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Keros FORUM POKEMON · ANNEES 60 · AVATARS 200*320 · PAS DE MINIMUM DE LIGNES
En Novembre 1965, Keros fête ses 30 ans. Désormais libre de l'égide de Galar, la région se remet péniblement de deux guerres, et la jeunesse a envie de tourner la page. Sa liberté, elle la trouve autant dans l'activisme que dans des loisirs innocents. Les combats de Pokémon, en phase pour devenir la discipline phare à Keros. La coordination, l'élevage et le métier de ranger ont également le vent en poupe. Une organisation criminelle profite de cette mode pour s'enrichir grâce au braconnage et le gouvernement ne semble pas concerné par la crise écologique et économique imminente.Lire la suite
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C'est une sempiternelle journée de cours qui commence. Un jeudi, pire jour de la semaine. En tout cas, c'est celui que j'aime le moins. Peut-être parce que le peu d’énergie accumulée durant le week-end s'est essoufflée depuis longtemps. Que contrairement aux vendredi, je ne sens pas la douce brise de la liberté me chatouillant le nez un peu plus chaque heure passée entre les murs du lycée. Peut-être parce que je commence directement par deux heures avec Flemming. Ce n'est le cas que depuis cette rentrée mais je suis sûr qu'il entre en jeu dans l'équation. La matinée commence mal. Rien d'inhabituel : insultes et bousculades, depuis le temps je devrais m'y être habitué. C'est une chance que la cloche ait appelé mes petits camarades dans leurs classes avant qu'ils n'aient envie de jouer davantage.
La présence d'Ilya me manque.
Il n'est pas question de protection... il a beau m'avoir dit qu'il serait ravi d'envoyer balader les brutes qui me malmènent, je ne veux pas le mêler à ça. C'est plutôt la sensation de ne pas être seul, d'avoir une personne dans la même pièce que moi qui me comprends et ne veut pas me voir mort. Une sensation que je ne connaissais pas jusqu'à si peu de temps et à laquelle j'étais devenu accro. C'est mal, je le sais. Ce n'est pas sain, mais j'en ai besoin. Au moins, je le sais sain et sauf. J'avais bien failli sombrer en apprenant qu'il avait terminé à l'hôpital et dans quelles circonstances. Rien que d'y penser, je souris à ma propre bêtise. On a beau me reprocher d'être pessimiste et parano, au moins, je suis toujours agréablement surpris. Je ne me serais jamais attendu à passer un si bon moment en allant le visiter à la clinique et pourtant, rien que de penser à sa main tenant la mienne, ses bras autour de mes épaules, la lecture de contes pour enfants et les sourires partagés me met du baume au cœur. Même toutes les larmes versées ce jour-là ne peuvent pas me faire changer d'avis. Nous sommes amis, après tout, alors même les moments désagréables deviennent des bons souvenirs à la longue.
Je lui ai promis de venir, ce soir. C'est même la pensée positive qui m'a aidé à me lever ce matin. Je rejoindrai Finn à l'entrée et nous pourrons avancer un peu cette histoire de littérature. Finn lira sûrement mieux que moi; et puis, avec sa voix calme et posée, il fera sûrement un très bon conteur. Cette journée commence mal, mais je sais qu'elle passera vite si je me projette dans l'avenir. Flemming rentre dans la classe, mais au lieu de m'en soucier, je pense déjà à la fin des cours et à mon après-midi entre amis.
C'est son silence que je finis par remarquer. Il marmonne dans sa barbe, visiblement agacé. Ce n'est que quand toute la classe se redresse comme des Miradar que je remarque que le directeur le suit. Je les imite vite, n'ayant pas vraiment envie de me faire taper sur les doigts. Je manque de trébucher, mais personne ne me le fait remarquer. C'est sans doute l'expression grave des professeurs qui les inquiète. C'est vrai qu'ils ont rarement l'air si mornes. Ils doivent tous se demander qu'ils ont fait une connerie pour justifier une apparition du proviseur.
Asseyez-vous, ordonne-t-il, et tout le monde obéit sans réfléchir, nous sommes au regret de vous informer d'une tragédie. Votre camarade, Ilya Rusalka, s'est donné la mort hier. Nous sommes tous dévastés par sa mort et adressons nos cond- Q-Quoi ?!
J'ai hurlé sans vraiment réfléchir. Maintenant que tous les visages sont tournés vers mois, je réalise que je me suis soudainement levé. Flemming fulmine.
Dixon, asseyez-vous ! Interrompez encore monsieur le directeur et vous le regretterez.
Je lui obéis. Je ne veux pas plus d'ennuis, mais je n'écoute plus le monologue du dirlo. J'essaie encore d'avaler ce qu'il vient de balancer sans le moindre tact. Ilya ? Mort ? Impossible. C'est sûrement un cauchemar. Après tout, j'en rêve souvent. Alors je me pince le bras, je me prince jusqu'à ce que ça fasse mal et plus encore, mais je ne me réveille pas. Je regarde autour de moi, espérant trouver quelque chose d'étrange qui me prouverait que j'hallucine. Un Donphan rose dans un coin de la salle ou un camarade déguisé en clown... non, toujours le même vieux lycée décrépi. En revanche, je sens tous les regards sur moi. Pour une fois, je suis quasiment sûr que je ne psychote pas. Certains sont remplis d'empathie et de tristesse. J'entends des murmures. "Merde ils étaient pas amis ?". "Putain le pauvre". "Je me sens mal de l'avoir frappé maintenant...". Ou quelque chose comme ça. D'autres sont bien plus vilains. Il y en a qui sourient, avec leurs yeux de Grahyèna. Ils n'aimaient pas Ilya, ils ne m'aiment pas non plus et me voir trembler comme une feuille avec les bras à vif à force de les griffer les amuse sûrement.
Je refuse toujours d'y croire. Non seulement, Ilya ne peut pas être mort, mais en plus, c'est impossible qu'il se soit... enfin voilà. Il a promis. Il a promis, les larmes aux yeux, après un câlin qui me semblait des plus sincères, qu'il essaierait de ne plus se blesser et qu'il n'essaierait pas de mourir. Parce qu'il a une sœur, parce qu'il a ses Pokémon, parce qu'il a Finn et moi, et le petit Sieba qui a besoin d'un papa pour s'occuper de lui. Je refuse de croire qu'il ait menti. Il y a forcément une explication. Peut-être un autre Ilya Rusalka dans la classe auquel je n'ai jamais fait attention ? Ou alors une blague. Oui, une blague ! Après tout, si toute l'école s'amuse de moi, impliquer les professeurs et la direction, ce n'était que l'étape du dessus. Étrange, pourtant. Ils ne semblent pas rire, alors que ma tête doit être risible. Je me fiche bien d'être beau, d'être crédible ou quoi que ce soit. J'ai l'impression d'avoir les traits d'un Snubbull, avec mon visage qui se fait lourd et s'affaisse.
Il y a forcément une explication. Une explication rationnelle, même, mais je ne la trouve pas. Il y a trop de choses dans ma tête, je panique et je n'arrive pas à faire le tri. J'ai besoin... d'une minute, pas plus, pour reprendre mon souffle. Et c'est là qu'arrive une horrible sensation de nausée, causée par mon cœur qui s'enfonce de plus en plus profondément dans mes entrailles. Mon estomac est lourd, comme une pierre et n'arrête pas de se contracter. C'est comme la sensation de se prendre des coups de poings, sans cesse, je ne connais que trop bien. Je sens la bile remonter. J'ai besoin de vomir. Ce n'est plus qu'une sensation, c'est un vrai besoin. Pas de "lever la main" qui tienne. Je n'ai pas le temps de demander l'autorisation de sortir. C'est ça où je m'apprête à dégueulasser toute la pièce. Flemming me remerciera plus tard.
Ma tentative de me lever doucement et discrètement est un échec. Ma chaise tombe, dans un boucan horrible qui me laisse des acouphènes. Je reste bien quelques secondes à planer, regardant dans le blanc des yeux les deux adultes visiblement choqués de ma conduite. Mais avant qu'ils ne puissent me reprocher quoi que ce soit, je me dirige déjà vers la porte. Elle me parait si loin... j'ai beau être assis côté fenêtre, la poignée n'a jamais été aussi difficile à atteindre, j'en suis sûr...
Mon estomac se contracte soudain brusquement et avant de pouvoir réagir, je rends mon petit déjeuner derrière un pauvre camarade. J'entends des cris, de peur, de confusion, de dégoût surtout. Flemming crie mon nom mais je l'ignore. Maintenant que mon ventre est à moitié vide, je suis libre de courir jusqu'aux toilettes. Du moins c'est ce que je crois, avant qu'une nouvelle secousse ne survienne. Et voilà l'autre moitié. Et mon énergie s'est envolée avec. Mais mon corps n'en a pas fini. Il continue alors qu'il n'y a plus rien à recracher, plus même de la bile, et je me contente de tousser à m'en arracher la gorge. Je m'écroule, mes jambes n'ont plus la force de me porter. La quinte de toux continue et ne s'arrête pas.
***
Je ne suis pas allé à l'école aujourd'hui. Hier non plus. Je ne compte pas y aller demain. Je ne sais pas depuis combien de temps on me laisse rester chez moi mais ce n'est pas plus mal. Je ne servirais à rien sur les bancs. Je ne ferme pas l’œil de la nuit et je passe mes journées à regretter de ne pas avoir dormi. Je dormirais bien, mais maman a décidé de bien s'occuper de moi depuis qu'elle m'a récupéré l'autre jour. Elle me fait me lever le matin, elle m'habille comme un bébé et essaie de me divertir. Je n'ai pas mangé au petit déjeuner. Je n'ai pas diné hier soir non plus. Je n'ai pas faim. Mon ventre crie sûrement famine depuis plusieurs jours mais je ne l'entends pas. J'ai déjà bu quelques verres d'eau; la plupart, je les ai vomis. Donc je n'ai pas particulièrement hâte de réessayer de manger. Maman a bien essayé de me forcer. Elle a crié, puis elle a pleuré, puis elle a abandonné. Je n'ai toujours pas faim.
Elle me laisse regarder la télévision toute la journée. Et par là, j'entends qu'elle me place sur le canapé et passe voir de temps en temps si je ne me suis pas laissé mourir. Parfois, elle s'assoit avec moi et se force à rire trop fort devant les séries comiques pour m'inciter à l'imiter. Je ne trouve pas ça drôle. Même les dessins animés que j'aime tant ne me font pas rire. Je sais que c'est drôle... mais je n'arrive pas à rire. Pas même à sourire. Je dois avoir une sacrée gueule de déterré, tiens. Au moins, je ne pleure pas. Je n'ai pas pleuré du tout, ça étonne tout le monde. Je crois que j'ai pleuré pendant que j'étais inconscient, puisque j'avais le visage humide et collant de larmes, mais depuis, absolument rien. Tout est resté bloqué, quelque part. Où je n'en sais rien, mais pour une fois que je ne pleure pas, je suppose que je ne devrais pas m'en plaindre. Maman s'en inquiète. Elle m'a supplié de pleurer, de rire, de m'énerver, de faire quelque chose. Je n'ai rien fait de tout ça. Je ne crois pas lui avoir parlé depuis qu'elle m'a ramené de l'école. D'abord, elle comprenait et elle me laissait tranquille. Maintenant, elle continue de me parler en boucle en espérant trouver le sujet qui me déverrouillerait. Je ne lui réponds pas, mais elle continue de parler. Je crois qu'elle s'écoute parler à défaut d'avoir une vraie conversation. Si ça peut la faire se sentir moins seule...
***
J'ai enfin réagi à quelque chose. Après une semaine, peut-être plus. La série d'espionnage que maman aime bien est passée pendant que j'étais assis sur le canapé. Elle s'est rendue compte du danger et elle s'est jetée sur le poste pour l'éteindre. Trop tard. Le personnage d'Ilya avait déjà fait son apparition, et avec lui, une jeune fille pendue à son cou qui murmurait son nom avec admiration. Si j'avais su qu'il en faudrait si peu pour me faire craquer. Un simple nom... je me suis effondré et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Même les caresses dans mon dos n'y ont rien fait. Éventuellement, entre la faim, la fatigue et le chagrin, je me suis endormi sur les genoux de ma mère.
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Finn est passé. Il se souciait assez pour venir sonner à ma porte mais je n'avais pas envie de le voir, alors j'ai fait dire à maman que je dormais. C'était faux, évidemment, je n'avais pas dormi depuis la crise de larmes de l'autre jour. Il est gentil, Finn, je dirais bien que je suis touché par son attention mais je ne sens pas grand chose. A la rigueur, un peu de culpabilité pour l'avoir rejeté. Il est revenu, une ou deux fois, mais il a laissé tomber. Ou alors maman ne me prévient plus quand ça arrive, parce qu'elle sait que je dirai non de toute façon. C'est bien malheureux pour lui, mais Finn peut se passer de moi.
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Franchement ! Il le connaissait depuis quoi ? Un mois ? Il devrait s'en être remis maintenant, quand même !
Le regard foudroyant de maman fit baisser les yeux à mon père. Il était rare qu'il se soumette, mais il doit s'être rendu compte lui-même qu'il est allé trop loin. Je pense avoir lu de l'inquiétude dans son regard, et il l'exprime en s'énervant. Je crois que quand il s'est énervé et m'a crié dessus mais que je n'ai même pas réagi, il a vraiment su qu'il y avait un problème. Il a essayé de me parler, plus en quelques jours que pendant ces dernières années. Il m'a appelé "fiston", "champion", "mon p'tit gars" et d'autres surnoms que j'aurais sûrement été très heureux d'entendre... avant. Il m'a demandé comment se passaient mes journées avec maman. D'un ton joueur, il m'a dit que j'avais de la chance de passer mon temps devant la télé au lieu d'aller travailler. Il a abandonné plus vite que maman l'idée de me faire parler, mais je sais que quand ils chuchotent, c'est de moi qu'ils parlent. Je me fiche un peu de ce qu'ils peuvent raconter.
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J'ai fini à l'hôpital hier. Apparemment, j'ai fait un malaise. Apparemment, je n'ai pas mangé depuis trop longtemps. "Anémie" ou quelque chose comme ça. Ce n'est pas avec leur nourriture horrible d'hôpital que je vais changer mes habitudes. Ils le savent alors ils m'ont planté un cathéter dans le bras. Je ne dors pas mieux mais je ne fais pas de malaises, c'est déjà ça. Je crois reconnaitre les murs, mais toutes les chambres se ressemblent. Depuis mon lit, je ne peux pas voir le numéro de ma chambre et je n'ai pas osé le demander. J'espère juste que ce n'est pas la chambre quatorze. Pas que je sois superstitieux, mais...
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Le docteur Raine a accepté la requête de ma mère. Elle pense que j'ai besoin d'un suivi psychologique. Si c'est ce qu'elle veut, alors je le ferai. Personnellement, je ne pense avoir besoin de rien. Il m'a posé des questions. D'abord des terriblement banales, auxquelles je n'ai même pas réfléchi et auxquelles je n'ai daigné répondre que par un regard désintéressé. Quand elles ont commencé à se faire plus personnelles, j'ai baissé les yeux. Il finirait par comprendre que je n'ai pas envie de parler.
On m'a demandé si j'étais triste. Je ne sais pas vraiment. La logique voudrait que oui, mais la plupart du temps, je me sens juste... vide. Comme si mon cerveau avait été remplacé par de la neige de télévision. Je ne suis pas heureux, mais je ne suis pas triste non plus. Parfois, la tristesse me rattrape et je pleure quelques minutes, puis elle disparait aussi vite qu'elle est venue et le vide revient.
On m'a demandé si j'en voulais à Ilya. Je me suis contenté de secouer lentement la tête après une petite réflexion. Pas le moins du monde. Il a juste fait quelque chose de logique. Il n'aimait pas sa vie alors il l'a arrêtée, c'est aussi simple que ça. Si j'avais été courageux comme lui, je l'aurais sûrement déjà fait aussi, mais j'ai toujours été connu comme la mauviette. Alors évidemment, je n'ose pas. Si je dois ressentir quelque chose vis-à-vis d'Ilya, c'est de l'admiration.
On m'a demandé si j'avais envie de mourir.
Pas particulièrement. Je n'ai envie de rien, en fait. Si la mort m'attend à force de refuser de manger, tant pis pour moi je suppose, mais je ne la recherche pas. Comme je n'ai pas non plus envie de vivre, je ne vois pas l'intérêt de me forcer à avaler quoi que ce soit, par contre.
***
Ils n'ont accepté de me laisser partir qu'à condition que je mange. Alors j'ai mangé. Ça n'avait aucun goût. J'ai d'abord cru que c'était la qualité de repas de la clinique qui voulait ça, mais j'ai vite compris que c'était juste le goût qu'aurait toute la nourriture désormais. On m'a amené au restaurant pour me ré-ouvrir l'appétit. J'ai mangé sans aucun plaisir ou aucune gourmandise. J'avais l'impression d'être un ballon qu'on remplissait de sable jusqu'à ce qu'il éclate. C'était horrible, mais au moins, papa et maman ont souri.
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Je suis retourné à l'école. La plupart de mes camarades se sont contentés de m'ignorer. Je suppose qu'ils ont des scrupules à m'attaquer quand je suis au plus bas. Ce n'est pas le cas de tout le monde, bien sûr, certains y ont trouvé leur nouvel angle d'attaque.
Bah alors, Dixon ! Il est plus là ton chien-chien de garde ? Tu vas faire quoi sans lui ?
Je n'ai pas réagi, alors il m'a frappé. Je n'ai pas réagi alors il m'a frappé plus fort. Un surveillant nous est tombé dessus avant qu'il ne puisse encore plus passer sa frustration sur moi. Un mouchoir dans le nez pour arrêter les saignements et me revoilà en cours, comme si de rien n'était.
La leçon semble importante mais je n'écoute pas. Ça ne m'intéresse pas. J'aurai sûrement un zéro pointé à l'examen mais en toute honnêteté, je m'en fous. Je pense à autre chose. Je ne pense à rien. Je regarde par la fenêtre, mais plutôt le béton que les oiseaux qui volent. Je me demande si je ne ferais pas mieux de sauter, moi aussi. Je repense à Ilya. D'à quel point il devait être malheureux pour avoir franchi le pas. Il ne méritait pas ça. Pour la première fois depuis un moment, je sens les larmes monter et je commence à renifler un peu trop bruyamment pour les ravaler.
Hé, Dixon va pleurer !
Je me moque bien de lui donner raison. De toute façon, je n'ai jamais su les retenir. Je me laisse aller en cachant ma tête dans mes bras pour essayer d'étouffer un peu les sanglots. Pas que ça soit très efficace. On n'entend plus que moi, jusqu'à ce que certains se mettent à rigoler et jusqu'à ce que le professeur me demande de me ressaisir. Je ne l'écoute pas, il me met une retenue. Je m'en fous bien.
***
Le temps est passé vite. Ou lentement. Difficile à dire, mais j'en ai enfin fini avec le lycée. Je n'ai pas eu mon diplôme, à la surprise d'absolument personne. Il faut dire que je ne me suis même pas présenté à la moitié des examens. Il y a quelques années, mes parents m'auraient sévèrement corrigé, mais ça fait longtemps qu'ils ont laissé tombé. Ils n'ont même pas insisté pour que je reste un an de plus pour retenter le coup, ils savent que ça ne servira à rien.
J'ai dix-huit ans et je devrais commencer mon service militaire sous peu, normalement, mais le docteur Raine m'a obtenu une dispense pour cause psychologique. Pas bête, je me vois mal être utile à quoi que ce soit à la base. Je suppose que je devrais le remercier... j'avais prévu de mourir pour y échapper mais maintenant je ne sais pas vraiment quoi faire.
Trouver un travail ? Si je n'étais même pas foutu d'avoir la moyenne dans une seule matière, quel genre d'employeur voudrait de moi. Je ne sais rien faire de mes dix doigts, m'avait-on déjà reproché. C'était censé être une pique pour me faire prendre conscience de quelque chose mais je l'ai pris comme tel : un fait, que j'avais accepté depuis longtemps. On m'avait juré que je regretterais de ne pas avoir travaillé. Pourtant, je ne ressens rien d'autre que du vide, comme toujours. Je ne sais même plus pourquoi je suis comme ça et quand j'ai craqué. Pourquoi je me sens cassé, pourquoi j'ai des cauchemars dont je ne me rappelle que le sentiment de peur au réveil ou pourquoi parfois, je me mets à pleurer comme une madeleine au milieu de rien. C'est arrivé quelque part il y a deux ou trois ans, je suppose, puisque je me souviens avoir été beaucoup plus émotif que ça à seize ans. Je suppose que c'est ce que sept ans de harcèlement font à quelqu'un. Peut-être le fait de ne jamais avoir eu d'amis. Il parait que la solitude rend fou. Est-ce que je suis fou ? Les psychologues préfèrent dire "malade" mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Flemming me l'a répété longtemps, jusqu'à ce qu'il parte à la retraite, en fait. Ça m'a épargné une année de plus avec lui. Il ne m'aimait vraiment pas et je le comprends.
Qu'est-ce qu'il y a d'appréciable chez moi ? Je fais toujours la gueule, je ne parle à personne, je suis stupide, pas drôle, pas attirant, nul en tout, bon à rien. Ma propre famille se fout de moi, alors pourquoi en attendre plus de la part d'étrangers ?
Avachi dans mon lit, je compte les mêmes poutres pour la millième fois. Pas passionnant mais ça passe le temps avant de me rendormir. La solitude me prend soudain, je jette un œil à la Pokéball de Noisette, qui attend sagement sur ma table de chevet. Je ne l'ai pas sortie de là depuis combien de temps ? Difficile à dire, j'en ai perdu la notion. La pauvre tourne en bourrique à me voir comme ça, alors je préfère lui épargner. Mais je suis égoïste, j'ai besoin de sa présence ou - je le sais, je n'arriverai pas à dormir et je finirai par piquer une crise. La Pachirisu sort avec un sourire plein d'espoir, qui s'évanouit vite. Non, je n'ai pas miraculeusement changé. Son visage s'empreint de tristesse et c'est entièrement de ma faute, voilà pourquoi je la garde enfermée la plupart du temps. Au bord des larmes, elle vient se cacher dans le creux de mon bras pour se sentir en sécurité. Je sais qu'elle est misérable, mais c'est une sensation agréable : celle qu'au moins une créature sur terre se soucie de moi, assez pour se blottir contre moi et pleurer à ma place.
Je me retourne pour la prendre sous mon bras et la serrer fort contre ma poitrine, profitant de la chaleur de sa fourrure entre mes doigts. Elle continue de pleurnicher mais elle reste quand même en place, puisqu'elle a besoin de réconfort. J'ai l'horrible sensation de profiter de sa misère, mais ça n'empêche pas le sommeil de m'emporter petit à petit. Je ne sais pas ce que je ferai demain. Probablement la même chose que d'habitude : dormir ou faire semblant de dormir en attendant de m'endormir. Peut-être descendre manger pour rappeler à maman que je ne suis pas encore mort. Ça viendra, tôt ou tard, et peut-être que tout le monde s'en portera mieux.