Craig Allan

Histoire

Allan Craig, c'est un fait, n'a jamais su quoi faire de ses dix doigts. Il n'a jamais non plus été un enfant très brillant et le père Craig vous le confirmera : son fils est un bon gars, mais c'est surtout du potentiel gâché.
Après tout, pour un vétéran de la guerre ayant tout sacrifié pour son pays, avoir un fils incapable de se concentrer pour ramener de bonnes notes alors que c'est là son unique devoir, c'était un peu une déception.
Cependant, Allan grandit bien. Son père pouvait se montrer dur et avoir la main leste – d'autant que c'était la dernière qu'il lui restait – il ne manqua globalement de rien d'autre que de la fierté de ses parents.

Lorsqu'il put enfin quitter les bancs de l'école – avec l'accord résigné de son paternel – Allan eut l'impression d'être libre pour la première fois de sa vie. A 15 ans, il se sentait invincible, libre de parcourir le monde ou-... De traîner avec des amis dans la rue. Oui, la deuxième option était aussi viable que la première mais la réalité le rattrapa bien vite, et au foyer, on lui rappela bien vite que s'il voulait garder un toit sur sa tête, il avait plutôt intérêt à ramener sa de quoi se payer sa pitance.
L'idée ne le rebuta pas en soit, loin de là. Naïf, il se voyait déjà avec un bon travail, un bon salaire, capable de rapidement prendre son envol et quitter le nid familial et le poids des attentes brisées d'un père qui l'aimait visiblement, mais qui était incapable de le lui montrer correctement.
Alors Allan commença à travailler en tant qu'apprenti sur un chantier.

Puis il perdit son travail.

C'était un accident, probablement. Il n'était certainement pas fait pour ce genre de travail. Alors il en trouva un autre. Le mari d'une amie de sa mère travaillait dans la restauration et cherchait un apprenti pour le seconder : une aubaine en or ! Allan accepta la proposition avec plus de réticences que pour son premier travail – après tout, cette fois-ci, il avait du se reposer sur une aide qu'il ne voulait plus accepter, celle de ses parents – mais l'idée d'une indépendance prochaine était bien trop alléchante pour qu'il fasse la fine bouche.

Contre toute attente, le monde de la cuisine le fascina bien plus que prévu et il prit énormément de goût à travailler dans ce domaine là. Sans y avoir trouvé là une vocation, Allan se montra volontaire et travailleur, bien décidé à faire ses preuves.

Puis il se relâcha.

Trop jeune pour se montrer sérieux, trop dissipé pour se rendre compte des conséquences, Allan commença à arriver en retard à son travail, puis à partir plus tôt. Si la cuisine lui semblait intéressante, traîner et discuter avec ses potes lui semblait bien plus « cool » à cette époque là, bien moins laborieux, également.
Lui aussi voulait être cool, et non pas devenir ennuyeux comme on le lui avait bien souvent reproché depuis qu'il avait trouvé ce nouveau petit travail.

Alors il finit par perdre son travail.

« J'ai besoin d'un garçon plus sérieux. » Son patron le renvoya non sans lui avoir laissé auparavant de biens nombreuses chances de se rattraper. Mais à cet âge là, Allan était ingrat et si son père fulminait, lui avait finit par se dire que ça non plus, ce n'était pas pour lui. Il retrouverait bien un autre travail rapidement, n'est-ce pas ?
Et il en trouva un autre, effectivement. Qu'il perdit peu après. Pendant quelques années, Allan enchaîna petits jobs sur petits jobs. Serveurs, livreurs, il redevenait même parfois ouvrier, cherchant une activité où l'on voudrait bien de lui. Mais ses employeurs ne trouvaient pas en lui l'employé modèle qu'ils désiraient, et lui peinait à y trouver l'étincelle qui lui donnerait envie de dédier sa vie à une profession en particulier.

Alors il se découragea.

Quelque part, quelque chose s'était terni en lui. Il était encore trop jeune pour se dire désabusé de la vie, mais ça ne l'empêcha pas de le faire tout de même. Il abandonna sa recherche du travail parfait, abandonna sa recherche d'un travail tout court et commença à traîner de plus en plus dans la rue. Il limitait au maximum ses séjours chez lui. Après tout, son père avait probablement raison mais bizarrement, se faire traiter de bon à rien ne lui faisait tout de même pas plaisir.

Ceci dit, le temps finit par le rattraper. L'année de ses 18 ans, il ne put échapper à son service militaire comme il l'avait espéré.
Et ces deux ans-... Ne furent pas les meilleurs de sa vie, mais lui apportèrent les bases qui lui permettraient de la changer. La discipline qu'on lui avait inculqué lui avait forgé une nouvelle hygiène de vie et une nouvelle manière de l'appréhender. Lorsqu'il rentra chez lui, il était habité d'une nouvelle motivation et d'une envie de faire les choses correctement.

Une chance lorsque Craig père lui expliqua avec tout son amour paternel qu'à partir de maintenant, il ne le prenait plus en charge financièrement. … Ah.

Avec l'insolence de la jeunesse, Allan se refusa à le supplier de l'aider encore quelques années, le temps de se remettre correctement sur les rails. A la place, il argua avec toute sa bravado qu'il n'avait pas besoin de lui et claqua la porte de son foyer derrière lui pour se retrouver seul, face au monde.

Enfin 'seul'. Peu enclin à vivre des déchets des autres, Allan s'empressa de trouver refuge chez sa grand mère maternelle, une vieille femme relativement aigrie mais trop loyale envers sa famille pour lui refuser le gîte et le couvert. Elle n'était pas d'une particulièrement bonne compagnie, mais Allan la jugea préférable à la rue. Et ce n'était pas comme s'il avait prévu de vivre chez elle éternellement !

Désireux de faire ses preuves, il se débrouilla pour passer le concours d'entrée dans la police. Ce ne fut pas facile mais il y parvint. Pour fêter sa réussite – une réussite dont il n'avait pas à être fier selon son père le vétéran – sa grand mère lui offrit un pokemon pour le seconder dans ses futurs missions. Une délicate attention et Allan n'osa jamais lui dire qu'il aurait préféré un Caninos à-.. Un Snubbull. Il avait autant peur de heurter ses sentiments que de se faire heurter par la canne de sa douce mère-grand.
Malgré tout, il s'attacha à la boule de poils qui se montra même d'une grande utilité lors de certaines affaires et même dans la vie quotidienne. Fido – ainsi fut-il nommé – était une brave bête. Fidèle et loyal, ce qui lui faisait défaut en force, il le compensait en volonté. Ils formaient un étrangement bon duo et Allan apprécia enfin la vie d'une nouvelle façon.

Il se sentait utile, il se sentait accompli. Puis tout s'effondra.

Il s'agissait à l'origine d'une simple affaire de braquage. Il n'était même pas arrivé premier sur les lieux du crime. Il était venu en simple renfort et tout semblait sous contrôle. Mais la situation dérapa.
Des otages avaient été pris, les négociations échouèrent et puis-... La fusillade.

Les souvenirs d'Allan de ce jour là sont confus, à la fois très précis et très flous. Il se souvient du bruit, de la panique, des cris des otages. Il se souvient du Magmar, du feu, du hurlement de Fido. Il se souvient de ses propres mains saisissant son arme de service pour tirer à son tour, se défendre, défendre les autres. Il se souvient d'un autre agent de police, plus jeune que lui, chutant lourdement au sol, du poids de son corps quand il l'a traîné pour le mettre à l'abri.

Ca avait été un jour sombre, pour tout le monde. L'un des braqueurs avait été abattu, les autres appréhendés ainsi que leurs pokemons. Fido avait été défiguré et aveuglé par les flammes.
Lors du procès de l'affaire, il fut appelé à témoigner. Il y était allé droit et fier, bien décidé à raconter les événements le plus fidèlement possible afin de faire condamner les criminels, de venger ses partenaires, mais en plein milieu de son récit, il se brisa.
La honte et le désespoir qu'il sentit en cet instant précis fut intenable. Il avait commencé à pleurer, incapable de terminer son témoignage, incapable de mener à bien la seule chose qu'il avait à faire.

Incapable tout court.

Les jours et les mois qui suivirent furent sombres pour Allan. Il tentait bien de ne rien laisser paraître, il était flic bon sang ! Mais ses lèvres et ses mains tremblantes témoignaient de son état à sa place. Un état qu'il ne s'expliquait pas. Les autres avaient vécu la situation-... Plutôt bien, pourquoi pas lui ?
Et la compassion qu'ils lui témoignaient tous ne l'arrangeaient pas non plus. Il n'était pas ingrat, il appréciait les paroles réconfortantes et les tapes dans le dos, mais il avait cette horrible impression d'échec qui lui collait à la peau. Cette horrible impression de ne pas mériter d'avoir aussi bien réchappé de la situation.

Son pokemon avait été mutilé à vie, le jeune agent de police qu'il avait traîné n'avait pas survécu. Et lui ? Rien. Quelques brûlures aux bras, rien de bien incapacitant sur le long terme. Et il était incapable de témoigner. Il se détesta.

Alors il quitta son travail.

Personne ne comprit, ni le chef, ni ses collègues, ni sa famille. On l'invita à simplement prendre un congé, se reposer, parler à un professionnel et revenir une fois qu'il se sentirait mieux, mais Allan était têtu. Et orgueilleux. Il refusa parce que sa décision était prise, parce qu'il avait honte de s'être laissé aller à un moment si crucial, parce qu'il ne supportait pas l'idée de ne pas être assez fort pour son travail.
Il avait fui.

Il passa quelques temps chez sa grand mère qui avait finit par récupérer Fido pour s'en occuper elle même afin de soulager Allan. Elle-... Ne fut pas réellement heureuse de sa décision de démissionner. Pour être honnête, il ne l'était pas non plus. A cet instant précis, il sentit que les paroles de son père à son égard n'avaient jamais été aussi vraies. Un échec, un bon à rien. Ce-... N'était pas agréable. Il ne pouvait rester sans rien faire. Il ne pouvait se donner le luxe de trop réfléchir.
Alors s'il avait quitté les forces de police, il voulut se trouver une nouvelle occupation. Il hésita à reprendre ses anciennes habitudes d'enchaîner petits boulots sur petits boulots mais il avait changé depuis son adolescence, et le besoin de faire quelque chose, quelque chose de bien aussi anodin soit l'acte, se faisait impérial.

Alors il débuta sa formation chez les rangers.

Une carrière similaire à la précédente, dans laquelle il se rendrait utile, à laquelle il pourrait se dévouer pour ne plus avoir à penser.
Cette réaction à la douleur n'était clairement pas la plus saine, mais elle fonctionna au moins pour lui. Apprendre le métier de ranger le fascina plus qu'il ne l'aurait cru. Se rendre utile auprès des pokemons lui ouvrit les yeux sur un monde qu'il n'avait fait qu'effleurer jusqu'à présent. Il avait toujours considéré ces créatures comme-... Une commodité.
Bien sûr, Fido avait été son fidèle partenaire et il ne l'avait jamais considéré comme un outil, mais parce que c'était son Fido. Les autres pokemons n'avaient absolument pas la même place dans son estime. Ce fut l'une des rares occasions où Allan se remit en question et accepta d'avouer qu'il avait eu tort. Et aussi dérisoire puisse sembler cette révélation, elle lui fit un bien fou.

Alors qu'il avait rejoint les rangers plus par dépit que par réelle vocation, il embrassa cette carrière avec une volonté nouvelle. Il se sentit un homme refait et se dévoua avec ardeur à chacune de ses missions, aussi futile fut-elle.
Au cours de deux ans de formation intense, il reçut son diplôme.


Depuis, la Fusillade n'est plus qu'un mauvais souvenir, de ceux qui le hanteront toujours mais avec lesquels il a appris à vivre. Ce n'est plus quelque chose qu'il cherche à fuir, et avec le recul, il admet amèrement que s'il apprécier sa nouvelle carrière, il regrette d'avoir quitté l'ancienne.