A Doon, Camil ne rencontre généralement pas énormément de problème avec la population. Au mieux, on l'ignore quand il doit se montrer au grand jour, au pire, on lui adresse quelques regards agacés ou dégoutés.

Rien de bien nouveau, il a l'habitude.

Malheureusement, l'ambiance a changé dans la sombre ville. Les disparitions ont commencé anodines. Tristes, certes, mais ça non plus, ce n'était rien de nouveau. Jusqu'à ce qu'elles continuent. Plus régulières, plus nombreuses. La sécurité des enfants de Doon s'est vu compromise, les esprits se sont échauffés et on a commencé à chercher des coupables. Des monstres, des fantômes... Un sans-abri un peu trop récurrent.
Camil a senti les ennuis dès que les regards se sont montrés un peu trop insistants sur ses épaules. Lui, on ne le regarde pas, pas trop, simplement pour lui signifier qu'il n'est pas bienvenu, qu'il fait tâche dans le paysage, et bien souvent, il ne s'attarde pas. Mais les choses ont changé et il n'est plus si aisé de se faire discret.

Probablement est-il temps de partir.

Assis dans un coin, Camil soupire et jette un regard épuisé autour de lui. L'endroit est-... Décrépi, empeste le moisi et irradie de froid, il n'aurait pas pu y passer l'hiver... Mais la vieille bicoque est également ex-centrée, abandonnée et oubliée de tous : du pain béni pour lui. La quitter le contrarie plus qu'il n'aimerait l'admettre mais le bon sens se rappelle à lui.
Si on le trouve là, il doute survivre au courroux de parents endeuillés et Camil n'a pas envie de tester le système judiciaire. Alors il prépare ses maigres affaires pour le départ. Des restes non-périssables, de l'eau, la nourriture d'Ulysse – la seule à avoir l'air en bon état – le châle offert par Charlotte-...

Un instant, il hésite à y retourner. La saluer avant son départ, peut être même lui demander-... Mais l'idée se dérobe à lui alors qu'il secoue la tête. Il lui attirerait des ennuis sans aucun doute, et Charlotte est la dernière personne à laquelle il aimerait attirer des ennuis. Après Ulysse peut être, mais... Ulysse est un autre cas.
Le Brindibou est toujours collé à lui, lui éviter les ennuis semble aussi impossible que convaincre la populace doonienne qu'il n'a rien à voir avec leurs malheurs. Alors Camil soupire, replie le châle fleuri méticuleusement avant d'étouffer un bâillement qui l'arrête dans son geste. Il est encore un peu tôt, songe-t-il, il ne compte pas partir en plein jour où le risque de croiser des gens est le plus élevé... Dormir un peu avant lui semble une option viable. Personne ne vient par ici, personne qu'il n'entendrait pas, se rassure-t-il.

Alors il déplie le châle, l'enroule autour de ses épaules. Je ne dors pas longtemps pense-t-il, Juste... Une heure ou deux pour récupérer de l'énergie. Il n'a pas souvent besoin de plus pour continuer à fonctionner. Alors, il s'installe du mieux qu'il peut dans ce coin de pièce qu'il occupe. Toujours assis – sa sieste ne durera pas longtemps, les courbatures le réveilleront -, il attire l'attention d'Ulysse qui picore non loin de lui, l'enjoint de ne pas s'éloigner.
Le poussin ne quitte pas ses côtés tant qu'il n'est pas effrayé, et ici, Camil pense – en vain – qu'ils ne seront pas dérangés.

Son sommeil tarde à arriver, et quand il le fait, il est pesant, sans songe. Peu agréable mais nécessaire. Autour de lui, Camil perçoit toujours quelques sons qui lui parviennent de loin mais qu'il ne peut pas entièrement ignorer. Des grattements qu'il attribue au Brindibou, du vent – peut être une tempête menace-t-elle de se lever ? Si c'est le cas, il devra repousser son départ –, des petits chocs autour de-...
Le cœur de Camil rate un battement alors que son esprit peine quelques secondes à se décider. Rêve ou réalité ? Le bruit vient de trop d'endroits à la fois pour qu'ils proviennent tous d'Ulysse. Mais Ulysse ne pépie pas, alors peut être tout ceci ne vient que d'un rêve qu'il ne devinerait qu'à l'instant ? Quelque chose ne va pas, et ça, même à moitié somnolant, Camil s'en rend compte avec une certaine contrariété. Emerger du coton est – par contre – plus pénible que prévu. Engourdi de froid et de sommeil, le vagabond ne récupère une totale mobilité que lorsqu'achevant de confirmer ses craintes, Ulysse hurle.

Ses piaillements hystériques sont une sonnette d'alarme pour Camil qui bondit sur ses pieds. A premier vu, personne ne semble être avec eux mais le bougre n'a pas le temps de s'en assurer. Son cœur palpite, frénétique et ses yeux affolés cherchent d'abord le poussin.
Quelque chose ne va définitivement pas. Entre les cris affolés d'Ulysse, le bruit du vent n'a pas cessé et est bien trop fort pour provenir de l'extérieur, et pour ne rien arranger, des débris flottent.

Camil n'est pas superstitieux, mais il est prêt à remettre ses croyances en question à cet instant. Jusqu'à ce qu'il aperçoive Ulysse.

Battant des ailes – en vain – l'oisillon trottine à une vitesse qu'on ne lui prêterait pas pour s'échapper vers une autre salle. Le vagabond n'hésite pas une seconde : il ne peut pas se permettre de le perdre une nouvelle fois. Alors il abandonne ses affaires derrière lui – une décision qu'il prendra le temps de regretter plus tard – et se lance à la poursuite de son protégé.
S'il le rattrape, dans sa panique, il percute la porte qui mène à ce qui avait dut être – en son temps – un salon, culbute et se retrouve au sol. Le choc lui coupe le souffle, l'assomme un instant. S'il se retrouve avec quelques échardes plantées, son premier réflexe est de vérifier s'il n'a pas écrasé Ulysse – mais le poussin pépie avec véhémence, de peur et de contrariété, rien ne semble casser -, son deuxième réflexe est de regarder derrière si quelque chose les suit.

Et c'est dans sa vision périphérique qu'il remarque que, quelque chose ne les a pas suivi, mais qu'ils ne sont pas seuls pour autant.
Camil se fige, le froid qui l'accompagne en tout temps se fait plus présent encore et lui glace les veines. Sa respiration ralenti alors qu'un frisson lui remonte l'échine : la silhouette qu'il distingue n'est pas bien grande, mais pour lui au sol qui n'arrive pas à se relever, elle l'est déjà de trop. Dans son esprit, une myriade de questions – certaines bien farfelues – se bousculent les unes les autres. Les ont-ils trouvé ? Est-ce l'ancien propriétaire des lieux ? Un fantôme errant dont les rues de Doon sont censées être infectées ? Un esprit frappeur ?

Aucun des hypothèse ne fait vraiment sens mais la panique qu'il ressent n'en a cure. Alors Camil déglutit, incapable de se laisser respirer correctement. Une main maintient fermement Ulysse contre lui, l'autre se glisse par réflexe dans sa poche pour serrer son canif.

« Qui va là ! » parvient-il à aboyer avec toute la bravado qui lui est donné d'avoir. Pourtant, sa voix tremble, pourtant, sa mâchoire reste fermement crispée

Pourtant, ses jambes refusent de le redresser.

Et un instant, alors que la paralysie l'enserre toujours, le cauchemar prend forme. Camil ne sait pas ce qu'il se passe et c'est bien ce qui le terrifie le plus. La silhouette devant lui se voit auréoler d'une lueur sombre, inquiétante et qui semble distordre ce qui l'entoure.
Illusion d'optique ou pas, Camil n'en mène pas large. Il blêmit d'avantage – était-ce seulement possible ? – comprenant sans doute que son maigre couteau ne lui sera d'aucun salut cette fois-ci.

Et Ulysse ?

Pour lui même, il n'a que peu d'égard, mais le poussin-... Le poussin mérite mieux. Son cœur coule dans sa poitrine, le désespoir lui picote les yeux, mais la fureur d'être impuissant bout dans son estomac. Il pourrait-... Tenter le tout pour le tout, lancer Ulysse, faire diversion.. En vain. Rien dans son corps ne répond. Engourdi, paralysé, Camil grelotte autant de peur que de froid. Et maintenant ?

Puis une voix.

Des mots, des paroles qu'il comprend. Son cœur fait un bond dans sa poitrine : ils ne sont pas seuls. La menace devant lui dégonfle à vue d'oeil et finalement, c'est un pokemon que Camil devine penaud devant ce qui semble être son dresseur.
Mais quelque chose ne va pas. Le vagabond déglutit, tente de reprendre le contrôle de sa respiration comme il le peut. L'autre humain n'est pas bien grand non plus, mais-... Quelque chose ne va pas. Le froid qu'il ressent est ambiant, pas uniquement à l'intérieur, et l'ombre que son congénère projette sur les murs est-... Trop grande, trop prononcée, pas assez humaine pour que Camil y voit là un quelconque salut. Certes, la menace précédente s'est estompée, mais quel réconfort y trouver lorsqu'une nouvelle – plus grande – apparaît ?

Puis la voix s'adresse à lui.

Le timbre est étrangement clair, juvénile même, pour être celui d'un monstre. Surprenant, pas assez pour le détendre ceci dit. Camil inspire alors que son regard oscille entre les différentes silhouettes présentes dans la pénombre ambiante. On lui a posé une question, non sans l'avoir rabroué d'avoir fait du bruit. Alors, mêlée à sa crainte qui le paralyse, la colère fait son chemin, et alors que Camil exhale sa longue bouffée d'air, c'est sa frustration qui lui permet de prononcer quelques mots. « C'est-... » 'chez moi ici' n'est pas la formulation adéquate, alors le bougre se corrige bien vite. « Je vis ici. » siffle-t-il sur un ton de reproche.
Il vit ici et si rien chez les étrangers ne le rassure, il est certain qu'ils ne sont pas les propriétaires des lieux. En revanche, rien ne lui dit qu'ils ne sont pas là pour chercher des ennuis à des gens comme lui. L'idée lui fait bouillir le sang, assez pour enfin sortir de sa léthargie.

Doucement – comme engourdi depuis des siècles – il déplie ses jambes et se redresse. L'équilibre n'est pas aisé à trouver du premier coup, encore moins lorsque l'un de ses bras est occupé à tenir le Brindibou contre lui. Ulysse pépie piteusement mais ne semble plus vraiment avoir envie de s'enfuir. Tant mieux.
Alors Camil reprend, accusateur, la voix encore tremblante d'émotions. « Vous trouvez ça drôle ?! Effrayer les gens comme ça ? » 'Effrayer', parce qu'au fond, il espère sincèrement qu'il ne s'agit que de ça. D'un jeu stupide pour lui faire peur parce qu'il n'y a que peu de conséquences à ennuyer les gens comme lui...
Et oh, qu'il aimerait avoir l'air impressionnant, assez pour leur faire peur, assez pour les faire partir... Mais le bougre est lucide. Il déglutit, ses reproches sonnent d'avantage comme des plaintes et il déteste ça. Il n'a aucune envie de rester là mais ses affaires sont restées dans l'autre pièce et il n'a pas non plus l'envie de montrer son dos aux étrangers.

Ca ne va pas. Clairement pas.

Incapable de mettre précisément le doigt sur ce qui l'effraie à ce point, Camil déglutit. Est-ce l'ombre trop grande pour être celle de l'adolescent en face de lui – celle qui semble remuer ou se distendre par moments – ou l'expression neutre plaquée sur son visage ? Ou peut être encore les propos froids et dénués d'empathie qu'il tient avec une certaine nonchalance.
Peu importe. Quelque chose ne va pas. Et Camil grelotte de plus belle malgré tous ses efforts pour ne pas le laisser paraître. Il a froid. De l'intérieur, de l'extérieur, et la révolte qui gronde au fond de son estomac n'est clairement pas suffisante pour le réchauffer. Seule la présence d'Ulysse contre son cœur l'ancre un peu à ses responsabilités.

Alors Camil inspire malgré le froid qui s'intensifie et semble le mordre jusqu'au sang. Il est en colère, une émotion qui ne lui sert à rien dans ce genre de cas, même pas à réchauffer ses membres glacés. Incapable de se savoir en sécurité ou en danger, il déglutit, prend son mal en patience et observe l'étrange duo en face de lui qui interagit comme si lui même n'existait pas. Plus trop tout du moins.
Et si ce que l'adolescent dit et explique devrait le rassurer, il n'en est rien. Après tout, ce n'est pas à lui qu'il s'adresse. Après tout, s'il a l'air presque humain quand il dit ça, son ombre n'en reste pas moins trop grande pour lui.

Après tout, lui faire peur est amusant.

Alors c'est sans surprise que quand l'attention c'est à nouveau retournée vers lui, Camil qui avait commencé à se décaler vers la porte précédemment défoncée se tend à la manière d'un Vivaldaim devant les feux d'une voiture. Et si en d'autres circonstances la question posée aurait pu lui arracher un rire zone, il n'hésite pas un instant avant de répondre.

« Non. »

Peu importe les échardes plantées lors de sa chute, la chute en elle même l'ayant laissé légèrement endolori : voilà une information qu'il n'a que peu d'intérêt à partager. Il ne comprend même pas pourquoi il lui a posé la question.

Est-ce par remord ?
Par regain de conscience ?

Alors Camil le dévisage brièvement à la recherche d'une réponse. Sur le visage l'inconnu à moitié dissimulé par la pénombre, il ne lit pas grand chose, de la contrariété tout au plus. Puis le vagabond se rend compte.

Ca ne l'intéresse pas de savoir.

Il lui semble voir une fenêtre de manœuvre pour s'éclipser, alors c'est sans plus de palabre qu'il se glisse dans la pièce précédente dans laquelle règne plus de désordre qu'auparavant. Incroyable. La fenêtre auparavant barricadée de quelques blanches de bois est désormais libre d'accès à cause – grâce – aux pouvoirs psychiques de l'Abra et Camil réprime un rire jaune en récupérant très sommairement ses affaires.

Tout en boule son un bras, Ulysse sous l'autre, il n'envisage même pas de repasser par là d'où il est venu. Assurant un dernier regard derrière lui, il enjambe rapidement le rebord de la fenêtre et se glisse souplement vers l'extérieur avant de s'enfuir sans demander son reste.