s'il n'en dit rien, tout au fond, Oliver songea que c'était bien fait pour eux. Ce n'était probablement pas sain, mais sur le moment, il laissait parler la rancune en lui, celle d'avoir été harcelé pendant des années par des cons qui n'avaient eu qu'en guise de karma qu'un compas dans la main et un cassage de gueule.
Évidemment, s'ils avaient été gravement blessés, ou pire, il n'en aurait tiré aucune satisfaction. Que de la culpabilité... et une pierre au ventre à l'idée qu'Ilya ait pu faire ça.
Ce que la Stranaïte ajouta fit tendre l'oreille à Oliver, qui jusque là, avait préféré n'écouter qu'à moitié pour éviter d'entendre des choses trop fâcheuses. La nuit dernière, son ami aurait vu sa mère. Sa mère, disparue à Strana, présumée morte... et si elle était apparue dans les mêmes circonstances qu'Emil, alors la pauvre avait vraiment péri. Une idée qui noua la gorge du jeune garçon, mais celle qu'Ilya avait pu revoir sa chère maman une dernière fois - et il en était sûr, il n'avait pas halluciné - était au moins un peu réconfortante.
Enfin, Ilya termina son monologue. Il était heureux d'avoir ses amis, même s'il ne pensait pas les mériter et... il répéta ce qu'Oliver n'était pas certain d'avoir bien compris la dernière fois. Ilya... l'aimait ? Il avait encore trop de mal à y croire. Après des années à croire que personne ne l'aimait et ne l'aimerait jamais, qu'il serait condamné à mourir seul et probablement avant d'avoir atteint l'âge adulte... Ilya lui disait qu'il l'aimait et il ne savait pas quoi en faire.
Est-ce qu'il aurait sauté de joie dans des circonstances différentes ? Est-ce qu'il aurait paniqué ? Pour le moment, assis en silence sur le lit, il se contenta de rougir légèrement en détournant le regard.
J-je sais p-p-pas pour ça. J-je c-crois q-que c'est t-trop tôt p-pour y p-penser, bégaya-t-il. Dire qu'un mois plus tôt, il aurait tué pour entendre un "moi aussi" de la part d'Ilya, encore pris dans son idéal de romance, m-mais... être amis... j-je p-peux le faire, v-vraiment. J-je v-veux le faire. P-parce que... j-je suis sûr q-qu'an f-fond, t-tu le vaux, termina-t-il avec un sourire incertain.
Il soupira, tête baissée. Un long soupir qui en disait long sur le bazar de ses émotions.
J-j'aurais j-juste aimé q-que ça soit p-plus f-f-facile...
Les autres adolescents galéraient-ils autant que lui ? La plupart de ses camarades avaient des petites copines, ils n'avaient pas eu besoin de souffrir autant. Une petite invitation au ciné ou au café du coin, une boîte de chocolat et voilà les portes de la romance toute ouvertes pour eux. Pas de honte d'être attiré par les garçons, pas d'hésitations pendant de longs mois à avouer leurs sentiments et pas de lourds crimes à avouer. Comme Oliver les enviait. Lui qui rêvait d'idylle, lui qui avait déjà trop de mal à garder un équilibre dans sa vie, il avait fallu qu'il tombe amoureux d'un garçon aussi instable que lui.
Ilya relève légèrement les yeux quand Ollie prends parole. Il se surprends avec une pointe de culpabilité à avoir envie de jeter quelque chose à la gueule de ce Ponchiot battu. Ou juste de lui gueuler de foutre le camp. Et ce qu'il dit n'arrange rien. Pour une raison qui lui est inconnue, ça ne lui fait pas plaisir, ça l'enrage.
Il ne sais pas comment réagir alors il se lève et va tranquillement ranger ses affaires sans faire attention à son invité.
Silencieusement.
Une fois ça fait, il retire son manteau, son pull et ses chaussures et les jette dans un coin de la pièce. Un peu violemment.
Je vais faire une sieste. Dit-il froidement en passant à coté d'Oliver, manquant même de le bousculer sur le passage.
Ses cicatrices sont à l'air libre, il y a de nouvelles entailles, faites avec les moyens du bord, moins belles que les autres. Oliver va grimacer en les voyant, il s'en fout.
« Petite nature », c'est tout ce qu'il arrive à se dire.
Comme si Ollie n'existait pas, il se couche dans son lit et s'emmitoufle dans la couverture avant de lever le bras et de faire un geste un peu nonchalant de la main pour dire au petit blondinet de se casser.
Si c'est trop compliqué pour toi, laisse tomber. Soupire-t-il. J'ai pas besoin de ta charité d'âme parce que tu pense que je « vaux le coup ».
De toute façon, c'était complètement con de sa part, dés le début, de se dire qu'il pourrait se faire des amis à Keros et leur dire la vérité sans qu'après, ce soit si complexe. Il s'en veut d'avoir tué, bien sûr, mais une petite voix en lui ne peut s'empêcher de lui murmurer que tout ça est exagéré.
Zahra aussi a tué, non ? Et Ollie lui a parlé comme si c'était une personne normale. C'était pas si compliqué dans sa tête pour accepter la Sabatéenne, hein.
Ouais, il aurait dû lui dire la vérité dès le début. Oliver se serait barré et ils ne seraient jamais devenus amis, ça aurait été mieux ainsi. Maintenant, Ilya ressent une pointe de douleur dans la poitrine, il ne sait pas la cause de cette amertume ni de ce ressentiment envers Ollie.
Il veut juste qu'il parte.
Mais ce petit con ne bouge pas d'un centimètre.
Ilya s'emporte. Blyat ! Casse-toi ! T'es pas le seul à avoir besoin de réfléchir !
Il serre les dents et retient les larmes. Il ne sait pas ce qui se passe sous son crâne mais il n'a plus envie de voir Ollie. Plus du tout. Plus maintenant pas plus que demain, peut-être plus jamais.
Ses sentiments sont tels qu'il s'entends dire avec une pointe de stupéfaction :
Tu sais ce qui serait plus simple pour toi et moi ? Que tu te casse et que tu revienne jamais.
Il ressert un peu plus la couverture autour de lui et laisse les larmes couler, il sait pertinemment qu'il se comporte comme un connard de la pire espèce mais ses sentiments le prennent au tripe, au dépourvu aussi.
Cette foutue petite voix dans sa tête ne peut pas s'empêcher de lui murmurer qu'Ollie se fout de sa gueule.
Pas un sourire de la part d'Ilya. Même pas un sourire gêné ou amusé de la naïveté de son cadet. Ce dernier avait un mauvais pressentiment, qui se vit vite confirmé. Au lieu de lui répondre, il se leva, alla ranger ses affaires et se changer dans le plus grand des silences, ignorant complètement la présence d'Oliver, ainsi que sa tentative de lui parler ou même sa mine aussi déçue qu'horrifiée à la vue des nouvelles cicatrices qui longeaient ses avant-bras. Il n'en parlerait pas. Il n'était pas assez fou. Rien ne servait à le faire culpabiliser davantage sur se habitudes autodestructrices et puis... Ilya se comportait bizarrement.
Comme si Oliver n'avait jamais été là, le grand blond se jeta dans son lit pour aller faire sa fameuse sieste. Offusqué, mais toujours silencieux, et surtout confus, le jeune garçon resta planté là à le regarder. Comme si ça allait suffire à le faire sortir de sa couette... D'un geste de main vulgaire, Ilya encouragea son ami à prendre la porte. Semblerait-il qu'il n'avait pas apprécié l'idée qu'Oliver soit fatigué de la situation. C'était peut-être trop dur à comprendre pour lui, qui avait connu bien pire qu'une relation tumultueuse dans sa vie. Mais dans celle d'Oliver, leur amitié c'était... tout.
Alors il ne bougea pas, malgré l'invitation d'Ilya. Agacé, celui-ci finit par essayer de le chasser à grands éclats de voix. Et cette fois-ci c'en était peut-être trop, même pour le timide et frêle Oliver. Blyat ? Il n'était pas bilingue, mais il avait passé assez de temps avec son ami stranaïte pour savoir ce que ça voulait dire, ou au moins savoir que ce n'était pas exactement une forme de politesse. Ainsi, là où Oliver, n'importe quel autre jour, aurait pris la porte en pleurnichant, il serra les poings et se laissa aller à une émotion qu'il contrôlait si mal.
J-je f-fais p-pas de la ch-charité d'âme, o-ok ? D-désolé, m-m-mais si j-je v-veux rec-recommencer, c'est p-parce que j-j-je t'aime, v-voilà ! C'est t-t-trop dur à c-c-comprendre ?!
Évidemment, sa colère est accompagnée de larmes. Cette fois, c'est la rage qui les fait couler. Il n'aurait jamais pensé que le jour où il péterait un câble, il se lâcherait sur Ilya... et pourtant.
J-je... j-je v-veux j-j-juste r-revoir m-mon ami, m-m-merde ! J-je m'en f-fous, au f-f-final, q-que tu le v-vailles ou pas. J-je suis un sale p-p-petit ég-goïste, j-je sais, p-peut-être même q-que je suis p-pourri, m-mais j-je veux j-j-juste... toi. J-je m'en f-fous q-q-que ça soit p-plus d-d-dur qu'avec F-Finn ou les autres, il marqua un silence, essoufflé par son propre monologue, ... tu p-penses q-que j-je suis trop f-faible, c'est ça ? termina-t-il avec un ton presque sarcastique.
Oui, Oliver avait toujours été le fragile de service. Pas foutu de taper dans un ballon, capable de perdre un bras de fer contre une fillette et terrifié de l'obscurité comme le serait un enfant. Il en était conscient, mais savoir qu'Ilya, derrière tous les compliments et toutes les fois où il avait voulu le rassurer, le voyait en réalité plus fragile qu'un Granivol ? Ça le blessait. Est-ce qu'il avait au moins été sincère quand il lui avait promis qu'il était parfait comme il était ?
Il avait déjà du mal à croire qu'il lui avait dit qu'il l'aimait.
Ilya ne s'attendais pas vraiment à ce que ce petit con reste et se mette à gueuler. Mais son haussement de ton suffit à lui rappeler Vassilissa quand elle venait dans sa chambre, essayant de le forcer à sortir de son cri à coup de hurlement et de coups de canne.
Il se recroqueville sous sa couette, comme si il se préparait à un coup. Ça serait mérité non ? Il en vient à penser que tous les coups qu'il s'est prit dans sa vie, toutes les horreurs, même Sergeï, c'était mérité.
Il n'est pas une bonne personne.
Ce n'est plus de la tristesse et de la colère à présent, c'est du désespoir et de la détresse qui l'anime. Il a envie de mourir, ici et tout de suite et il n'aurait jamais pensé que ce sentiment soit causé par Ollie.
Parce qu'Ollie est gentil et... Non, il a raison, c'est un égocentrique qui ne comprends rien à rien. En même temps Ilya ne peut que se blamer lui-même, ce petit con ne comprends pas les messages codés.
Mais il lui faut une bonne dizaine de minutes à se noyer dans ses larmes pour qu'enfin une réponse arrive à naitre dans sa gorge. Sa voix ne ressemble plus qu'à un gémissement de nourrisson, il la trouve laide, impossible à prendre au sérieux. Putain mais t'es vraiment trop con ! Tu t'en fous peut-être mais pas moi ! J'ai connu la guerre, la mort et tout ce bordel ! J'ai perdu ma mère et c'est que cette nuit que j'ai compris qu'elle était morte ! Je sais même pas qui est mon vrai père ! Et j'ai même l'impression d'avoir oublié une part entière de mon âme ! J'ai nulle-part où aller et tous mon peuple me considère maintenant comme la pire des merdes! Tu crois que ça me plaît ce que tu propose ? Tu crois que je vais te remercier de me rendre la vie encore plus compliquée ?!
Il n'y tient plus et balance son oreiller en pleine face de l'autre petit con. Quand il dit qu'il ne veut plus le voir, il aimerait être prit au sérieux.
Un égoïste ! Un putain d'égoïste ! Voilà ce que t'es ! Tu crois qu'on peut repartir comme ça, tout va bien, comme si ton « je t'aime » avait jamais existé ? Désolé, Moy Tsarevitch, je peux pas ! Pourquoi tu ramène tout à toi, hein ? Pourquoi tu réalise pas que c'est MOI le faible dans cette putain d'histoire ?!
Il renifle et essaye de calmer sa respiration, si il continue comme ça, il va vraiment s'étouffer avec ses propres larmes. Il doit faire pitié à voir à l'heure actuelle. Mais il n'a pas finit de parler, c'est un flot de reproches qui se déverse de sa bouche. T'as toujours voulu que je sois le prince charmant de tes putains de contes de fée ! Un mec parfait qui sauve la princesse, hein ? Désolé de pas être à la hauteur, Blanche-neige mais il y a jamais eut de prince dans ton histoire. Juste un putain de névrosé !
Zaria, affolée par la détresse de son maître, vient voler vers lui, tenter de le réconforter, d'essuyer ses larmes avec ses ailes comme elle le fait si souvent. Sauf qu'Ilya est un véritable brasier, sauf qu'Ilya a les tripes à l'air et en feu et Zaria se brule dessus. Fout-moi la paix, toi !
Un violent coup de bras vient faire valser Zaria contre le mur dans un bruit qui indique clairement que le coup était plus violent qu'il n'aurait voulu. À cet instant, Oliver n'existe plus, juste Ilya et sa culpabilité, il se précipite hors du lit, se prends les pieds dans sa couverture et s'écrase par terre. Il s'en fout, il rampe jusqu'au pokémon assomé.
Zaria !
Il la prends dans ses bras et ses pleurs redoublent. Son esprit est embrouillé et il n'est pas sûr de comprendre se qu'il se passe dans sa tête. Il sait juste qu'il vient de frapper Zaria et qu'il n'avait jamais fait ça, même dans ses pires crises de violence.
À bout de force mentalement et physiquement – son séjour dans la mine n'a pas été des plus facile, il abandonne et agite le drapeau blanc. Il n'a plus envie de se disputer, il n'a plus envie de devoir faire face à des problèmes qui lui donne envie de se tailler les veines.
Il veut juste qu'on le laisse en paix.
Pour l'amour d'Arkæ, Oliver, casse-toi... Gémit-il pathétiquement. Ton prince charmant est mort...
Toujours aussi brisé et enragé, Oliver attendait sa réponse. Laquelle ? Aucune idée. Il aurait tellement voulu qu'Ilya comprenne, qu'il se calme, qu'ils puissent à nouveau reparler comme les amis qu'ils étaient censés être. Mais vu l'état dans lequel était ledit ami, il s'attendait davantage à se faire crier dessus en retour. Ça lui importait peu, au final. Il pleurait déjà à grosses gouttes et se sentait prêt à se défendre, pour une fois.
Mais rien. Du moins pas avant plusieurs minutes. Oliver resterait patient. Il ne bougerait pas avant d'avoir obtenu ce qu'il voulait. Ilya pouvait s'emmitoufler dans ses draps autant qu'il le voulait, il ne partirait pas. En revanche, dire que les pleurs qu'il entendant étouffés sous la couette le l'atteignaient pas aurait été un mensonge. Il se voulait fort et maître de ses émotions, mais au final, il n'était que le même Oliver qui ne supporte pas d'entendre les autres pleurer. Il se mordit la lèvre pour se forcer à rester silencieux. De toute façon, Ilya ne l'aurait pas laissé s'approcher pour le réconforter. Il se voyait déjà repoussé, comme la jour de leurs aveux. Il ne voulait pas vivre ce rejet. Pas encore.
En entendant les insultes qui sortirent enfin de la bouche d'Ilya, Oliver serra les poings assez fort pour sentir ses ongles s'enfoncer dans sa paume. Ca lui demandait toute sa force de ne pas éclater en sanglot à l'idée qu'Ilya, de tous les humains sur cette Terre, le traitait de con, d'ingrat, d'égoïste, avant de lui lancer un oreiller en pleine tronche, qu'il ne put pas esquiver. Toujours aussi léger et fragile, il n'en fallut pas plus pour lui faire perdre l'équilibre. Tombé comme un idiot sur ses fesses, il tremblait de rage comme de peur et de détresse.
Il n'avait ni la force de se relever, ni celle de répliquer. Les mots ne lui venaient pas de toute façon. Il se contenta d'écouter davantage de reproches de la part de celui qu'il aimait. Comme il avait été trop stupide et égocentrique d'avoir rêvé d'un prince charmant. Une partie de son âme se sentit blessée par ces mots. Eux qui avaient fondé toute une partie de leur amitié sur la lecture de contes de fées... est-ce qu'Ilya l'avait toujours trouvé niais et ridicule de vouloir un happy ending ? De vouloir trouver quelqu'un qui l'aimait d'un amour sincère ? Est-ce que ce n'était pas ce dont tout le monde rêvait ? La seule différence avec les autres, c'est qu'Oliver n'y arrivait pas. Impossible d'être heureux, impossible d'être aimé. La moindre des choses à faire c'était au moins de rêvasser. Et alors ? Il s'en foutait bien qu'Ilya ne soit pas un vrai prince charmant. Il le voyait déjà comme tel alors qu'il le croyait misérable et sans le sou chez sa vieille tante. "Prince charmant", c'était juste sa façon à lui de dire qu'il l'aimait et qu'il avait besoin de lui. Un besoin clairement non réciproque, et dont il devrait se passer si la discussion continuait ainsi.
Mais quelque chose fit vite perdre toute envie de se battre aux deux garçons. Un geste brusque, incontrôlé et irréfléchi, qui envoya valser une pauvre Togekiss qui n'avait qu'essayé de rassurer son dresseur. Celui-ci abandonna immédiatement la dispute pour aller au chevet de son Pokémon, et Oliver suivit bien vite. Zaria n'était peut-être pas SON Pokémon, mais il tenait à elle. Elle était l'amie d'un ami, quoiqu'Ilya ait à dire sur le sujet.
Pauvre Zaria... elle ne semblait pas en danger, mais elle était bien sonnée et surtout terrifiée. En voyant la Fée dans cet état, Oliver fondit un larmes, et cette fois, plus aucune rage. Que de la honte et de la détresse.
J-je suis d-d-désolé ! J-je... j-j-'aurais p-p-pas dû m-emp-porter, d-dire t-tout ça... d-désolé, Z-Zaria, c'est d-de ma faute... s'excusa-t-il platement au Pokémon qui semblait toujours aussi perdu.
Après une timide caresse, il se leva et jeta un regard mélancolique à Ilya. Bien vite, il détourna les yeux, incapable de maintenir le contact. Il sentait déjà le torrent arriver.
C'est... c'est v-vraiment f-fini, alors ? demanda-t-il, alors qu'il connaissait déjà la réponse, du moins, il le pensait; je... j-je sup-suppose q-que j'ai été b-b-bête d-de croire q-que ça d-d-durerait p-pour toujours...
Il se souvenait pourtant de promesses, de toujours rester ensemble, de ne jamais s'oublier... tout ça... pour ça ? Pour s'engueuler comme des chiffonniers ?
Si tu v-veux p-plus me v-voir, d-d'accord. D-désolé d-de t'avoir c-comp-pliqué la vie, dit-il sans le moindre sarcasme, au revoir, Ilya...
Dans un cas pareil, on devrait plutôt dire "adieu", non ? Oliver le savait, mais les mots n'avaient pas voulu sortir. Une part de son esprit s'accrochait toujours à cet espoir qu'il restait quelque chose entre eux. Que leur amitié n'était pas morte et enterrée. Une étincelle d'espoir qui le brûlait comme un incendie dans ses tripes. Après tellement de temps passé ensemble, tellement de belles promesses, la fin de leur relation semblait irréelle, comme un mauvais rêve.
Ilya ne peux pas regarder Oliver, il n'en a plus l'énergie. Il ne veut plus de confrontation mais dans le même temps, la solitude le terrifie. Qu'est-ce qu'il va faire une fois Oliver parti ? Combien de médocs faudra-t-il gober pour pouvoir se calmer ? Une dose léthale peut-être ?
La vérité c'est qu'il ne veut pas qu'Oliver parte, il aimerait juste que ce soit quelqu'un qu'il reconnaisse qui soit avec lui, et pas ce...
… Petit con égocentrique ?
Enfin, vite dit, tout de suite, les vieilles habitudes sont reprises par Ollie, il se blame lui-même, broie du noir et propose de partir. Ilya retient un « ta gueule » en serrant les dents. Il serre Zaria un peu plus contre lui. Je...
Il essaye de parler mais l'air lui manque, il a l'air ridicule. Il n'arrive même plus à parler sans verser des tonnes de larmes avant. Et dire qu'Anastasia était persuadée que ça s'arrangerait. Quelle belle connerie, sa mère aussi croyait un peu trop aux contes de fées.
Pourtant, ce qu'Ilya dit, c'est de la pure franchise accompagnée d'une profonde détresse.
Pars pas, s'il-te-plaît... Il respire un grand coup. Je... J'arrêterais d'être méchant, promesse.
« Promesse », ça lui a echappé. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas fait cette faute de langage tiens. Ça le rendrait presque nostalgique si la détresse ne prenait pas toute la place dans son cœur. Il a vraiment... Peur, en quelque sorte, si Ollie part, il mourra. D'une façon ou d'une autre, c'est une certitude, une sorte de malédiction qui pèse sur lui.
Après tout, les princesses ne sont rien sans leurs princes, non ? Oliver s'est gourré, forcement, il a cru que c'était lui la princesse. Mais en vérité...
Je peux pas continuer de jouer les amis. Avoue-t-il d'une voix tremblante tout en caressant nerveusement une Zaria qui reprends peu à peu ses esprits. Tu m'as dis « je t'aime » et moi je t'aime aussi. Je peux pas faire comme si ça s'était jamais passé...
Il baisse la tête et un sourire amer se dessine sur son visage couvert de larmes. Mais c'est pas grave si tu veux pas... Ment-il. ...Si tu veux pas, tu peux partir. C'est plus simple pour toi, je veux pas te causer des ennuis.
Il y joue sa vie mais il ne peut pas contraindre Oliver à jouer les amoureux. Alors il sera comme la princesse Odette, il laissera Oliver livre sa vie et lui, et bien... Odette se transforme en Lakmécygne pour l'éternité ou alors elle se suicide selon la fin, non ? Pour Ilya, ça revient un peu au même.
C'est peut-être un peu égoïste de sa part mais Ollie est tout ce qu'il reste de sa vie foutue en l'air, il ne veut pas le perdre. Parce que si il le perds, ni n'aura plus rien à perdre après.
Et les gens qui n'ont plus rien à perdre font des choses horribles.
Un simple mot. Un simple début de phrase bredouillé. Il n'en fallut pas plus pour arrêter net Oliver sur le point de se relever. Pourtant, il en était sûr. Rien de bien ne franchirait les lèvres d'Ilya. Un "bon débarras", peut-être ? "Je" ? Comme "je ne veux plus jamais te voir" ? Les scénarios catastrophe allaient et venaient dans l'esprit d'Oliver, et pourtant, les vraies paroles de son lui firent bien plus mal qu'une insulte.
Des supplications, voilà ce qu'Ilya avait à lui offrir. Le visage sombre d'Oliver se changea en une horrible grimace, incapable de comprendre quelle émotion il était censé ressentir. De la tristesse ? De la rage ? De la peur ? C'était surtout l'incompréhension qui lui écrasait le crâne comme une migraine. Une douleur atroce, certes psychologique, mais presque physique par son intensité, qui bien vite, fit revenir les larmes. Il écouta sans broncher ce que le Stranaïte avait encore à lui dire, réprimant une envie de lui crier de la fermer. Il garda le silence, lèvres pincés, cœur serré, serrant fort ses poings pour ne pas laisser ses émotions déborder. Pourtant, entendre Ilya balbutier "promesse", comme lorsqu'il venait d'arriver à Keros manqua bien de faire déborder le vase.
Il tint bon. Juste assez longtemps pour qu'Ilya ait eu le temps de dire toutes ces choses horribles.
P-p-pourquoi ? cria presque Oliver dans le sanglot qu'il refoulait depuis longtemps, p-pourquoi tu me f-fais ça ?
Il renifla avec difficulté. Il ne pouvait pas exactement en rester là, il savait bien que sa question était trop vague. Mais il avait besoin de quelques instants pour se ressaisir.
J-je c-comp-comprends p-plus rien... tu v-veux... tu veux q-que je p-parte, p-puis tu d-dis le c-contraire... un-un c-coup tu m-m-m'aimes, et un c-coup tu n-ne veux p-p-plus j-jamais me voir...
Qui était-il censé croire, alors ? L'Ilya qu'il avait connu avant "l'incident" ? Celui qui n'avait jamais haussé le ton devant lui ? Ou alors celui qui pleurait avec oui ? Ou encore celui qui lui avait hurlé dessus plus tôt et l'avait traité d'égoïste ? Trop de questions... Oliver avait l'impression de se noyer dans un océan de confusion. De se noyer, aussi, dans son propre chagrin, aveuglé par toutes ses larmes dont il avant tant honte. Il ne remarqua même pas quand Ilya s'approcha de lui. Il ne remarqua pas, jusqu'à ce qu'il sente deux bras se serrer autour de lui, le faisant sursauter de surprise.
D'abord tendu, Oliver voulut se débattre, mais son corps était bien trop fatigué pour. Il ne voulait pas, pourtant, il ne voulait pas encore une fois tout résoudre par une embrassade et oublier la colère qu'il trouvait justifiée. Mais trop vite, il se sentit fondre. Ce câlin, il en avait eu besoin. Terriblement besoin, même, affamé de chaleur humaine et incapable de la trouver ailleurs qu'auprès de son meilleur ami. Alors... la colère... les reproches... il les garderait pour plus tard. Pour un jour où Ilya et lui seraient plus en état de discuter au lieu de pleurnicher comme deux idiots.
J-je... entre deux reniflement, Oliver reprit son souffle. Il se sentait... à peu près prêt à répondre à Ilya, j-je v-veux bien... j-je veux b-bien... essayer... d-d'être p-plus q-qu'amis.
Si elles n'avaient pas déjà été embrasées par la honte et la rage, ses joues auraient rosi à ces mots. Et pourtant, il restait plutôt réservé sur le sujet. Quelques mois plus tôt, il aurait sauté sur l'occasion. Il aurait pleuré de joie et voulu embrasser Ilya sur le champ comme dans les films d'amour. Mais là... tout ce qu'il voulait, c'était donner une autre chance à leur amitié. Peut-être plus. Et si c'était ce qu'il fallait faire pour qu'Ilya accepte de lui reparler... alors il pourrait bien accepter l'étiquette de "petit copain", aussi fausse sonnait-elle.
De toute façon, ce n'était pas comme si il avait eu une réputation à tenir.
Ilya serre Oliver dans ses bras, tremblant comme une feuille, craignant un instant d'être rejeté. Mais les mains qui sont censées le pousser n'agissent, non, Ollie s'agrippe à lui comme si il était un radeau au milieu d'un océan en pleine tempête. Enfin, d'un point de vue, ils sont le radeau l'un de l'autre.
Un besoin mutuel, peut-être pas très sain au final mais irrémédiable pour le moment.
Le Stranaïte retient son souffle jusqu'à ce que son ami se décide à parler. Il accepte, il va essayer malgré ses incompréhensions. Ilya n'a rien demandé explicitement pourtant, il a juste exprimer son ressenti, incapable de revenir en arrière.
Une part de lui se dégoute lui-même d'avoir forcé son ami dans ses derniers retranchements, l'autre part, plus égoïste, est soulagée. Il va vivre un peu plus longtemps que prévu, finalement. Lui qui s'imaginait déjà pendu à la poutre de sa chambre avec l'un de ses draps.
Il libère Oliver de son étreinte qui devient écrasante à force de serrer et de trembler. La tête lui tourne soudain. Ah oui, c'est vrai qu'il n'a pas mangé, c'est vrai que depuis un certain temps, il a chaud et froid en même temps, c'est vrai qu'il a le vertige depuis que sa mère lui est apparut sous forme spectrale cette nuit-là.
Il ne s'en est pas affolé mais là, avec le choc émotionnel...
Il recule de quelques pas, confus. Il ose enfin regarder Ollie dans les yeux, parce qu'il lui faut un point fixe dans ce monde qui commence à tournoyer autour de lui.
Merci... Souffle-t-il. ...Je sais que t'as pas envie mais merci...
Il ne sait pas quoi dire d'autre. Alors il recule encore, se prends les pieds dans sa couette et tombe en arrière. Il entends Zaria piailler, affolée. Il lui semble dans le flou que Peluche est venue à son chevet pour lui lécher la joue, du coté aveugle.
Il entends les pas affolés d'Oliver, il croit le voir s'agenouiller à ses cotés et essayer de lui parler. Mais il se sent déjà trop loin pour discerner les mots de son ami. Copain ? Amoureux ?
Il ne sait plus trop.
Il faut... Essaye-t-il de dire malgré le tournis. … Il faut... Le Docteur Raine...
Il entends des cris, on s'affole, d'autres personnes viennent l'entourer... C'est... C'est la voix d'Hitomi, peut-être ? Zahra ?
Non, impossible à dire. Il soupire, frustré de sa propre incapacité à comprendre le monde qui l'entoure. La fièvre l'écrase peu à peu sous une vague de chaleur glacée, le vertige le gagne de plus en plus, alors même qu'il est immobile, au sol.
Finalement, il finit par se laisser porter par le courant et sombre dans l'inconscience.
Oliver aura tout le loisir de l'engueuler un autre jour.
Ilya ne lui répondit pas. Pas de suite. Ce n'était pas parce qu'Oliver luttait émotionnellement que son ami avait le dessus sur la situation. Non, les deux n'étaient que des naufragés qui ne s'étaient trouvés que l'un l'autre pour espérer survivre. Éventuellement, tout en tremblant, Ilya s'éloigna. Oliver le laissa reculer à la fois avec soulagement et appréhension. Il le remercie, visiblement conscient qu'Oliver aurait préféré que leur amitié reparte autrement, mais tout de même reconnaissant. Le petit blond ne lui répondit pas, se contentant de hocher la tête. De toute façon, ses mots auraient vite été interrompus par du souci en voyant Ilya tanguer.
Ça ne ressemblait pas à de la fatigue ordinaire, ni émotionnelle comme lui pouvait en ressentir. C'était assez grave pour le faire tituber, puis tomber comme un poids sur le sol. Zaria et Peluche ne semblaient pas mieux comprendre la situation que l'ami de leur maître, les pauvres bêtes. Oliver essaya bien de l'aider. Mais ses mots de réconfort ne furent pas entendus, il en était certain. Et son offre de l'aider à se relever ? Bah ! De toute façon, il n'aurait réussi à rien avec ses petits bras. Il devrait appeler à l'aide. Quelque chose qu'Ilya confirma dans son état second. Le docteur. Il fallait le docteur Raine. Lui plus qu'un autre, étant donné les circonstances douteuses dans lesquelles Ilya avait pu se blesser ou attraper le mal.
Décidément, la conversation ne s'était pas du tout déroulé comme l'aurait voulu Oliver dans son optimisme réservé. Est-ce qu'on pouvait parler de réconciliation ? Ils s'étaient reparlé, et si la discussion avait vite tourné en dispute, est-ce que leur câlin signifiait que tout était pardonné ? Pas pour Oliver. Il avait encore tant de chose - pas forcément agréables - à dire. Il avait au moins le soulagement de savoir que la prochaine fois, il garderait son calme. Et peut-être qu'Ilya aussi. Après tout, la fatigue et la fièvre avaient peut-être obscurci son jugement.
Dans un soupir, Oliver quitta le manoir, laissant son ami... petit-ami ? Il préférait ne pas trop y penser - entre les mains bienveillantes des époux Nightingale et du docteur Raine. Il rappellerait probablement dans deux ou trois jours, espérant tomber sur Charlotte plutôt que sur Ilya directement. Il avait hâte de lui reparler, mais espérait de tout son cœur ne plus jamais revoir l'Ilya qui l'avait traité de con et d'égoïste.