Songe d'Enfance | Concours Grâce

Emmitouflé dans une énorme veste qui ne laisse voir qu'un visage peint de couleurs nocturnes, Cécil fait son entrée sur scène accompagné de quelques notes discrètes. Dos voûté, tête baissée et la cadence lente, le coordinateur apparaît au crépuscule de la vie d'un Homme.
Tremblant, grelottant, il s'agenouille au centre de la salle, prêt à attendre que la fin arrive et daigne lui accorder un repos que sa vieille carcasse mériterait amplement.

Pourtant, la musique aux accords discrets fait soudain entendre le tintement clair d'un carillon, et alors que Cécil se laisse doucement aller sur le côté, le voilà relevant le visage, attiré par la lumière naissante à sa droite.
Machaon, le regard illuminé par le Zénith qu'elle a fait naître, fait à son tour son entrée sur la scène. A l'instar de Cécil, ses pas se calquent sur les notes désormais enjouées – quoique toujours un peu timides – de la musique qui les accompagne.

Elle sautille, tourne dans les rayons de soleil qu'elle a elle même invoqué. Les filaments dorés attachés à la base de sa fourrure d'habitude si sombre reflètent la lumière, la rendent radieuse sur scène. Son cœur bat la chamade, mais si elle se sent étourdie, son regard se fixe sur son dresseur qui, dans ses gestes, lui indiquent subtilement la direction à prendre.
Les mains de Cécil donnent l'impression de suivre l'esprit de Jouvence qui vient d'apparaître sur scène, ses doigts s'étendent pour l'effleurer sans réellement l'approcher, et c'est la Mimitoss qui clôt peu à peu la distance qui la sépare du vieillard.

Elle ne le touche pourtant pas.
Tourne une pirouette une fois qu'elle se retrouve en face de lui.

Ses yeux s'illuminent d'une lueur mystique alors que soudainement, les percussions font une entrée tonitruante dans l'orchestre.
Cécil baisse les bras, son épaisse veste s'anime sous la volonté de Machaon qui, grâce à l'aide d'un Choc Mental la retire des épaules de son dresseur révélant une tenue aux teintes mauves parsemés de filaments dorés faisant écho à son propre pelage.

Libéré d'un poids, Cécil s'ébranle avec plus de vivacité qu'auparavant. D'un geste calculé, il prend appui sur sa jambe gauche pour se relever, écarte et lève les bras dans son ascension. L'espace d'un instant, le poids des années et de la vieillesse ne l'entrave plus et il se meut avec une légèreté et une grâce retrouvée.
Profitant de sa jeunesse retrouvée, Cécil tournoie, pirouette et se fige. Levant une jambe, il esquisse une arabesque, tend une main accueillante vers l'esprit de l'Enfance qui l'imite sans jamais l'approcher.

Ils sont pourtant proches.
Si proches.

Il pourrait presque l'effleurer !

Alors il repose le pied levé, se retrouve en cinquième position avant de sautiller en pas de sissonne. Lui et Machaon se tournent autour, semble se pourchasser comme dans un jeu de trappe-trappe. Il court, cabriole mais jamais ne parvient à vraiment s'emparer de la Mimitoss dont la présence illumine littéralement la scène.

Elle est rayonnante dans l'Aurore qu'elle produit, rendue encore plus brillante par le Zénith. Ils sont comme dans un rêve, un songe aux couleurs pastels. Plus rien à part leur petit jeu n'existe et la légèreté de leur chorégraphie rend la scène d'autant plus onirique.

D'autant plus irréel.

Alors quand l'Aurore commence à diminuer, que les couleurs vives s'estompent peu à peu pour une luminosité plus terne, l'orchestre semble se distordre légèrement.
Cécil qui, jusque là, parvenait régulièrement à effleurer son esprit de Jouvence, perd en vivacité, alors que la Mimitoss sautille de plus en plus loin de lui. Finis les jeux et les danses insouciantes, les gestes du coordinateur se font alors plus frénétiques, plus erratiques et plus désespérés.

Puis il s'arrête.

Défait, épuisé. Les épaules tombantes, le visage baissé, il lève une dernière fois une main implorante vers la Mimitoss.

Elle hurle, répand sur la scène un Ultrason strident qui le perce de part en part. Son cri résonne comme une funeste alarme, un morbide signal que tout est fini.
Cécil se tord de douleur, attrape son crâne entre ses mains avant de se laisser choir à genoux.

Le voilà à nouveau au centre de la scène alors que Machaon se dissimule dans son dos, désormais invisible à ses yeux et à ceux du public.
Le coordinateur tremble, garde la tête baissée. Ses épaules s'agitent de quelques soubresauts et par réflexe, ses mains viennent l'enlacer. Doucement, hésitant, il finit par récupérer la veste qu'il a laissé au sol, s'en recouvre. Peu à peu, il vacille, bascule sur le côté et s'allonge.

Il se sent si vieux, si fatigué, au crépuscule de sa vie.

Pourtant, un sourire étire ses lèvres au souvenir de son dernier rêve.
De sa dernière danse.

De son songe d'enfance.

Il ferme les yeux. Et alors qu'il s'en va paisiblement, Machaon s'avance, grimpe sur lui et s'installe sur son estomac, l'accompagnant dans ses derniers instants.

La lumière s'éteint au terme de la représentation, puis se rallume plus vive. L'éclairage n'est plus celui destiné au spectacle. Le public applaudit avec entrain alors que le cœur des deux artistes bat à tout rompre.
Voilà trop longtemps que Cécil n'a plus remis les pieds sur scène, le bruit l'étourdit alors qu'il se redresse et attrape Machaon dans ses bras. Toujours dans son rôle de coordinateur, il se relève entièrement avec les mêmes gestes calculés de sa représentation.

Invitant la Mimitoss à se caler sur son épaule, il salue le jury et le public, exécute une gracieuse révérence et n'a qu'un seul souhait : descendre de la scène, retrouver les coulisses et hurler un bon coup.
Le sang bat à ses tempes avec véhémence et le trac le rattrape finalement. C'était son premier concours à Keros. Le premier avec Machaon. Oh, si son sourire témoigne d'une assurance toute feinte, il ne peut s'empêcher de vouloir disparaître. L'attention sur lui est pourtant positive lui semble-t-il.

Alors, attendant le verdict, il fait de son mieux pour garder son calme. Garder la face. Astrid Belamy est une coordinatrice de talent, originaire de Kalos. Pour autant, s'attend-il à un traitement de faveur parce qu'ils partagent leurs origines ? Absolument pas. Il craint même que la championne de la catégorie Grâce ne trouve pas leur représentation à son goût. Que Machaon – un simple Mimitoss – n'ai pas l'étoffe d'un pokemon de concours à ses yeux.
Pourtant la dame applaudit, un sourire – qu'il devine pincé – sur les lèvres.

Il retient son souffle.
Affiche un air serein malgré la tourmente qui l'étreint.

Au regard de la championne, il est convaincu qu'elle n'a pas aimé.

« Mes félicitations, ce ruban vous revient. »

Oh, il devrait retrouver une respiration normale après ça. Se sentir soulagé. Mais un certain malaise continue de lui étreindre les tripes comme s'il était le premier des débutants.
On lui remet son ruban, et le sourire qu'il affiche est le plus sincère qu'il puisse afficher. Machaon, en revanche, trépigne de joie sur son épaule. A nouveau, ils exécutent une révérence respectueuse pour saluer le jury et le public et se retirer à reculons de la scène.

Enfin derrière les rideaux, Cécil expire. Le cœur battant, la sueur froide sur ses tempes, il s'appuie contre un mur pour reprendre son souffle. Inquiète, la Mimitoss pépie à son oreille et le gratifie d'une embrassade, pose ses pattes griffues sur sa joue pour s'enquérir de son état.

Quel minable.
Il se déteste de lui infliger ça.

« Félicitations princesse. » lui souffle-t-il dans un sourire fatigué mais plus spontané que les précédents. Pour faire bonne figure et la rassurer, il lui gratte la joue du bout d'un doigt. « Tu as assuré, je suis si fier de toi. »
Machaon frémit de satisfaction et trépigne à nouveau. Oh, elle qui craignait tant de le décevoir... Attendri, Cécil retrouve une certaine sérénité en la regardant célébrer leur victoire, décide de lui offrir le ruban pour la féliciter. « Tu l'as bien mérité ! »

Ses yeux s'illuminent, il la jurerait sur le point de pleurer. Un rire le secoue alors qu'il l'attire dans une plus grande embrassade. La présence de Machaon contre lui le rassure et enfin il se décolle de son mur pour quitter les coulisses.

La tête lui tourne toujours un peu, mais ça ira.
Ca finit toujours par aller.