every step forward is a victory || Banshee

Encore une fois, elle avait passé toute la matinée à travailler pour se vider l'esprit. Mais l'absence de son bras droit rendait tout plus compliqué, même avec l'aide de Canine et de Nana. Résultat ? Elle était exténuée en fin de journée et plutôt que d'aller manger avec les autres domestiques, elle était partie directement se coucher. Avec la Croquine sans nom serrée contre elle et Fluffy contre sa tête, elle s'était endormie comme un bébé.

Les coups à la porte ne la réveillèrent pas. Ce fut Nana qui dut la secouer un peu pour la sortir de son sommeil. Banshee était déboussolée et encore bien fatiguée, ne comprenant pas grand chose à la situation, il fallut que Mademoiselle Luana se répète pour que la rouquine comprenne de quoi il s'agissait. Elle paniqua tout d'abord.

Je...J'a...J'arrive !

Oh, bien sûr, elle était heureuse, très heureuse que Mademoiselle Luana ait obtenu son premier badge mais cela faisait longtemps qu'elle ne lui avait pas parlé. Elle avait préféré s'effacer, comme une présence indésirable. Le genre de chose dont elle avait l'habitude. Mais voilà qu'on la conviait aux festivités, Banshee ne savait comment réagir. Tiendrait-elle la chandelle entre Mademoiselle Luana et Loril ? L'idée lui déchirait le cœur mais elle préférait faire plaisir à celle qu'elle aimait en secret plutôt que de jouer la carte de la jalousie.

Elle se prépara à la hâte, changeant de robe pour quelque chose d'un peu plus coquet qu'une robe de domestique et attachant ses cheveux en arrière.En se regardant dans le miroir, elle trouva avec surprise que cette coupe de cheveux lui donnait plus d'assurance qu'elle n'en avait réellement. Sans doute parce qu'il n'y avait aucune mèche rousse pour couvrir ses yeux timides. Elle allait défaire sa coiffure quand Nana la tira par l'épaule, lui rappelant qu'elle était attendue. Tant pis pour la coiffure, elle devait se rendre vite auprès de Mademoiselle Luana. C'était le plus important pour l'instant.

Lorsqu'elle sortit, Candy et Fluffy en profitèrent pour se glisser dehors, semblant vouloir participer aux festivités elles aussi. Banshee était bien embarrassée, elle avait déjà Croquine qui gigotait sous son bras et le duo Nana-Ume pour l'accompagner. N'était-ce pas un peu trop que d'emmener les deux petites renardes ? Enfin, ce n'est pas comme si elles lui laissaient le choix, Banshee ne pouvait pas les rattraper avec Croquine sous le bras et elle n'osait pas demander à Nana et Ume d'aller les chercher. Elles semblaient tellement heureuses, toutes les deux. Candy traitait vraiment Fluffy comme son petit bébé, c'était adorable.

Elles guidèrent par l'odorat ou l'intuition le petit groupe vers Mademoiselle Luana qui s'occupait elle-même de ses pokémons. Banshee n'osait pas lever la tête et se retrouvait à regarder Croquine s'agiter sous son bras. Elle hésita un long moment avant de faire remarquer sa présence et c'est après quelques minutes qu'elle réussit enfin à murmurer d'une voix presque inaudible, les joues roses comme des baies Ceriz :

Je...Suis là...

Elle aurait voulu paraître heureuse, vraiment. Mais elle était fatiguée, ses yeux étaient marqués de cernes et sa bouille trahissait la tristesse qu'elle ressentait à l'idée de devoir supporter en silence la douleur d'être la cinquième roue du carrosse.

La vision même de la bouteille de vin la fit grimacer. Elle secoua vivement la tête, elle n'aimait pas l'alcool. Ça avait l'odeur de la maison de ses parents, de son père et des fois de Nikolay. Trop de mauvais souvenirs. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait dû fuguer de chez elle pour échapper aux coups d'un père complètement ivre et furieux contre elle sans raison apparente. Mais comme disait le vieux dicton 'Si tu ne sais pas pourquoi tu bats ta femme, elle, elle le sait', ça devait valoir pour sa fille aussi. Sauf que Banshee ne savait pas.

Elle s'assit prudemment sur la chaise que lui présentait Mademoiselle Luana et Malasada et Fluffy en profitèrent pour bondir sur ses genoux. La première failli même monter sur la table, à moitié sauvage comme elle était, elle n'avait pas encore très bien intégré ce genre de savoir-vivre. Bien que dans un meilleur état que quand elle l'avait trouvée chez Monsieur Yhsim, elle semblait toujours affamée et la quantité de nourriture pour pokémon dans les gamelles de Sothis et d'Arval la faisait saliver.

Encore une fois, elle secoua la tête quand Mademoiselle Luana lui dit qu'elle pouvait demander plus de temps de repos.

Je... J'aime travailler... Parce que ça... M'empêche de penser...

Penser à Nikolay, à sa cruauté et à sa voix dégueulassement suave. Penser à la façon dont elle avait été incorrect avec Monsieur Yhsim malgré sa gentillesse. Penser au fait qu'elle avait encore trahie sa promesse envers Enola et avait envoyé Amie s'en occuper à sa place. Snow commençait à s'agacer d'une telle conduite et lui avait bien fait savoir en venant directement dans sa chambre pour la sermonner en langue Wimessir. Pas besoin de parler pokémon pour savoir que l'immaculée était très en colère. Banshee n'avait pas répliqué, elle se sentait honteuse et savait qu'elle méritait ces remontrances.

Les paroles de Mademoiselle Luana la ramenèrent dans le présent. Elle parlait de Fluffy, la petite Evoli lovée sur ses genoux. Elle eut un demi-sourire. Mais se sentit encore plus honteuse aussi. Comment expliquer à Mademoiselle Luana qu'elle avait adopté ce petit bout de chou pour remplir la solitude qui l'avait hantée lorsqu'elle avait apprit pour elle et Loril ? Elle se contenta de hocher la tête et de bredouiller simplement :

Elle sera... Une Phyllali, je crois. J'aime bien... Les pokémons Plante...

Elle avait été déçue, cependant, d'apprendre que les Phyllali ne pouvaient pas apprendre Doux Parfum, c'était une capacité très appaisante pour elle. Heureusement que Canine connaissait cette capacité, avec les spores de Sasha, elle lui permettait de dormir un peu mieux et d'éviter les habituels cauchemars ou l'impression de ne pas être seule dans son lit. Mais ce n'était pas le moment de penser à ce genre de chose, Mademoiselle Luana avait gagné le badge Papillon, c'était un jour de fête et un premier pas pour la jeune femme dans sa vocation de dresseuse. Banshee devait être heureuse ou du moins faire semblant de l'être. Elle esquissa un petit sourire et demanda d'une voix timide :

Le combat...Il...C'était dur ?

Elle ne connaissait pas grand chose en ce qui concernait la table des types mais il lui semblait que le type plante n'était pas avantagé par rapport au type insecte. La pauvre Sothis avait dû en baver. Une pensée amer vint soudain à la jeune fille, une pensée qui traversa malgré elle ses lèvres.

Mademoiselle Loril... Doit être contente aussi...

Elle avait du mal à cacher l'amertume dans sa voix. Mais elle espérait franchement que Mademoiselle Luana n'y prête pas attention, il aurait été trop embarrassant d'expliquer la situation pour la jeune fille.

La rouquine n'aime pas vraiment que Mademoiselle Luana s'inquiète pour elle ou... Se mêle de ses affaires. Elle peut sentir sa colère quand elle dit travailler pour en penser à rien. Mais si un jour il y a vengeance contre Nikolay, Banshee préfère avoir à le faire elle-même. Elle ne veut impliquer personne d'autre dans cette sordide affaire, encore moins Mademoiselle Luana. Banshee préfère se salir les mains...Enfin, la main, toute seule et n'avoir aucun complice.

De toute façon, elle n'a pas grand-chose à perdre. Une fille qu'elle n'arrive pas à aimer et une maîtresse de maison qui ne l'aime pas. Elles seront mieux sans elle.

Une nouvelle fois, Mademoiselle Luana la tire dans ses pensées en lui expliquant un peu génée les circonstances du duel. Banshee n'en est que plus admirative. Malgré sa défaite, la jeune femme a été considérée comme digne du badge Papillon. Peut-être que Mademoiselle Luana aurait voulu gagner mais une défaite appréciée par l'adversaire est dix fois plus classe aux yeux de la rouquine.

Puis Mademoiselle Luana lui annonce qu'elle est heureuse que sa petite protégée ait trouvé son 'type de prédilection', Banshee fait non de la tête, les yeux baissés. Elle ne peut s'empêcher de murmurer :

Nikolay... Il a un Démolosse...Ils n'ont...Aucune chance...

Mais pas sûr que Mademoiselle Luana ait entendu puisqu'elle confirme que Loril partage la joie de sa...Maîtresse ? Amoureuse ? Banshee ne sait pas trop. Et son ton amer n'a malheureusement pas échappé à la jeune femme qui fronce les sourcils. Elle expose les faits, Banshee l'a évité, envoyé Amie à sa place, la Zorua s'est sans doute faite démasquée. Mais comment expliquer à Mademoiselle Luana qu'il s'agit d'un chagrin d'amour ? Elle ne veut que le bonheur de la jeune femme, tant pis si c'est avec une autre.

Je...J'étais juste... Fatiguée... J'ai du... Du mal avec Enola et... Trop de choses...

Elle se justifie en bredouillant mais cela na rien de crédible. Heureusement, le destin. Ou plutôt un Poussacha, intervient en sa faveur. Enfin, en sa faveur, vite dit. Encore une fois, Malasada tente de grimper sur la table, comme si le regard de la jeune femme blonde sur elle était une invitation, Banshee la retient tant bien que mal, bousculant un peu Fluffy au passage qui pousse un petit piaillement de mécontentement.

D...Désolée... S'excuse-t-elle auprès de la petite Evoli maintenant grognon. Une oportunité que Malasada choisit pour grimper une bonne fois sur la table et s'empiffrer de la nourriture déjà présente sous les yeux impuissants de sa dresseuse. Je...Pardon... Elle est encore... Un peu sauvage...

Le Poussacha ne compte pas se laisser rattraper si facilement que ça. Quand Banshee essaye de l'attraper, elle va juste un peu plus loin sur la table et en profite pour piquer un beau filet de Magicarpe. La domestique baisse la tête, honteuse, resserrant un peu plus Fluffy contre elle comme si elle était une barrière contre la colère de Luana à venir.

Je... Je ne suis pas une bonne... Domestique... Je ne mérite pas... D'être ici...

Elle le murmure et serre les dents. Si était était plus forte et plus compétente, elle ne se laisserait pas faire par ces deux garces de Greta et Lisa. Si elle était plus compétente, Malasada lui obéirait. Si elle était plus compétente, Mademoiselle Luana n'aurait rien remarqué à son chagrin d'amour. Elle est en colère contre elle-même. Comme souvent, car elle a l'impression de collaborer avec ses propres bourreaux et ses propres malheurs.

Mademoiselle Luana veut être gentille, elle murmure des paroles rassurantes, elle veut que Banshee se sente en sécurité. Quelque chose d'impossible, la rouquine vivra jusqu'à sa mort avec la peur au ventre, sans aucun doute. Ses lèvres tremblent et elle sent malgré elle ses yeux s'embuer de larmes. Malasada cesse ses bêtises et se précipite en miaulant vers elle, Fluffy se frotte contre sa dresseuse avec inquiétude tandis que Nana et Ume se précipitent, alertées, cherchant ce qui a fait pleurer leur dresseuse. Les deux pokémons regardent, confuses, Mademoiselle Luana. C'est elle qui a fait pleurer Banshee ? Mais... Elles ne peuvent évidemment pas la punir. Puis elle n'a pas l'air méchante.

Qu'est-ce qui se passe alors ?

Je... Je ne suis pas... En sécurité ici... Bredouille Banshee les yeux baissés, serrant contre elle Fluffy et Malasada contre elle avec le bras qui lui reste. Elle se sent plus fragile que jamais, même face à Nikolay, elle avait l'impression d'avoir plus de contenance. Puis finalement, elle craque et éclate en sanglots devant Mademoiselle Luana. Quelle honte...

Greta et Lisa... Elles sont méchantes avec moi... Elles disent que je ne suis qu'une trainée... Et j'ai peur, toujours peur... De Nikolay... Je fais des cauchemars la nuit... Je n'arrive même pas... Même pas à aimer Enola... Je suis une mauvaise fille et une mauvaise mère...

Elle se sent sale, désespérée. Honteuse de craquer ainsi devant sa maîtresse. C'est un jour de fête et elle plombe l'ambiance comme une idiote. Mais elle ne peut plus arrêter le flot de paroles qui s'échappe maladroitement de sa bouche, hachuré, comme toujours.

Et Loril... Vous... Vous êtes amoureuses... Je suis jalouse... Je suis égoïste... Je devrais... Être contente pour vous... Se lamente-t-elle, les joues couvertes de larmes et les yeux fermés à s'en faire mal aux paupières.

Quelques secondes de silence. Avant que Mademoiselle Luana ne puisse ouvrir la bouche pour répondre, un miaulement bruyant se fait entendre. Malasada saute au sol et se roule sur elle-même, Banshee croise son regard, affolée. Qu'est-ce qui arrive à la pauvre petite Poussacha ? Encore quelques miaulements et elle se mets à briller comme une étoile.

Oh, elle évolue...

Voilà que sa silhouette chance, elle se retrouve bipède, elle fait maintenant la taille d'un petit enfant. Sous sa nouvelle forme, elle regarde autour d'elle, tout paraît plus haut, plus accessible aussi. Elle jette un regard envieux vers la table chargée de nourriture mais elle se force plutôt à se précipiter vers Mademoiselle Luana, saisissant l'une de ses mains en miaulant plusieurs fois avec insistance, comme si elle essayait de lui expliquer la situation dans son propre langage. Ou de lui demander d'arrêter de tourmenter Banshee avec ses questions. Impossible à savoir.

Banshee, elle, n'ose plus bouger ni parler. Elle a la tête baissée, le visage dissimulé sous ses cheveux tombants. Elle pleure en silence, n'arrivant même pas à être heureuse de l'évolution de son pokémon. Elle gâche tout, comme toujours. Avouer sa jalousie ne l'a pas soulagée, bien au contraire, elle se sent encore plus tourmentée qu'avant.

Et elle attends avec appréhension la réaction de Mademoiselle Luana. Une réaction qu'elle imagine bien négative... Ou moqueuse. Pire encore, infantilisante. Elle ne supporterait pas cette humiliation.

Banshee ne peut pas s'arrêter de pleurer mais elle écoute. Et ce qu'elle écoute la blesse encore d'avantage, elle a l'impression que Mademoiselle Luana ne la prends pas au sérieux, qu'elle ne comprends pas. Elle veut la protéger mais pas l'aimer. La rouquine renifle, repose doucement sa main sur ses genoux et garde la tête basse. Elle laisse la blonde finir son petit discours et se crispe peu à peu.

De la colère ?

Impossible, Banshee n'a jamais ressentit ce genre de chose, elle qui est toujours si soumise et silencieuse, trop blessée pour oser se révolter contre son sort.

Mais si, c'est de la colère qui empoisonne son cœur. Mademoiselle Luana la traite comme une enfant à protéger et elle n'aime pas ça. Bien sûr qu'elle n'a que seize ans, bien sûr que Mademoiselle Luana est bien plus âgée mais ce n'est pas une petite amourette d'adolescente. Le cœur de Banshee n'a pas le temps pour ce genre de chose, c'est du sérieux. C'est pour ça que ça fait aussi mal.

La seule bonne nouvelle c'est qu'elle n'est pas amoureuse de Loril, maigre consolation. Elle a la gorge serrée et n'est pas bien sûre de comprendre mais elle se sent tout de même infantilisée. Mademoiselle Luana n'a rien dit concernant l'amour de la rouquine. Même pas de rateau envoyé à la figure, ça aurait été mieux qu'un silence comme ça.

Alors une fois que Mademoiselle Luana a finit son discours, quelques secondes passent puis Banshee se lève d'un coup, droite comme un I, renversant sa chaise derrière elle et faisant fuir Fluffy de ses genoux.

Je... J'ai pas besoin d'être protégée ! Je m'en fiche de... D'être en sécurité ici ! Moi je veux... Je veux être avec vous... Mais j'ai que seize ans alors... Alors vous pensez que c'est qu'une histoire de gamine ! Mais... Mais je suis plus une gamine ! Parce que... Pas après ce que Nikolay m'a fait ! Je veux... Je veux être avec quelqu'un qui m'aime... Mais vous êtes pas cette personne, vous me voyez... Comme une gamine !

Elle ne peut pas en dire plus, la colère s'évanouit aussi vite qu'elle est venue et laisse place à la tristesse et à la honte. Elle se précipite vers la sortie, bousculant Loril au passage, suivie par ses pokémons catastrophés et confus par la situation qui tourné vinaigre si vite. Une fois enfermée dans sa chambre, elle verrouille la porte derrière elle et se laisse glisser le long de la porte, sanglotant comme si c'était la fin du monde. La fin de son monde.

Puis après... Un certain temps... Elle a l'impression d'avoir pleuré pendant des siècles. Elle se lève, froide et silencieuse et se dirige vers son bureau, saisissant la paire de ciseaux à tissu laissée trainée là après avoir cousu un nouveau costume à ruban pour Candy. Oh, bien sûr, non, elle ne s'entamera pas la peau à coup de lame. Ce sont ses cheveux qui tombent au sol tandis qu'elle se regarde dans l'unique petit miroir de sa chambre, suspendu au mur. Une fois satisfaite, elle attache ses cheveux restants en queue de cheval.

Son visage n'est plus caché derrière ce rideau roux. Elle fait plus adulte, plus mature, mais surtout plus froide. Et elle se promet de casser la gueule de Greta et de Lisa la prochaine fois qu'elle les croisera. Qu'on la fiche dehors tiens, elle connait la rue.

Elle a vécu pire que ça.