The best little girl [solo]

C'est une broutille que Châtiment lui a murmuré à l'oreille pour se moquer d'elle. Mais depuis, la question l'obsède, Dolorosa l'a confirmé. Ce n'est pas juste une histoire pour la mettre en colère, c'est justement une vérité avouée pour la blesser et la faire douter. Mais maintenant, il est trop tard, elle est trop attachée à son otōsan pour laisser couler. Elle doit aller lui parler, elle doit comprendre ce qui est incompréhensible. Alors elle profite d'un jour tranquille pour faire diversion à l'aide de Mochi et de Perceval pour pouvoir laisser l'entrée au bureau qui lui est interdite libre d'accès. Imouto la suit discrètement, main dans la main. Parce que Aurora ressent beaucoup de choses qu'elle ne comprends pas.

La peur, le malaise, l’appréhension, la honte, la colère peut-être. Tout est furieusement emmêlé ensemble et vouloir sortir une émotion de ce sac de nœuds attire toutes les autres. La poupée n'a jamais apprit à différencier ses émotions, ni à les appréhender. Son visage est donc de marbre lorsqu'elle s'arrête devant la porte. Doit-elle frapper ? Dolorosa lui dit que oui, mais Dolorosa est trop gentille, si elle dit ça c'est sans doute pour lui cacher quelque chose. Enfin, c'est ce qu'Aurora imagine. Toute cette histoire la rendrait presque paranoïaque. Otōsan travaille pour les Sealg, ça n'a jamais été un secret entre eux. Il lutte aussi contre l'organisation, de l'intérieur, comme il peut. Ça doit être fatiguant, mais jamais Aurora n'aurait imaginé que son otōsan en arriverait à ce genre de chose.

Alors sans prévenir, elle ouvre la porte, ignorant le cri furieux de Dolorosa. La Skelénox cachait bien quelque chose et pas une belle chose. Otōsan est perdu dans la contemplation d'un objet sombre, un objet qu'Aurora n'a vu qu'une seule fois dans sa vie auparavant. Une arme, un pistolet. Il sursaute lorsque la porte s'ouvre et tente de cacher la preuve. Mais Aurora a tout vu et ne compte pas en rester là. Elle se tient droite, elle à l'air sure d'elle, bien qu'elle tremble intérieurement comme quand elle faisait face à la vieille Sachiko.

Aurora, qu'est-ce que tu... Commence Cornwall en fronçant les sourcils.

Mais la petite poupée n'écoute pas, ce n'est pas à lui de poser les questions, c'est lui qui doit se justifier. Après tout, c'est lui qui lui a confié Châtiment, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. La voix d'Aurora tremble un peu, de colère, de peur, peut-être un peu de tristesse et de vexation ?

Le pistolet, Otōsan. C'était pour mourir ? Châtiment dit que vous le mettez souvent contre votre tempe et que vous n'arrivez pas à tirer. Elle est méchante, elle vous traite de lâche.

Un silence s'installe. Il est pesant, comme l'atmosphère avant un orage sec. Cornwall garde le silence, les yeux baissés tandis qu'Aurora le toise, toujours aussi neutre. Les traits de l'adulte se tordent légèrement, de l'amertume ? Aurora ne sait pas. Mais lui aussi reprends bien vite son air neutre. Et quand il reprends la parole, c'est pour pester.

Maudite spectre... Souffle-t-il, exaspéré.

Il ne contredit pas, cependant. Il se contente de s'enfoncer dans le dossier de son fauteuil et de soupirer, fatigué comme si il portait le poids du monde sur ses épaules. Il ose enfin croiser le regard de sa fille adoptive et esquisse un rictus sarcastique.

Que t'a-t-elle dit, encore ?

Aurora se balance d'un pieds à l'autre, ne sachant si elle doit continuer ou pas. Elle ne veut pas énerver son otōsan comme elle énervait Sachiko. Mais en même temps, c'est elle qui a voulu la confrontation. Autant aller jusqu'au bout, non ?

Elle dit que vous vous coupez souvent, aux bras. Pourquoi ? Ça fait juste mal pour rien, je ne comprends pas. Vous vous punissez-vous même ?

Cornwall se frotte nerveusement les bras, se mords la lèvre inférieur. Il est visiblement furieux. Sûrement contre Châtiment. Aurora préfère penser que c'est contre le spectre plutôt que contre elle. Le silence se fait trop long au goût de la jeune fille qui finit par reprendre la parole.

Otōsan, laissez-moi vous aider. Je veux comprendre, je dois comprendre.

Cornwall réplique presque immédiatement.

Et pourquoi cela ? Tu n'es encore qu'une enfant, quand tu seras grande, je...

Aurora se permets pour la première fois d'interrompre quelqu'un, parce qu'elle estime que ce qu'elle a à dire est important, très important et elle veut que son otōsan comprenne.

Parce que un jour, ce sera moi dans ce fauteuil. Et si j'ai aussi le pistolet ? Et si j'appuie sur la gâchette ? Si je ne suis pas prête à résister ? Otōsan, faites-moi confiance, je dois être prête. Et je ne veux plus que Châtiment me dise que vous vous faites du mal !

Lord Cornwall reste silencieux, les yeux fixés sur sa fille, il s'accoude à son bureau, paraît en pleine réflexion. Il ne voulait pas que ça arrive si vite, que l'innocence de cette gamine soit détruite aussi rapidement. Si seulement elle ne parlait pas aux spectres. Puis quelle idée de lui foutre Châtiment dans les pattes. Il se maudit intérieurement. Après tout un débat intérieur, il finit par déclarer :

Très bien, Aurora. Je te ferais confiance. Je vais t'apprendre ce que je peux mais le sous-sol te restera interdit. Je t'apprendrais tout ce qu'il y a à savoir, et à tes vingt-et-un ans, tu sera prête. Tu n'appuira pas sur cette gachette. Il jette un coup d’œil au pistolet avant d'ajouter avec conviction. Pas plus que moi.

Aurora s'inclina donc comme le voulait la tradition kantonienne.

Je vous remercie de votre confiance, Otōsan. Je saurais m'en montrer digne.

Cornwall soupire une nouvelle fois. Puis il se lève et vient poser sa main sur l'épaule de la jeune fille. Un triste sourire se dessine sur ses lèvres.

Je n'ai aucun doute là-dessus. Mais s'il-te-plaît, n'entre plus dans mon bureau sans autorisation.

Aurora hoche la tête, s'incline une nouvelle fois et sort de la pièce d'un pas assuré, Imouto trottinant derrière elle. Maintenant, elle le sentait, elle était vraiment devenue une membre de la famille Cornwall.

EPSILON