Coup de Foudre | Solo

Cécil est bien bougon.

L'air marin de Connlach devrait lui faire du bien. Les embruns humides du lac sont agréables, le vent pas trop frais et le bruit de l'eau non loin est apaisant. Pourtant, le coordinateur a l'humeur au fond des chaussettes. Contacté pour participer à un spectacle sur les rives du Loch Nowih, il avait été ravi d'accepter la proposition, ravi de songer que peut être, sa réputation l'avait précédé.
Certes il avait quitté Kalos pour un peu plus d'anonymat, un peu plus de tranquillité, mais il n'avait jamais souhaité n'être personne non plus. Alors que lui, un coordinateur, un homme, un étranger, soit contacté pour participer ?

Oh, c'était trop beau pour être vrai.
Il avait pourtant accepté avec entrain.
Le piège s'était refermé.

Il n'y a là, rien d'étonnant en réalité. Pas sur ses terres, pas chez lui, il n'avait pas son mot à dire. Il s'était préparé à être raisonnable, accepter les requêtes des sponsors, celles du metteur en scène et, peut être même, celles de ses collègues.
Oh, il avait vite déchanté. Très vite.

Effectivement précédé par sa réputation, le rôle qui lui avait attribué était non seulement celui d'un antagoniste, mais surtout – et ça, il n'était pas certain de pouvoir le pardonner – celui d'un second rôle, disparaissant à la moitié du spectacle.

Vexant.

Il était pourtant resté. Soucieux d'être professionnel, se consolant en se disant que là n'était pas sa carrière, qu'au moins, la réalisation avait l'air sérieuse. Il n'y a pas de petit rôle lui avait dit un jour l'une de ses aînées. Alors, soucieux de faire ses preuves comme à ses débuts – soucieux de faire bonne impression – il était resté. Avait participé, donné des idées, s'était entraîné avec Karcasse.

Pourtant, déambulant dans les rues de Connlach, Cécil rumine. Ses collègues ne sont pas mauvaises, il ne leur en veut même pas de l'avoir directement exclu pour le rôle principal – le rôle d'une fée des eaux –, mais il reste contrarié. C'est qu'il se sent un peu seul, loin de chez lui. Ne se sent pas reconnu, ne sait même plus s'il devrait l'être.
En proie aux doutes, Cécil soupire, s'arrête. Ses pas l'ont mené près du musée qu'il nie pour l'instant. Il compte y passer, mais après la représentation, après en avoir fini avec ses responsabilités. Pour l'instant, il veut se consacrer entièrement à ses tourments.
Tiraillé entre le caprice d'être au centre de l'attention et le professionnalisme appris au fil des ans, le coordinateur lutte contre ses instincts les plus bas.

Oh, il n'irait pas jusqu'à dire qu'il a songé à jeter Lindsay à l'eau.
Il ne l'avouerait pas, mais l'idée l'a effleurée.
Peut être même un peu trop pour qu'il se sente en paix avec lui même.

Voilà bien le genre de connerie que le jeune Cécil aurait pu faire. Par mimétisme, parce qu'on l'a déjà enfermé dans les coulisses, parce que fut une époque où il n'aurait pas hésité à employer les mêmes techniques pour se faire une place sous les projecteurs. Jusqu'à saboter le spectacle. Remporter un combat scripté pour sa défaite afin de forcer les autres acteurs à se plier à sa volonté et à s'adapter à sa présence.
Mais Cécil s'est assagi. A compris – avec quelques regrets – que dans ce milieu, s'il faut être sans pitié, on ne résout pas tout par la violence ou la force. Au contraire. Les coordinateurs ne sont pas des dresseurs, s'ils savent se battre, ce n'est pas là leur domaine d'expertise.

Puis il faut bien l'admettre que toutes les concurrentes et concurrents ne sont pas tous à jeter.
Qu'il a tout de même noué de belles amitiés et beaucoup appris de ses rivales.
Egalement appris que celui qui ne veut en faire qu'à sa tête est rapidement écarté, boudé et nié.

Alors Cécil soupire une nouvelle fois. Se rassure, se console et tente de secouer son ego. Certes, il disparaîtra avant l'entracte, mais sa sortie sera spectaculaire. Ils n'ont qu'à redoubler d'efforts avec Karcasse. Hisser les autres à son niveau – certaines sont encore débutantes –, démontrer aux mécènes et au metteur en scène qu'on peut travailler avec lui.
Voilà un stress qu'il avait songé à quitter en même temps que Kalos. Quelle ironie, il avait fini par sauter les deux pieds joints dedans.

Fort de cette pensée, Cécil inspire, expire, balaye du regard la zone où il s'est arrêté et hoche la tête pour lui même. La marche lui a fait du bien, il est temps de rentrer à l'auberge pour se préparer à la prochaine répétition. Il ne faudrait pas arriver en retard !
Alors il force l'allure – considère ça comme un bien maigre échauffement – pour rentrer. A son grand soulagement, personne ne vient lui chercher des ennuis contrairement à Glenn ou Lallands.

Ou presque.

Ce n'est pas un humain qui bloque le passage jusqu'à son auberge, mais un petit attroupement. De loin, Cécil pense qu'il ne s'agit que d'un combat entre dresseurs qu'il peut ignorer. Qu'il tente de contourner

Mais le spectacle attire son regard.

Ce n'est pas vraiment un combat de dresseurs mais plutôt une rencontre sauvage. Le Elékid est seul de son côté et se défend honorablement. C'est cette vaillance qui attire le regard de Cécil et le force à rester regarder la suite malgré son envie de rentrer.
Curieux, le coordinateur demande à l'un des enfants à côté de lui s'il sait ce qu'il se passe et le gamin – auquel il manque une dent – lui répond avec excitation que cet Elekid se bat toujours avec eux dès qu'il en a l'occasion, mais que Tyler – le dresseur du Tiboudet – l'a bien étudié et a apporté son Tiboudet exprès pour le battre.

Cécil grimace de dépit. Même s'il n'aime pas dire ça, le combat a l'air-... Est perdu d'avance. Outre la différence de type, si le dresseur adverse connaît déjà les habitude de combat du pokemon électrique, alors il n'a pas beaucoup d'opportunités pour prendre l'ascendant. Et malgré un ultime effort, sa force brute n'est pas suffisante.
La réaction de Tyler, en revanche, est suffisante pour le faire le trouver détestable. Il-... Rit ? Sérieusement ? Les enfants ont toujours été cruels, de ça, Cécil est bien informé... Mais tout de même.

Alors, après que le désagréable gamin se soit éloigné pour rouler des mécaniques auprès de son fanclub et que la foule se soit bel et bien dispersée, seuls restent le Elekid à terre et le coordinateur qui l'observe non sans une certaine pitié.
Il a beau refouler les larmes qui perlent au coin de ses yeux à en créer quelques étincelles, il ne dupe personne... Tout du moins, il ne dupe pas la seule personne encore présente. Et après une certaine hésitation, Cécil s'approche du vaincu pour s'accroupir devant lui.

« Hé... » souffle-t-il pour attirer son attention, prêt à essuyer une larme renégate.

Mais oh, la pitié qu'il a pour l'Elekid s'évapore bien vite lorsqu'il sent une décharge électrique lui parcourir la main alors que le pokemon la lui claque, rageur. Le kalosien ne sait clairement pas ce qu'il lui est dit par la suite, mais à en juger par le ton de la créature, rien de bien joli visiblement. Vexé, Cécil en vient à feuler lorsque le pokemon en face de lui le menace de ses poings malgré le combat précédent l'ayant laissé à plat.
Et lorsque qu'il fait mine de vraiment le frapper, c'en est trop.

La pichenette que la créature jaune se prend sur le front n'a rien d'un véritable coup, mais est bien suffisante pour le prendre au dépourvu et le faire reculer avant de choir sur son séant.
Contrarié, Cécil agite la main pour faire passer la désagréable décharge qui a suivi le contact avec le pelage du Elekid, et c'est comme un parent ennuyé qu'il toise la créature. « Non mais tu te crois où comme ça, à menacer quelqu'un qui vient t'aider ? »

La kalosien n'est pas certain d'être compris, à en juger par les yeux plissés de la fripouille. Peut être que son accent tout cassé est suffisant pour les kerosiens, mais pas pour les pokemons de la région ? Ce n'est pas un soucis pourtant : le coordinateur est convaincu que de la même manière qu'il a compris les injures de l'Elekid, se dernier comprend parfaitement ses remontrances.
« T'as perdu, c'est pas une raison pour te montrer désagréable, siffle-t-il, amer. Si c'est comme ça, débrouille toi tout seul ! »

Rancunier, Cécil se redresse, époussette négligemment son pantalon et s'apprête à reprendre sa route quand une nouvelle décharge – dans sa jambe cette fois-ci – vient lui arracher un couinement. Outré, il adresse un regard furieux au pokemon qui relâche sa jambe, l'air un peu penaud de celui qui ne voulait pas mal faire. Il ne lui faut pourtant pas longtemps pour reprendre son sérieux et l'interpeller à grands renforts de gestes amples.
Le kalosien n'est pas certain de comprendre – pas certain de vouloir comprendre – malgré la claire ferveur du pokemon. Pourtant, après un moment, il faut se rendre à l'évidence : c'est bien un combat que lui propose l'Elekid et il ne peut s'empêcher de grimacer, sceptique. C'est que la créature est toujours couverte de boue, et ses yeux sont toujours brillants de larmes. Et si sur un malentendu son expression pour sembler déterminée, Cécil devine derrière son sourire une fausse confiance et beaucoup de crispation.

« Pour qui tu me prends ? » déclare-t-il avant de claquer sèchement de la langue. Il ne fait pas parti de ces dresseurs sans scrupules prêts à battre un adversaire à terre pour-... Pour quoi d'ailleurs ? La gloire d'une victoire ?

Bêrk.

Pourtant, il ne s'en va pas, subit toujours le regard expectant du Elekid et finit par soupirer. « Je ne t'affronterai qu'à une condition. » et le pokemon piaille, prêt à répondre à n'importe quelle demande ou presque.

Probablement ne s'était-il pas attendu à se retrouver au Centre Pokemon accompagné d'un dresseur qui n'était pas le sien. Probablement ne s'était-il pas attendu à ce que qui que ce soit prenne soin de lui, cela expliquerait son air perdu pendant toute la consultation et même après, lorsque Cécil lui informe que non, au final, il ne l'affrontera pas maintenant parce qu'il n'est pas remis de son combat malgré les soins prodigués.

C'en est trop !

Peut être est-ce trop curieux de voir un humain respecter sa forme physique, ou peut être est-ce juste insultant d'avoir quelqu'un lui expliquer qu'il est trop faible pour se battre, le Elekid grince des dents et se remet à crier sur le kalosien, accompagnant sa plainte et sa colère de grands gestes rageurs.
Le spectacle est plus que cocasse dans le Centre Pokemon de Connlach. Cécil grimace un sourire à ceux qui le regarde d'un air désapprobateur, comme s'ils savaient tout de la situation, et ceux là l'agacent bien plus que la colère du pokemon.

La colère, il la comprend même s'il ne sait pas la gérer, encore moins lorsqu'elle ne vient pas de lui. Tempérer le pokemon n'est pas chose facile, d'autant que chaque tentative de le rassurer se solde par plus de cris et de crépitements.
Alors il craque, finit par s'énerver aussi.

D'abord accroupi à hauteur de l'Elekid, il finit par se relever pour profiter de son avantage de tailler et hausser la voix pour le réprimander.

Et soudain, il se fige.

L'horreur sur le visage.

Les mots... Les mots qu'il a prononcé sont l'exact copie de ceux de son père.

Cécil blêmit, déglutit avec difficulté avant de reposer un regard horrifié sur le petit pokemon qui trépigne et réclame son combat, réclame qu'on le prenne au sérieux. Qu'aurait-il aimé qu'on fasse pour lui dans cette situation ?
La solution qu'il trouve l'aurait dégouté. Mais ça, c'est s'il avait été au courant de la supercherie. Hors le kalosien considère que son partenaire et lui même sont assez bon acteurs pour que jamais personne ne comprenne ce qu'il fait.

Il a accepté le combat de l'Elekid, a même demandé à Maush de se battre à ses côtés. Et il n'a pas fallu en discuter pour que l'Opermine comprenne le regard lancé par son dresseur.

L'affrontement est magnifique, attire même d'autres badauds curieux. Si Maush a clairement l'avantage de par son expérience, il n'en laisse rien paraître. Donne juste ce qu'il faut pour le combat soit crédible et assez difficile pour que le pokemon électrique soit satisfait de sa victoire. Ce dernier n'est d'ailleurs pas en reste. Ignorant tout des magouilles de ses adversaires, il se donne à fond malgré son précédent combat. Il frappe et tournoie, esquive et affaiblit l'Opermine dans l'espoir de vaincre.
En d'autres circonstances, songe Cécil, la victoire ne lui aurait pas été donnée par supercherie. Avec l'entraînement adéquate et un dresseur digne de ce nom...

Mais l'affrontement finit par toucher à sa fin. Maush abdique après un Poing Eclair qui a envoyé bouler son cailloux. Oui, en d'autres circonstances, que l'Opermine reste à terre aurait été légitime ainsi que la moue contrariée du kalosien.
Ce dernier remercie son partenaire avant de le rappeler dans sa pokéball et de s'avancer vers l'autre créature pour le féliciter. Et ça aurait du en rester là. Mais alors que Cécil lui adresse ce qu'il pensait être un dernier sourire et un salut, le regard du pokemon posé sur lui est à nouveau brillant. D'excitation de victoire ? D'émotions ? Le kalosien ne met pas vraiment le doigt dessus, songe juste au potentiel de l'Elekid.

Et à la colère si familière qui l'a animé un peu plus tôt.

« Et si tu venais avec nous ? » lui souffle-t-il de but en blanc, surpris lui même de finalement prononcer ces mots.
Il y a un moment de flottement durant lequel le pokemon semble hésiter de la réaction correcte à avoir. Et si un instant il tremble, l'air prêt à fondre en larmes ou à sauter partout (ou peut être même éclater en une autre colère), l'instant d'après, il ferme les yeux et se donne l'air digne malgré sa fébrilité avant d'acquiescer avec arrogance.

S'il ne le comprenait pas, Cécil en aurait ri, à la place, c'est avec indulgence qu'il l'accueille dans son équipe.

Pour le meilleur, comme pour le pire.