Un mauvais jour parmi tant d'autres [flashback]

Tu as mal dormi, encore une fois. En réalité, tu ne sais même pas ce que c'est de bien dormir. Ou alors c'était il y a trop longtemps pour t'en souvenir. Quand la domestique est venue pour te réveiller, tu as fais semblant d'être endormi jusqu'à ce qu'excédée, elle te fasse basculer du lit en soulevant ton matelas. Elle a l'habitude des tes 'petits tours perfides' comme elle les appelle. Tu n'y peux rien, tu sais que ton père lui donnera raison de toute façon. Alors tu finis par te lever, résigné, malgré ton ventre qui se tord déjà d'angoisse.

On te traîne par la main, on t'habille machinalement et on t'envoie manger ton petit déjeuné à la même table que ton père. Sous son regard inquisiteur, tu es forcé d'avaler tes tartines de beurre et de confiture et de boire ton jus de baie Oran, même si tu sais pertinemment que tu rendra tout aux toilettes une fois arrivé à l'école. C'est toujours une étape difficile, au mieux la nourriture n'a aucun goût, au pire tu as l'impression de mâcher de la boue. Ton père te questionne une fois de plus sur tes résultats scolaires, en chute libre bien sûr. Tu lui assures qu'aujourd'hui tu redoublera d'effort, c'est ce qu'il veut entendre après tout, non ? Il est intransigeant avec toi, cruel parfois, mais c'est pour ton propre bien, n'est-ce pas ?

Tu ne veux pas le décevoir, tu sais tout les efforts qu'il fait pour faire accepter au reste de la famille Braveheart que tu es le prochain héritier, toi, le fils de l'étrangère. D'ailleurs, cette dernière, tu regrette sa présence, elle t'aurais soutenu. Mais semble-t-il que ton père fasse de son mieux pour vous empêcher de vous voir, sans doute pour qu'elle 'ne te couve pas'. Tu dois devenir 'un homme' de toute façon, les 'hommes' n'ont plus besoin de l'amour d'une mère.

Tu te demandes parfois si il sait. Si il est au courant que dès que tu mettra un pied à l'école, tu sera en zone ennemie. Vulnérable, impuissant. S'imagine-t-il qu'Ignis suffira à te protéger ? Cette pauvre petite Hélionceau ne connaît même pas encore Flammèche. Si il te l'a offert, c'est qu'il sait que quelque chose ne tourne pas rond, hein ? Tu le regardes en coin, timide, peut-être essayes-tu de lui faire comprendre indirectement que tu ne veux pas y aller, que tu ne veux pas revivre encore et encore les brimades et les caprices de tes camarades. Mais rien n'y fait, c'est à peine si il s'aperçoit qu'il parle à un vrai petit garçon.

Il doit être tellement habitué à faire ce même discours sur les responsabilités que tu as et sur le courage dont tu dois faire preuve qu'il n'y prête plus vraiment attention. Une pointe de culpabilité te perce le cœur. Si seulement tu étais plus fort et plus courageux, tu ne lui ferait pas honte. Il te regarderait enfin dans les yeux au lieu de lire son journal et peut-être qu'il viendrait t'ébouriffer les cheveux et t'adresser un sourire chaleureux en t'appelant 'Kea', comme avant. Cette pensée te donne envie de pleurer. Tu renifle, retiens tes larmes du mieux que tu peux. Tu te trouves stupide à avoir envie de chouiner si facilement. Comme si tu étais un bébé à qui on a volé sa tétine. Ton père a raison, tu dois grandir un peu. Sinon, rien ne changera.

***

C'était à prévoir. Pendant que les autres profitent tranquillement de la récréation du matin, tu es parti courir aux toilettes pour rendre ton petit déjeuné. Tu as essayé de te dissimuler dans le paysage comme un Kecleon pour être sûr que personne ne te suive et ne te fasse de sales coups sur le chemin ou une fois arrivé à destination. Pas facile quand on se retient de vomir tout le long du trajet. Ignis fait le guet pour toi et tu ne manques pas de sursauter quand tu entends son feulement. Ce n'est...Pas une bonne nouvelle. Et ça se confirme lorsque tu entends des bruits de pas se rapprochant peu à peu des toilettes. Affolé, tu prends la petite Hélionceau dans les bras et grimpe sur les toilettes pour que l'on ne voit pas tes pieds dépasser.

Il faut juste attendre et prier Arkée qu'ils ne se soient pas aperçut de ta présence. Mais encore une fois, ce dernier n'est pas de ton coté. Les gamins ne bougent pas et ne semblent pas destinés à partir. À ce stade, l'idée qu'ils ne t'ai pas repéré est fantaisiste. Il est évident qu'ils savent. Tu trembles nerveusement, parce que tu sais ce qui t'attends. C'est juste un mauvais moment à passer non ? Il faut juste que tu contrôle ta respiration au mieux, que tu retienne les larmes à venir et que tu montre preuve de courage, même si tu ne fais pas le poids devant l'ennemi. Ce n'est pas à onze ans que l'on peut faire face à des garçons de quatre ans ses aînés. Ils commence déjà à ouvrir les portes, une par une. Tu attends avec appréhension qu'ils s'en prennent à la tienne.

Et ça ne manque pas, on tente d'ouvrir la porte. Sans succès. On donne de grands coup dedans qui te font sursauter, encore une fois. Puis la serrure, ta dernière défense, lâche dans un bruit de ferraille tordue. Ils sont quatre cette fois, tu ne connais le nom que de l'un d'entre eux, Henry Morgan, le chef de meute en quelque sorte. Il te toise de haut, un sourire narquois aux lèvres, tu baisse les yeux, maintenir le contact visuel serait une forme de défi auquel tu ne te risque pas.

« Alors le métèque, on se cache ? T'as peur de nous ? Pauvre petite pédale, t'as rien dans le froc. » Siffle-t-il de sa langue de Séviper. « Aller, on va t'endurcir un peu. Tu nous remerciera plus tard. »

Ignis se débat et commence à feuler rageusement, tu la retiens du mieux que tu peux. Tu sais pertinemment qu'elle ne devrait pas être sortie de sa pokéball. Si on apprenait qu'elle a blessé l'un de tes agresseurs, ce serait une catastrophe. Enfin tu n'as pas à 't'en soucier' plus longtemps puisque l'un des grands te l'arrache des bras. Cette dernière tente de se raccrocher et lacère involontairement tes avant-bras.

« N-non, lai...Laissez-la tranquille ! » Gémit-tu, affolé.

C'est la première fois qu'ils s'en prennent à Ignis, sans doute parce qu'ils ont comprit qu'elle ne représentait aucune menace. Aussi minable que toi. D'ailleurs, tu te prends un violent coup de poing dans le ventre, sans doute pour te punir d'avoir osé donner un ordre. Tu t’affaisse par terre, le souffle coupé. Pour sa part, Ignis est violemment jeté contre le mur. Tu entends son cri de douleur, la peur t’envahit. Ils ne peuvent pas s'en prendre à ta seule amie, ils n'ont pas le droit !

« Qu'est-ce qui se passe, Braveheart ? On chouine parce qu'on a perdu son doudou ? » Fait remarquer Morgan en rigolant d'un ton que tu qualifierait bien d'idiot si tu n'étais pas une couard. Pour toi, ce rire d'ado immature est terrifiant. Tu redressant, les jambes tremblantes et les yeux pleins de larmes prêtes à couler, tu reprends la parole d'une voix tremblante.

« S-s-s'il-vous-plaît...P-pas Ignis... »

Tu renifle en essayant d'avancer vers le pauvre félin complètement déboussolé. Mais on t'arrête d'un brusque coup de pied dans le tibia, tu tombes une nouvelle fois. Une des brutes vient se saisir de ton cartable que tu avais amené avec toi pour éviter que l'on te le dérobe une nouvelle fois. Il le fouille sans vergogne et en sort un petit livre. Il le regarde d'un air dégouté.

« C'est quoi ça ? 'Tristan et Iseut' ? Encore un bouquin de bonne femme. T'avais raison, Henry, c'est vraiment une pédale. » Il s'approche des toilettes. « On va arranger ça. »

Tu comprends ce qu'il veut faire presque immédiatement. Tu pousse un petit gémissement plaintif et essaye de ramper vers lui mais un coup de pied dans les côtes te dissuade de t'avancer d'avantage. Tu ne peux qu'observer le triste spectacle. Le livre que ta mère t'avais offert finit vulgairement déchiré et jeté aux toilettes, le bruit de la chasse d'eau qu'on tire t'achève, tu te mets à hoqueter et tes larmes roulent le long de tes joues. C'est ce qu'il ne fallait absolument pas faire.

« Oh regardez, Braveheart va chialer comme une gonzesse ! » S'exclame Morgan en rigolant de plus bel.

Ignis se jette sur l'une des brutes et tente de lui mordre la jambe, peine perdue, l'Hélionceau n'est pas assez puissante pour maintenir sa prise, un simple coup de pieds l'envoie une nouvelle fois valser. Bousculant l'une des brutes au passage, tu te jette sur ton pauvre pokémon. Tu te roule en boule, la protégeant des coups qui ne tardent pas à fuser dans tout les sens. Dans le dos, dans les côtes, dans les épaules, dans le ventre, dans la figure, dans les jambes. Rien n'est épargné. Mais du moment qu'Ignis va bien...

Ce n'est que lorsque la cloche sonne que les assaillants abandonnent leur jeu. Ils se sont bien amusé mais il et maintenant l'heure de reprendre les cours. Tu les entends partir, tremblant comme une feuille. Il te faut une dizaine de minutes pour oser te détendre et te relever. Tu as mal partout, tu saignes du nez et ton œil droit semble bien gonflé et peine à s'ouvrir. Tu as du mal à respirer à cause des coups dans les côtes et tu es pris d'une brusque envie de tousser, sans doute à cause du sang dans ta bouche. Dans un violent spasme, tu crache le liquide pourpre à même le sol, tu constate sans surprise qu'une dent s'est détaché de ta mâchoire. Tu ne paniques pas vraiment, ce n'est qu'une dent de lait après tout. Enfin, tu espère.

Ignis n'a rien, c'est le plus important. Tu as vraiment été inconscient de la sortir de sa pokéball en espérant bêtement qu'elle pourrait te défendre. Par ta faute, elle a passé un sale quart d'heure. Pourtant, elle ne semble pas t'en vouloir, elle lèche doucement ta joue enflée. Tu lui adresses un maigre sourire, la prends dans tes bras avant de la renvoyer dans sa pokéball. Le sentiment de solitude que cela te provoque te fait à nouveau fondre en larme. Tu te relève tant bien que mal et réalise douloureusement que ta jambe gauche ne peut plus te porter. Tu boîte hors des toilettes et te dirige vers ta salle de classe.

Tu sais très bien que le professeur te regardera des pieds à la tête pendant que les autres élèves ricaneront silencieusement. Tu sais pertinemment qu'il te fera la moral, que se battre est interdit au sein de l'école. Qu'on t'enverra à l'infirmerie accompagné du délégué de la classe qui ne manquera pas de se moquer de toi durant le trajet. Que l'on appellera tes parents pour te prévenir de ta mauvaise conduite, qu'ils devront venir te chercher car ton état ne te permettra pas de suivre les cours. Si tu t'en tires bien, tu aura seulement quelques heures de colle. Dans le pire des cas, tu sera expulsé quelques jours. Tu aura beau dire que tu ne t'es pas battu, que l'on t'as roué de coup, ils feront tous la sourde oreille.

Tu l'a déjà essayé par le passé, tu sais que ça ne marche pas. Pire même, on te frappe d'avantage en te traitant de balance. Puis bien sûr, il y aura le regard condescendant de ton père, qu'il t'annoncera sa déception. Tu commences à croire qu'il sait que tu te fais passer à tabac et que sa déception vient du fait que tu n'oses pas répliquer. Tu as essayé une fois pourtant, mais les professeurs avaient donné raison à tes bourreaux et t'avaient punit bien sévèrement. Une injustice qui te dissuada de répliquer. Tu n'avais définitivement aucun alliés dans cette école. Toi et Ignis étaient seuls contre tous.  

Et comme tu t'y attendais, tout ce passa exactement comme prévu. Ce fut avec un soulagement certain que tu appris que l'on viendrait te chercher pour rentrer. En attendant, l’infirmière s'occupait de tes blessures sans une once de délicatesse. Elle non-plus ne semblait pas apprécier les 'métèques'. Le reste de la journée, tu comptais le passer enfermé dans ta chambre -une punition de ton père- et lire des livres de chevalerie et d'amour courtois, comme celui que l'on avait déchiré sous tes yeux. Tu te réfugierais dans ton monde imaginaire en essayant d'oublier que tes parents étaient sans doute en train de se disputer, une fois de plus, à ton sujet. Puis tu irais dormir, le ventre vide -une autre punition parmi tant d'autres.

Alors, pendant que l'infirmière passait du désinfectant couleur orangé sur tes vilaines éraflures, tu ne put t'empêcher de soupirer lourdement.

Ce n'était qu'un mauvais jour parmi tant d'autres.

EPSILON