Histoire

A bien des égards, Alphonse Henderson peut être considéré comme l’un des hommes les plus chanceux du monde. S’il a vu le jour dans la ville agricole de Glenn, il a toujours su que ce n’était pas à la culture de la terre qu’il était destiné, mais plutôt au monde du textile. Petit garçon déjà, il se plaisait à découper dans les étoffes pour gâter ses sœurs de robes pour leurs petites poupées en chiffon. De simple passe-temps d’enfant, la couture est devenue sa passion, puis son métier. Un concours de circonstance l’a mis sur le chemin d’un styliste de Tartan, qui l’a pris comme apprenti et l’a initié aux ficelles du métier. Fort de son talent, Alphone a participé à plusieurs concours de couture à travers le monde. S’il n’a jamais réussi à rafler la première place, ses créations toujours plus originales lui ont permis de se créer un véritable réseau de consommateurs. Homme humble et simple, il n’a jamais eu la prétention de s’illustrer comme styliste à renommée mondiale, mais n’était pas peu fier de son parcours dans le métier. D’autant que cela lui a permis de rencontrer Marie, styliste kalosienne issue d’une bonne famille. Entre eux, ça a été un coup de foudre instantané. Pour elle, Alphonse a emménagé à Kalos et après quatre années de vie commune, ils se sont mariés à Illumis.
De leur union est né Arthur, puis Daphnée deux ans plus tard. Leur loft kalosien devenant trop petit pour leur famille, Alphonse et Marie ont quitté Kalos pour s’installer à Keros, dans une magnifique maison au centre de Tartan. S'ensuivent la naissance de Annabelle, de Colin, puis de Sofia. La petite dernière, sur le papier. Pourtant, elle est suivie par les jumeaux Lukas et Hanna, trois années plus tard.
Sept enfants Henderson, sept personnalités différentes. Et dans le lot, la plus originale de tous, c’est bien la petite Sofia. Avec sa chevelure blonde platine, presque blanche, et ses yeux rosés, elle a été la source de beaucoup d’inquiétude de la part de ses parents. Ils imaginaient déjà leur enfant touchée par une maladie rare et fatale, qui les priverait beaucoup trop tôt de sa douce présence. Ce n’est qu’après quelques années à consulter divers médecins que le diagnostic final a été délivré : Sofia souffre d’albinisme. Tels les Pokémon Immaculés vendus chaque année sur le Grand Marché de Breith, la fillette présente une sensibilité au soleil et des troubles de la vue. Bien heureusement, son cas n’est pas le plus grave, bien au contraire. Une épaisse paire de lunettes corrige sa vue trouble et son strabisme. Quant à l’exposition au soleil, Alphonse et Marie ont très vite adopté le réflexe de l’habiller de vêtements couvrants et de la coiffer d’une large capeline les jours d’été. En soi, rien qui n’a empêché la jeune Sofia de vivre une vie parfaitement normale.

De toute façon, de toute son immense fratrie, elle n’a jamais été la plus casse-cou, ni forcément la plus aventureuse. Casanière et solitaire, elle préférait la bibliothèque de son père au grand jardin attenant à leur maison. Installée dans le fauteuil en cuir faisant face à la grande fenêtre du séjour, elle lisait les romans policiers de son paternel avec un intérêt tout particulier. A huit ans, elle n’était pas capable de comprendre tous les travers de l’intrigue, mais elle savait reconnaître les méchants des gentils. Et c’est bien tout ce qui lui importait : que justice soit faite, que les vilains se retrouvent derrière les barreaux et que les héros sauvent le monde. Une vision enfantine et bien naïve, mais pas étonnante venant d’une si jeune enfant. Parfois, Marie s’insurgeait de la voir lire de tels ouvrages - ce n’est pas digne d’une demoiselle de bonne famille. Mais Alphonse n’y voyait aucun inconvénient, plutôt ravi même de partager l’une de ses passions avec sa fille. Ses autres enfants n’ont pas d’attrait particulier pour la littérature, si ce n’est quelques bandes-dessinées en provenance de Unys dont son fils aîné raffole. Sofia est la seule à réclamer les romans s’alignant sur les étagères de sa bibliothèque et à en demander toujours plus. Ce n’est peut-être qu’une lubie de jeunesse, mais Alphonse en profite le temps qu’elle dure.
A côté de cela, Sofia développe un certain intérêt pour la cuisine. Il n’était pas rare de la voir aux côtés de sa mère, perchée sur une chaise pour atteindre le plan de travail de la cuisine. Dès qu’il était question d’éplucher des légumes ou pétrir des pâtes, la fillette répondait présente et y prenait un plaisir sincère. Contrairement à ses sœurs, l’idée de tâcher ses robes ne l’a jamais dérangé, c’est pourquoi elle a toujours apprécié se prêter à toutes sortes d’activité manuelle. Si elle n’a jamais vraiment présenté de fibre artistique, elle s’amusait à peindre des immondices ou à sculpter des silhouettes difformes. Rien ne semblait pouvoir entacher sa bonne humeur, même les remarques dures de ses aînés. En grandissant, Arthur et Daphnée ne sont pas devenus des enfants de chœur. Sous la pression du mariage imposé par leurs parents, ils relâchaient leurs nerfs sur les plus jeunes, et notamment sur Sofia qui ne se plaignait jamais.Elle a toujours été la cible la plus facile, la plus accessible. Celle que l’on croise à l’angle du couloir et qu’on peut pousser sans qu’elle aille s’en plaindre aux parents. Sofia n’y voyait que du feu, à cette époque. Elle avait bien trop d’admiration pour son frère et sa sœur pour les penser capables de telles bassesses gratuites. Heureusement, Colin se montrait bien plus gentil : il autorisait même Sofia à emprunter ses pistolets en plastique pour jouer au policier et au voleur avec elle. C’est sûrement le seul membre de sa fratrie avec lequel elle s’entendait si bien, et leurs moments partagés demeurent ses meilleurs souvenirs.

Pour ses dix ans, ses grands-parents kalosiens sont venu spécialement à Tartan pour leur amener un cadeau très spécial. Sofia s’attendait à n’importe quoi, sauf à devenir la propriétaire d’un splendide Couafarel. Sir Ruban Fantaisie d’Illumis n’avait pourtant rien du petit chien mignon qui roule sur le dos pour quémander des caresses. Il était plutôt du genre froid et distant, à fuir sa maîtresse à n’importe quel prix. Une gamine de dix ans n’intéresse guère un chien aussi racé que lui. Et malgré cet horrible caractère, Sofia est tombée sous le charme du caniche, qu’elle s’est d’ailleurs empressée de renommer Froufrou - parce que Sir Ruban Fantaisie d’Illumis, c’est beaucoup trop long pour qu’elle s’en rappelle. A l’entendre, Froufrou était déjà “son meilleur ami pour la vie” alors que le Pokémon n’avait que faire de cette enfant stupide.
L’année de ses dix ans marqua également le départ d’Arthur pour son service militaire. Sofia se rappellera longtemps de l’angoisse de Marie en voyant le taxi volant emporté son aîné vers trois années de service sous les drapeaux kerosiens. Elle fixait le ciel à travers la fenêtre comme si elle craignait de ne jamais revoir son fils chéri. Pourtant, c’est un Arthur en pleine forme qui revient trois années plus tard, et bien décidé à s’engager définitivement. Dans un même temps, Daphnée se faisait courtiser par un excellent parti et son mariage était au centre de toutes les discussions. Des bouleversements familiaux qui ne semblaient pas vraiment atteindre Sofia, qui se tenait éloignée ces problèmes d’adulte ne la concernant pas encore.
Pourtant, plus les années passaient et plus Sofia s’était mise à redouter cette entrée dans l’âge adulte. Le début de sa puberté l’a effrayé et le départ d’Annabelle à dix-huit ans seulement lui a fait réaliser la vitesse du temps s’écoulant. Les projets de mariage ayant tant enthousiasmé ses aînées l’effrayait et la repoussait. Ce n’était pas à cette vie qu’elle prétendait, loin de là. Sofia, elle, se voyait plutôt vivre par elle-même sans dépendre d’un homme. Elle croit en l’amour, mais pas en celui que vivent ses sœurs. Elle ne se destinait pas à devenir la femme d’un Jules et élever ses enfants pendant que lui avait la chance d’exercer un métier. C’est pourquoi la jeune Sofia s’est mise en tête qu’elle ne deviendrait jamais une épouse comme Daphnée et Annabelle, mais une femme avant tout. A l’approche de la fin de ses études, elle insista auprès de ses parents pour rejoindre l’école de police de Bronswick. Et malgré toute sa volonté, ils ne l’ont jamais prise au sérieux. Jusqu’à ce qu’elle ramène elle-même le dossier d’inscription, quasiment rempli, avec pour seule demande la signature de son père en bas du document. Jamais encore Alphonse et Mairie n’avait connu Sofia comme ça. A leurs yeux, elle a toujours été cette enfant un peu dissipée, volontaire certes mais droite et obéissante. Du jour au lendemain, ils découvraient une jeune femme déterminée, consciente de ses choix de vie et parfaitement à même de prendre des décisions. Ainsi Alphonse a-t-il accepté de l’inscrire, mais avec la certitude qu’elle reviendrait très vite à la maison, bercée de désillusions.

Et en effet, Sofia connaît de nombreuses désillusions en arrivant à Bronswick. Premièrement, ses formateurs freinent sans attendre ses espoirs de vie trépidante sur le terrain. Les femmes ne sont pas autorisées au port d’armes et tout ce à quoi elle pourra prétendre, c’est à s’occuper de la paperasse administrative ou à distribuer des PV aux citoyens ne respectant pas les lois les plus simples. Ce n’est pas elle que l’on enverra combattre le crime et mettre les voyous derrière les barreaux. Bien qu’elle s’y attendait, Sofia accusa difficilement le choc. Pour autant, elle ne baissa pas les bras : elle suivra ses cours à l’académie et passera son concours d’entrée quoi qu’il en coûte.
Deuxième désillusion … une femme seule est une proie facile dans une si grande ville. Si elle s’était toujours sentie en sécurité à Tartan, entourée de ses frères et de son père, elle devait désormais se débrouiller seule. Il ne lui fallut pas longtemps pour craindre les rues de nuit ou les regards des hommes sur sa frêle silhouette. Parfois, certains de ces goujats la sifflaient et l'appelaient, espérant sûrement qu’elle viendrait volontiers partager un verre avec eux. En vérité, la simple vue de leurs visages rougis par l’alcool suffisait à lui donner des haut-le-coeurs et à précipiter ses pas. Heureusement, Sofia s’était trouvée un petit logement tout près de l’académie, qu’elle partageait avec une camarade et son frère aîné. Avec du recul, la jeune fille veut bien avouer que Jonas a été son premier amour. Malheureusement, son cœur était déjà pris et jamais la demoiselle n’a osé lui faire part de ses sentiments. Toujours est-il que son coeur battait la chamade en croisant son regard, et qu’il a incarné le chevalier servant dans nombreux de ses rêves.
Au terme de ses années d’étude, Sofia s’est présentée au concours d’admission qu’elle réussit haut-la-main. Elle n’était peut-être pas major de sa promo, mais elle espérait que ses bons résultats attirerait l’attention sur ses qualités … mais ça ne fut pas le cas. Comme n’importe quelle autre femme ayant passé le concours, elle se retrouva affecter aux tâches de secrétaire dans un petit comissariat de la ville. Et tandis qu’elle triait des dossiers et des courriers, elle voyait ses collègues masculins mettre les fers aux malfrats du quartier, enviant leurs beaux uniformes et les menottes pendant à leur ceinture. Il lui arrivait, parfois, à la pause café, de participer aux conversations des agents de police et de s’imaginer à leur place, patrouillant dans les rues de Bronswick pour veiller à la sécurité publique. Et quand ses collègues commençaient à parler de leurs affaires en cours, la demoiselle était toute ouïe. Par de nombreuses fois, les conclusions hâtives et fausses de ces hommes en bleu l’étonnait. Elle n’a jamais été du genre à penser que l’esprit d’une femme valait mieux que celui d’un homme mais, par moment, elle était tentée. Ainsi rejoignait-elle discrètement la conversation, l’air de rien, dispensant quelques hypothèses à ses collègues sous formes de questions ou de propositions innocentes. Elle n’avait bien sûr pas raison à chaque fois, mais cela arrivait souvent. Bien sûr, les honneurs ne lui étaient pas réservés mais une partie d’elle était fière d’avoir démêlé l’enquête par elle-même, en se fiant seulement aux éléments qu’elle pouvait récolter au détour de quelques conversations épiées.

Sofia s’est satisfaite de cette situation pendant trois longues années. Trois années pendant lesquelles elle réalisait ses tâches administratives tout en participant - de façon non officielle - à quelques enquêtes autour de la machine à café. Jusqu’au jour où elle décida qu’elle méritait sa place sur le terrain et qu’elle allait le prouver, quoi qu’elle en coûte. Depuis quelque temps, un groupe d’adolescents semait le trouble dans les rues. Dégradations, troubles à l’ordre public, vol à l’étalage … des petits méfaits qui, mis bout à bout, devenaient de plus en plus embêtant pour tout le monde. Néanmoins, personne n’était encore capable de les identifier. Ainsi Sofia décida-t-elle de mener l’enquête par elle-même, plus ou moins secondée par Froufrou qui n’avait que faire de cette bande de gamins braillards. Et pourtant, c’est avec l’aide de son fidèle compagnon à quatre pattes que Sofia parvint à découvrir la planque des racailles et à les livrer à la justice. Si elle s’attendait à recevoir des félicitations pour cette enquête rondement menée, il ne fut rien : son supérieur lui tira les oreilles et la menaça même d’expulsion. Suite à cela, l’ambiance au commissariat changea du tout au tout pour Sofia : ses collègues ne lui adressaient plus à parole, et ils s'éparpillaient comme une volée d’Etourmi dès qu’elle entrait dans une pièce. Il était hors de question qu’elle ramène encore son grain de sel et les humilie en résolvant à leur place les enquêtes qui leur étaient confiées.
Ainsi la demoiselle décida-t-elle de se faire affecter ailleurs. Ce fut une bataille de longue haleine mais son supérieur accepta finalement de la recommander au commissariat de Pryderi, qui l'accueillit à bras ouverts. Là-bas, ses collègues se montrèrent plus sympathiques et ouverts, acceptant de discuter avec elle de tout et de rien, même des enquêtes les plus sensibles. Elle ne saurait dire sur la moyenne d’âge beaucoup plus basse était la raison de cette ouverture d’esprit, mais ce nouvel emploi fut un véritable bol d’air frais. Si elle ne pouvait toujours pas enquêter sur le terrain, ses collègues n’hésitaient pas à lui demander conseil, admirant son esprit d’analyse et ses hypothèses toujours précises et travaillées. Parfois, son supérieur lui offrait la chance de s’occuper du contrôle des stationnements : ce n’était pas la tâche la plus estimée, mais au moins pouvait-elle parader dans son uniforme qu’elle avait rarement l’occasion de montrer au reste du monde.
Sofia est ainsi entrée dans une petite routine qui lui convient plutôt bien. Elle rêve toujours autant de grandeur dans son travail, mais elle prend son mal en patience. Depuis quelques années, les choses bougent et évoluent - et la montée en puissance du parti galliste ne peut que promettre des belles choses pour les jeunes, les femmes et toutes les minorités constamment oubliées ou rejetées par le gouvernement en place. En attendant que les choses se concrétisent, Sofia vit à Pryderi, dans une chambre qu’elle loue à une vieille veuve au sein de sa demeure familiale. L’idée de vivre totalement seule l’effrayait trop pour s’y risquer, ainsi a-t-elle choisi cette initiative. D’autant que sa logeuse est une personne adorable avec laquelle elle se plaît sincèrement à converser. Pas de prince charmant à l’horizon pour l’heure mais qui sait ? La vie réserve parfois de drôles de surprises ...