bonne à rien (solo)

Je ne vous félicite pas !

Monsieur hurle tellement que sa voix se répercute dans toute la maisonnée. Les domestiques se tiennent hors de la chambre, aucun n'osant entrer. Seule madame Neville et leur enfant nouveau-né sont dans la pièce.

-Êtes vous donc incapable de me donner un fils ? Que voulez-vous que je fasse de de cette chose ?!

L'enfant dans le berceau a eu le malheur de naître fille. Son père a failli la tuer à sa naissance, heureusement sa femme s'est interposée pour sauver la petite. Sa tempe est encore brûlante du coup de reçu, mais au moins le bébé est sauf. Pour combien de temps ? Tel est la question. Une fille n'a aucune chance d'avoir une belle vie dans cette maison. Tout comme Lydie, elle sera ignorée, maltraitée, sans savoir que sa mère prend des coups à sa place.

-Je viendrai vous rejoindre dans votre chambre à partir de ce soir, puisque vous tenez à être une bonne à rien.

La porte claque, monsieur s'en va. Bonne à rien, il a sûrement raison. Angela se sent tellement honteuse de n'avoir pu mettre au monde un fils. Qu'a-t-elle fait de mal pour mériter ça ? Pour être une épouse malheureuse ? Elle remplit pourtant bien son rôle, est dévouée et obéissante, prie tous les jours Arkée. Celui-ci lui a refusé la seule chose pouvant sauver son mariage. Sauver sa famille. Son père ne va pas manquer de la rabaisser également pour cette erreur.

Ce sont les cris du bébé qui la ramènent à la réalité. Il doit avoir faim, ou eu peur des hurlement de son père.

-Ah oui. Il te faut un nom.

Angela est fatiguée par l'accouchement. Fatiguée d'être frappée. Déçue de cette naissance, honteuse. Elle ne se montrera pas en public pour quelques temps. Sa grossesse sera passée sous silence. C'est triste, mais elle en veut à cette enfant.

-Lola. Voilà qui te va bien.

La jeune maman laisse la petite entre les mains d'une nourrice. Elle ne veut plus voir ce visage maudit.

La naissance de Lola a plongé Angela dans une profonde mélancolie, qu'aucun des domestiques ne parvient à guérir. On met ça sur le compte de la fatigue, la fin de la grossesse, le fait que ce soit une fille. Monsieur revient la visiter chaque nuit, elle accepte ses étreintes brutales sans se plaindre. Priant juste Arkée pour vite être à nouveau grosse. Il faut un fils pour ramener la paix dans la maison. Il lui faut un fils pour être heureuse. Déjà qu'elle s'occupait à peine de Lydie, c'est encore pire pour Lola. La pauvre enfant ne voit que sa nourrice. Son père ne lui rend jamais visite, sa mère à peine plus. Elle lui en veut, comme si c'était sa faute. Comme si la petite avait choisi de naître ainsi.

-Madame, regardez comme il fait beau. Vous devriez allez vous promener.

-Tu as raison. Apporte moi une veste.

Cet éternel sourire sur les lèvres, cet éternel faux sourire mécanique. La domestique est cependant ravie que sa maîtresse accepte la proposition, et ne tarde pas à revenir avec une laine bien chaude. C'est que les températures commencent à baisser en ce moment. Elle remercie la servante avant de quitter la maison, sachant que les petites entre les mains de la nourrice. Bien la seule à se soucier des enfants du couple Neville.

Angela en a assez.
Angela veut ce petit garçon.
Angela veut être une bonne épouse, pas une bonne à rien comme sa mère.
Angela ne remarque même pas les larmes qui coulent sur ses joues.