Soraid, le jour des défunts. Une journée où il était terriblement mal vu de porter des habits de couleur vive, de rire ou de s'amuser. Une journée où même ceux n'ayant perdu personne de cher ou n'étant pas très attachés à la religion devaient se montrer respectueux, sous peine de représailles. Toi, tu avais beau vouer une haine à la religion, tu respectais ce jour. Potentiellement plus que ce à quoi on pourrait s'attendre en te connaissant. Tu t'étais habillé de noir, et tu fixais ton reflet dans un miroir, prenant soin à ce que pas un pli ne dépasse. On aurait pu croire que tu te rendais à l'enterrement d'une célébrité, ou à une veillée mortuaire au milieu de la foule. Il n'en était rien.
"Tu sais William, tu n'es pas obligé de venir. Je comprendrai parfaitement, et elle aussi..."
"Non, j'y tiens. Cela fait trop longtemps que j'ai évité cet endroit. Je dois y aller, ne serait-ce qu'une fois. Par contre, tu ne verras pas d'opposition j'espère si je garde un Pokémon avec moi..."
"Absolument aucune."
A ton travail, tu vouvoyais ton père car c'était ton patron, mais en dehors, tu le tutoyais. Cela ne le dérangeait pas, même s'il disait préférer le "tu" au "vous". Une fois ta tenue vérifiée pour la dixième fois au moins, tu cherchas parmi tes Pokémons qui serait plus à même de t'accompagner. Valraven avait des couleurs bien trop vives, Ma'isha était de couleur blanche... Mittens aurait pu faire l'affaire, mais tu choisis cependant Skaya. Tu fis sortir la Zorua d'Hisui avant de la prendre dans tes bras, la renarde spectrale poussant un cri interrogatif.
"On peut y aller... Skaya, je voudrais te présenter quelqu'un. Façon de parler."
Tu sortis en premier de chez ton père - car pour la journée, tu avais décidé de loger chez lui. Tu avais ta propre maison à Pryderi, mais de temps à autres, tu revenais passer un moment chez lui, notamment lors de certaines occasions. Soraid en était une. Vous vous dirigiez vers le cimetière situé hors de la ville, la renarde spectrale observant la route attentivement. Il était assez rare que tu la portes ainsi, alors pour une fois, elle n'allait pas se plaindre. La majeure partie du temps, elle était davantage l'agressivité de ton équipe, se jetant sur toute source potentielle de danger pour te protéger. Là, tu la considérais davantage comme un soutien psychologique, un soutien dont tu avais hélas vraiment besoin aujourd'hui.
"Tu peux encore changer d'avis, je ne veux pas que tu te sentes forcé..."
"Ca va aller, promis."
Tu ne pus cependant retenir un léger frisson de malaise en franchissant la grille d'entrée du cimetière. Vous avanciez calmement, et malgré toi, tu ne pouvais t'empêcher de jeter un œil sur les noms des tombes. Peu importe combien de fois tu tentais de te dire qu'il ne fallait pas regarder, tu le faisais quand même. Finalement, vous vous retrouviez devant une tombe qui ne semblait pas si différente des autres, mis à part les fleurs qui ne devaient dater que de quelques jours à peine.
"Elle sera très contente que tu sois venu, je n'en doute pas..."
"J'en suis certain aussi. Skaya, je te présente ma mère. Ca fait tellement longtemps que je ne suis plus venu la voir..."
Tandis que toi et ton père discutiez, la renarde spectrale regarda la tombe. Elle avait compris que ta mère était morte depuis longtemps, vu comment tu en parlais. Est-ce qu'elle était déjà partie loin, ou est-ce qu'elle pouvait revenir sous forme de spectre ? Elle ignorait comment cela se passait. Peut-être aurait-elle dû demander à la Brocélôme de l'autre fois, sans doute que le petit spectre de plante savait plus sur cela.
Au bout d'une bonne heure à raconter plus ou moins tout ce qui s'était passé - tu avais cependant évité de mentionner certaines rencontres - ton père décida qu'il était temps de rentrer. Il ne voulait pas t'imposer de rester trop longtemps ici, surtout en connaissant ton malaise dans les cimetières. Il prit soin de reprendre le même chemin qu'à l'allée, et tu l'en remercias. Cela t'évitait de lire d'autres noms et d'avoir la crainte de lire le tien. Une fois rentré, tu posas Skaya au sol et libéras le reste de tes compagnons, Valraven reprenant aussitôt sa place sur ton épaule. Tu pris place dans un fauteuil du salon, prenant un livre afin de te changer les idées. Tu étais cependant attentif à la discussion que ton père avait entamé avec toi, parlant de choses et d'autres, jusqu'à ce que...
"Dis-moi, William... j'ai une question."
"Hm ? Je t'écoute ?"
Pour qu'il hésite ainsi, cela devait être sérieux, ou sensible. Aussi choisis-tu de poser ton livre sur le côté afin de lui prêter toute ton attention.
"Ne le prends pas mal, mais... avec toutes les fois où Edmund a causé du tort dans l'imprimerie avec ses discours, et le nombre de fois où les autres employés ont dû vous séparer, je ne comprends pas que tu n'aies pas demandé à ce qu'il soit renvoyé. Au contraire, malgré tout cela, tu insistes pour que je le garde. Et ne me parle pas d'avoir besoin d'une personne sur qui te défouler, je ne te croirai pas..."
Ah, décidément, ton père semblait parfois lire en toi. Il est vrai que tu sortais souvent à tes collègues l'excuse d'avoir besoin d'un défouloir pour justifier le fait que tu ne le faisais pas renvoyer, et cet imbécile pensait que c'était un maître d'équipe qui l'empêchait de se faire renvoyer... alors qu'en réalité, c'était toi qui faisais opposition. Autant que cela reste ainsi, tu ne voulais pas que cet abruti fini se fasse des idées. Un faible soupir t'échappa, tandis que tu levas la tête pour fixer le plafond.
"La réalité... Je sais que tu l'as embauché car il n'arrivait pas à trouver du travail ailleurs. Je me dis que si je le fais renvoyer, il n'aura pas moyen de trouver un poste, peu importe son expérience et ses éventuelles compétences, alors... Disons que j'ai pitié de lui ?"
Ce n'était pas franchement la bonne manière de le dire, mais c'était ainsi que tu pouvais le résumer. Ton père eut un léger sourire attendri en entendant ta réponse.
"Ta mère serait vraiment fier de toi, William. Tu as un bon fond, peu importe ce que les autres peuvent penser. Dommage que personne ne s'en rende compte..."
"Je crois que c'est mieux comme ça, non ? Surtout avec cet imbécile d'Edmund."
"Tu as sans doute raison..."
Cela resterait entre ton père et toi, ainsi que tes Pokémons.