Cela faisait déjà presque deux mois qu'Oliver vivait désormais sous le toit des Nightingale. Et si la raison de sa fugue avait été tragique, lui tailladait encore le cœur quand il y pensait et le faisait souvent pleurer avant de s'endormir, il commençait à s'y faire. Presque à s'y plaire. Ilya était là. Zahra était là. Il avait même eu l'occasion de reparler avec Gaylord et de s'excuser d'avoir été si étroit d'esprit. Il s'avérait que le jeune homme était bien plus sympathique qu'il ne l'avait cru, lorsqu'il s'était brusqué, confronté à sa "potentielle" homosexualité.
Et, s'il refusait de l'admettre, il se sentait enfin soulagé de tant de responsabilités. Grand-mère et Maxwell lui manquaient, mais le fait de devoir prendre soin d'eux, jour et nuit comme nul infirmier ne l'oserait commençait à l'écraser. Charlotte lui avait même dit, ce matin-là, qu'il semblait avoir repris des couleurs depuis son arrivée. Voilà une pensée qui le fit sourire. Il craignait souvent avoir eu tort de partir, mais finalement, peut-être que ce coup de son père était un mal pour un bien. Le déclic dont il avait besoin pour fuir un environnement qui le tuait à petit feu.
Mais Oliver ne pouvait jamais rester heureux pour bien longtemps, n'est-ce pas ? Dans l'après-midi, Ceriz vint le chercher dans sa chambre pour le mener à sa maîtresse. Celle-ci avait sur le visage une expression grave qui le lui disait rien de bon. Et lorsqu'elle lui murmura d'un ton désolé : "c'est ton père", il se figea sur place, comme une statue.
Qu'est-ce qu'il pouvait bien lui vouloir ? Est-ce qu'il allait lui reprocher encore des choses ? L'insulter ? Ou alors, l'impossible, s'excuser ? Dans tous les cas, il n'avait pas envie de lui parler. Pas maintenant, pas plus tard, peut-être jamais. Mais Charlotte insista. "C'est important", lui dit-elle. Alors, avec réticence, le jeune garçon s'approcha du combiné. Comme il aurait aimé ne jamais réentendre la voix de son père. Surtout si tout ce qu'il avait à lui dire était
Grand-mère est morte.
Grand silence, des deux côtés de la ligne.
Grand-mère ? Sous le choc, Oliver n'arrive même pas à faire sens de ce nom. Il a l'impression qu'on lui parle dans une langue étrangère, qu'il a forcément mal compris... alors que pourtant, il le savait depuis longtemps, que sa mamie n'avait plus que quelques temps devant elle. Il préférait l'ignorer, tout simplement, et peut-être espérer qu'il lui reste des années à vivre, non pas des mois. Quand bien même, avec sa mémoire défaillante, elle était déjà partie, en quelque sorte...
Elle a refait une crise, soupira Charles, qui lui non plus n'avait pas envie de faire cet appel, manifestement, les médecins n'ont pas pu la réveiller. Si tu veux venir à l'enterrement, il aura lieu mercredi à dix heures.
Il raccrocha sans attendre une réponse de son fils. Fils qui, de toute façon, n'aurait pas pu prononcer un seul mot. Tétanisé, il s'accrochait au téléphone comme une corde de sauvetage, maintenant l'appareil à son oreille alors qu'on n'entendait guère plus que de la friture. Yeux dans le vague, bouche légèrement ouverte, il avait plus l'air d'un Magicarpe qu'autre chose, mais évidemment, madame Nightingale ne se moqua pas. Le deuil, elle ne le connaissait que trop bien. Ce fut elle qui prit Oliver dans ses bras quand il commença à pleurer à chaudes larmes, comme une vraie mère l'aurait fait.
Grand-mère était partie, il peinait à l'accepter. Mais surtout, il n'arrivait pas à se débarrasser d'une pensée douloureuse. Ça ne serait jamais arrivé s'il était resté. Il aurait pu appeler les secours plus tôt. Grand-mère serait encore là s'il n'avait pas été un sale gosse ingrat, égoïste et fugueur.
Si grand-mère était morte, c'était à cause de lui.