Histoire

Ce n’est pas le cœur léger que tu foules le pavé grisâtre à la sortie de l’hôpital. Tu as l’estomac en miette et la poitrine broyée. Tu te bas pour renifler toutes larmes susceptibles de venir brouiller tes yeux affaiblis. Serait-ce là de l’appréhension ? De la nervosité ? Non. C’est bien plus profond que ça, bien plus sombre et douloureux encore qu’une simple envie de vomir. Il s’agissait là d’une haine perçante contre soi-même. Comment as-tu pus laisser faire ça ? Pourquoi n’as-tu rien fait pour l’empêcher ? Les poings serrés aux ongles grattant la peau, les yeux nerveux de quitter l’ombre du bâtiment, tu restes plantée là.
Le temps s’arrête, se suspend et tu cherches des réponses.

Ok, tu n’es pas née homme.
Et pourtant ton genre t’emprisonne dans un moule trop petit...
Tu suffoques.

Tu n’as rien demandé. Tout ce que tu voulais c’était vivre ta vie comme tu l’entendais. Tu souhaitais réaliser tes rêves de gamine, tes envies, trouver l’amour surement dans un détour. Être toi tout simplement. Mais tu t’es caché sous un costume d’homme, qui s’est fait déchirer à la première faute.

Bien évidemment, tu ne peux oublier les évènements qui t’ont conduit jusqu’ici. De la joie et des pleurs, de la peur et des rires… Toutes ses années difficiles ne seront gâcher le sentiment exceptionnel de quiétude que certains d’entre eux ont su te donner. Mais c’est la rage aux lèvres que tu ressasses cette vie qui est la tienne, cherchant à faire taire ces voix du passé qui sèment le doute comme un vieux disque rayé.

Tu seras lâche et impuissante
Résignée, soumise, déprimante
Insuffisante, pas adaptée, spectatrice bonne à marier.

C’est que ça a toujours été comme ça, depuis le début. Ils étaient tous là, à écrire sur ta feuille blanche, à peaufiner les moindres petits détails. Pour tes parents, il n’y avait pas d’autre solution, pas d’autre option. « Tu seras ce qu’on te dit, tu ne discutes pas. Ici c’est comme ça. T’as compris le jeu, c’est la roulette tu ne choisis pas. »

Et peut-être qu’ils avaient raisons…

Et déjà dans ton esprit s’enclenché l’engrenage de la révolte. Tu es l'ainée d’une petite famille noble mineur, à la flamme d’aventure toujours étouffée de robes et de parures, de règles et de droiture. Mais dans ta tête tout cela sonne faux, tu n’as qu’une envie, exploser, partir, cavaler, courir à en perdre le souffle, à tomber, à saigner des genoux. Déjà toute petite tu t’imaginais la tête haute, un poing sur la table, et l’autre en l’air tout en confiance. Une seule mélodie guidée tes pas : Avant de finir six pieds-sous terre, tu auras vécu tout ce qu’il y a à vivre, tu auras fait tout ce que tu veux faire, tenter tout ce qu’il y a à tenter ! Et surtout rêver !

Alors tu es parti. Tu as pris tes clics et tes clacs, tu as volé des vêtements du jeune concierge et a pris la fuite avec ton tout premier pokemon, un Helionceau destiné à devenir un grand Nemelios, le blason de ta maison. Tous les deux, vous êtes partis affronter le monde. Toi, 20 ans, toutes tes dents, tu t’affichais comme un charmant jeune homme prêt à affronter les Arènes de Keros. Oh, évidement, tu n’avais jamais combattu de vrai dresseur, tu n’avais fait que lire en cachette des ouvrages sur le sujet et tes expériences aux combats s’arrêtaient à chasser les Roucools du jardin. Autant dire que tu n’avais pas l’étoffe d’une grande championne, et pourtant… Une fois ta carte dresseur entre les mains, tu t’étais découverte, non seulement une passion dévorante pour le métier, mais aussi un certain talent dans la matière.

Ta famille essaya bien entendu de te retrouver. Pendant un certain temps ils engagèrent même des détectives pour te remettre la main dessus, mais sans réel succès. Cela dit, ils ne pouvaient réellement prétendre à ta disparition, car il t’était coutume de leurs envoyer quelques lettres ici de là pour faire signe de vie, sans jamais parler de tes aventures de dresseur. Tout n’était toujours que de grandes lettres pompeuses tissées de mensonges où les seules aventures que tu vivais était celle du grand amour.

Si ce grand amour était combat & gloire, alors tu devais bien écrire dans ces lettres quelques vérités.

Tes premières années loin de chez toi, à te cacher sous une toute autre identité, sont faites pour l’entrainement et la construction d’une équipe solide. L’aventure et la chasse aux compagnons étaient donc de mise. Et puisqu’un dresseur ne se nourri pas uniquement d’amour et d’eau fraiche, tu couples tes aventures de petites missions et autres demandes des habitants. Tu y apprends la vie, tu te fais quelques amis, te fais progressivement un petit nom dans le domaine. On t’apprécie, tant bien même nombreux sont ceux qui ignorent à même ta véritable identité. Mais qu’importe ! Si tu dois rester Asriel Dreï pour le restant de tes jours, alors ainsi soit-il !

Helas, toutes bonnes choses ont une fin et tu n’échappes pas à cette règle. Tu as vingt-cinq ans, alors que tu viens tout juste de remporter ton deuxième badge, qu’un groupe de challengers te débusque. Il y avait dans le tas des visages familiers, des dresseurs que tu avais déjà combattus… Il ne te faut pas longtemps avant de comprendre qu’ils ne te souhaitent pas du bien. Encore aujourd’hui tu as du mal à comprendre ce qui a pu motiver leurs actions… Un amas de fierté bafouée peut-être… une rancœur misogyne viscérale, allez savoir… Une chose est sûre ; ils étaient aux nombres de six, alors que tu étais seule.

Il y eu quelque échange. A bien y réfléchir peut-être aurais-tu tout simplement dut les supplier de te laisser tranquille… mais de la fierté mal placée, ils n’étaient pas les seuls à en avoir ! Devant les moqueries et les insultes, ton sang s'était mis à bouillir, à convulser dans ta poitrine. Tu avais tout fait pour ne pas faillir, pour ne pas perdre la face…Mais tu étais intimidée, effrayée… prise au dépourvue. Tu t'étais mise à nier d’abord les faits, jurant être un homme, mais finalement le dialogue s’envenima et ton déni se transforma en colère, en rage et en frénésie. Ils voulaient se battre ? Alors vous alliez vous battre !

Tu n'avais fait que bafouillais des mots en stresse constant. Ça avait brulé ta gorge, tu soufflais et grognais maladroitement et alors que tu pensais avoir le support de ton Hélionceau, tu vis ce dernier s’éloigner, sans même te jeter un regard… Il semblait avoir compris qu’avec toi, c’était fini… Qu’il n’y aurait plus jamais de victoire et de gloire… Tu avais crié, l’implorant de revenir. Mais ta voix, brisant tout doute possible, se bloqua en un couinement de désespoir. Tes jambes étaient devenues nerveuses. De l’autre côté, en face, ça rigolait bien, ça se moquait. L’un d’eux, le plus grand, s’était approché, bras croisés sur son torse bombé de supériorité. Tu avais dégluti et il t’avait regardé de son regard froid et mauvais, difficilement soutenable.

La suite est terriblement floue. Tu te rappelles d’une monture de pokemon jaune, zébré de noir, puis d’un coup violent, paralysant, électrifiant… Incapable de bouger, incapable de faire le moindre geste et les yeux ouverts par la surprise et la douleur, un flash lumineux était venu finir le travail.

Tout était devenu noir, tout s'était estompé autour de toi, si bien que tu ignorais ce qu’il s’était réellement passé ou ce qu’il était advenu des gens qui t’avaient attaqué. Ce n’est que quelque jour plus tard, que tu réouvres enfin les yeux dans un lit d’hôpital. Tes muscles étaient en charpie et c’était à peine si tu sentais le bout de tes doigts gigoter. Avec un peu de courage et surtout beaucoup de volonté tu as fini par te redresser maladroitement et difficilement. La chambre était calfeutrée… Aucun signe de vie, pas même celle de tes Pokemons…. Ils t’avaient tout prit.

Une larme, puis deux… Tu te rappel avoir senti une terrible douleur à la poitrine, comme un poignard que l’on enfonce délicatement. Il s’agissait là d’une déception et d’une tristesse indescriptible. Tu souffrais autant du cœur que le sel qui t’arrachait les yeux, comme si ce sel brut y coulait en cascade. Puis finalement, alors que tu grinçais des crocs et que tu te maudissais de tous les noms d’oiseaux imaginables, la porte de ta chambre s’était ouverte. Les rayons étincelants provenant du couloir t’avaient agressé la rétine, si bien que tu avais fermé les yeux tout en les protégeant de tes mains tremblantes. Il s’agissait là d’une infirmière, qui vint alors tout t’expliquer.

D'après des témoins tu avais reçu une série d’attaques d'Elektek et elles avaient eu raison de certains muscles. Ils ont eu ainsi le temps de te détrousser, de te prendre argent, badges et pokemon. La seule rescapée fut ta Vibranif, Artemis que l’infirmière t’avait rapporté pour te redonner la pokeball…Elle t’expliqua ensuite le programme de réhabilitation auquel tu allais devoir participer, ainsi que pourquoi ta chambre était aussi sombre et pourquoi la lumière te faisait si mal. L’attaque Flash avait littéralement réduit en cendre ce qui te permettait de protéger tes yeux de toutes les sortes d’UV existantes. C’est pourquoi, à partir de maintenant, tu devrais porter des lunettes de « soleil » qui sauront remplacer le filtre naturel de la lumière...

Et te revoilà, après six mois de convalescences et de réhabilitation. Tu n’étais plus seulement Asriel Dreï, jeune homme taillé par les aventures. Non. Tu étais aussi devenue une femme robuste et carrée. Un trop plein de vigueur se dégageait de ta carrure qu’on aurait presque dite athlétique. Ce que tu avais toujours été au final... Un peu plus toi-même malgré tes mésaventures...

Un mal pour un bien...?

D’un mouvement de tête, tu regardes derrière toi. Au-dessus de ta tête Artemis devenue Libegon, jetait son ombre sur toi, tandis qu’a tes côtés, souris innocemment un Raichu de soutient, offert par l’hôpital.

Pour la première fois depuis un petit moment maintenant, tu te permets un sourire, toute fois encore tiraillée par ce qu’il s’est passé et ce qui t’attend désormais dans ce monde qui t’as déjà rejeté une fois.