Les yeux de Rohann brillaient comme un million d'étoiles, alors qu'ils étaient rivées sur les musiciens. Ces derniers arrivaient à la fin de leurs préparatifs : les cymbales de la batterie étaient en places, le guitariste s'affairait à accorder son instrument et un technicien testait le son du micro du chanteur. Tout était en règle. Le concert commença enfin réellement, sous les cris des meilleurs fans qui reconnaissaient leur chanson préférée en une seule note. Le charmant solo de basse n'était pas déplaisant aux oreilles de Lumière. Avait-elle eu tort concernant ce style de musique ? L'éducation qu'on lui avait donné considérait le rock'n'roll comme criard, inutilement bruyant et attirant la racaille. Pour le moment, elle ne voyait pas de grande différence avec ce qu'elle avait eu l'occasion d'écouter.

Un énorme crescendo, tombé sans prévenir, la fit vite changer d'avis. Ses dents grincèrent tant qu'elle manqua de se les briser et son cœur battait la chamade, secondé par son estomac qui se balançait dans tous les sens à cause des vibrations. Sa nuque se raidissait à cause du stress occasionné.
Elle jeta un œil à son cousin, espérant le voir aussi surpris qu'elle. Malheureusement, comme il le craignait, il passait un bon moment. Sûrement ne l'avait-il même pas vue sursauter. La Galarienne soupira. Si le jeune homme s'amusait, elle ferait l'effort de s'habituer au vacarme environnant. Qui sait, c'était peut-être comme les légumes qu'on n'aime pas étant enfant, et qu'on finit par aimer en se forçant à en manger.
En tout cas, pour le moment, elle préférait retourner se servir un peu de champagne.

En se retournant, flûte à la main, elle observa les autres spectateurs. Il s'agissait globalement de jeunes de son âge, parfois un peu plus vieux ou bien moins qu'elle, des adolescents qu'elle s'imaginait rebelles, ayant fui leur chambre dans la nuit pour venir voir leurs idoles sans l'accord parental. Cela la fit sourire, elle se reconnaissait un peu là-dedans, bien qu'elle ait tout d'une sale gosse de riche dans sa belle robe de soirée et une grimace qui trahissait la douleur dans ses tympans.
Avec confusion, elle en vit danser. Certains sautaient juste sur place - on pouvait difficilement parler de danse mais elle souhaitait leur laisser le bénéfice du tout, d'autres montraient d'étonnantes chorégraphies qu'ils avaient dû réviser pendant des mois. Elle les regardait d'un œil jaloux. Elle avait beau maîtriser les danses classiques, elle ne risquait pas de pouvoir bondir au dessus de la tête de son partenaire. Elle voyait mal le maigre jeune homme parvenir à la porter. Bah, au pire, elle imiteraient les énergumènes qui sautaient sur place comme des Laporeille.

Alors Roro, tu comptes rester sur place ou me montrer comment on danse le rock ? demanda-t-elle en prenant soudain le bras du ranger, qui avait sûrement oublié sa présence.

L'assurance de Lumière ne déplaisait pas à cette dernière, bien qu'elle trahissait sûrement le fait qu'elle n'était pas fichue de tenir trois flûtes de pétillant.

Quelle déception. Visiblement, Rohann, malgré son enthousiasme pour la musique sur scène, ne se sentait pas de pousser une petite danse. Lumière aurait dû s'y attendre, elle savait son cousin plutôt réservé, la plupart du temps. Elle se serait bien moquée de se ridiculiser - elle n'aurait pas été la pire vu les convulsions de certains, mais ça ne devait pas être le cas de tous. Dans un grand soupir, elle céda, s'avançant avec le jeune garçon vers la scène pour voir les Salarzen de plus près. Ses oreilles la suppliaient de faire marche arrière, en vain. Les tympans explosés seraient le problème de la Lumière-du-Futur. Celle du présent tenait trop à se faire pardonner pour se soucier de son mal de crâne du lendemain.

Heureusement, probablement un peu inquiet pour la blondine - ou sa propre ouïe, l'apprenti ranger ne s'approcha pas trop des hauts-parleurs, se trouvant une petite place entre plusieurs groupes d'amis, là où sa silhouette mince lui permettait de se faufiler, suivi de sa petite compagnie. On ne pouvait plus douter qu'il s'amusait. Sûrement envouté par l'ambiance, peut-être désinhibé par la sensation de foule, il chanta avec elle à tue-tête, sous le regard mi-confus, mi-attendri de la demoiselle. Elle aurait aimer rejoindre les choeurs, si elle avait connu les paroles. Elle n'aurait même pas pu faire de play-back tant son manque de culture était flagrant. Timidement, elle se contenta de battre du pied la mesure, restes de ses cours de solfège oubliés, ce qui lui permit contre tout attente, d'apprécier davantage la musique, au point où elle oublia presque le cassage d'oreilles.

Finalement, elle ne passa pas là la pire soirée de sa vie...
Peut-être achèterait-elle même le CD de Salarzen, un de ces jours.