Oliver n'en revenait toujours pas. Son premier ruban... SES premiers rubans ! Après la honte qui l'avait submergé lors de son échec, jamais il ne s'attendait à sentir la victoire, à se sentir fier de lui, en dépit du thème tragique de sa performance, qui lui avait laissé un goût amer sur la langue. Il avait... enfin réussi quelque chose dans sa vie. Quelque chose de vraiment important, du moins à ses yeux. De tout le trajet de Lallands à Doon, il avait observé ses trophées avec des étoiles dans les yeux, faisant miroiter la partie métallique comme s'il tenait dans les mains de l'or pur. Il avait peut-être l'air ridicule, mais même si c'était le cas, Ilya n'en avait rien dit. Après tout, lui-même était sorti vainqueur de ce concours, et comme son ami, il devait avoir encore la tête dans les nuages.
Enfin arrivé à la gare, le rêve avait techniquement pris fin. La belle robe de Lily, les rubans et le nœud papillon rose de Milou s'étaient retrouvé cachés au fond d'un sac à dos terne "de garçon", et après un câlin qu'il aurait aimé faire durer plus longtemps, il s'était séparé du Stranaïte, chacun rentrant chez eux. Il aurait bien voulu qu'Ilya le raccompagne, mais il était vrai qu'avec les rapports froids qu'il entretenait avec son père, il pouvait comprendre qu'il préfère ne pas s'approcher de la maison.
Toujours aussi rêveur, toujours aussi souriant, Oliver poussa la porte de ladite maison, pas fâché d'avoir un peu de repos après cette aventure. Mais il n'eut pas le temps d'annoncer son retour, ses parents semblaient déjà l'attendre dans le hall d'entrée. Le regard sévère de son père ne lui dit rien qui vaille et noua même sa gorge sur l'instant. L'air concerné de sa mère, lui, ne l'aida pas à se rassurer.
Ton sac, Oliver. Ouvre ton sac.
Bien qu'il n'en ait aucune preuve, il se doutait bien que son père savait quelque chose sur... son escapade. Est-ce qu'un orphelin aurait laissé fuiter son secret à Doon ? Est-ce qu'on avait lu son journal ? Ou est-ce que ? Oh non, il espérait vraiment ne pas avoir été vu... Tête baissé, tremblant et contrait, il obéit, posa son sac au sol et... il n'osait vraiment pas. Mais sous le regard de fer de son père, avait-il vraiment le choix ? Dans tous les cas, il aurait droit à un savon. Autant arracher le pansement tout de suite.
En voyant les satins roses en blancs, l'homme soupira. Pas un soupir de soulagement, ni d'inquiétude, mais le soupir d'un homme désespéré et furieux à la fois.
Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un fils pareil ? souffla-t-il en se pinçant l’arête du nez.
Une question rhétorique qui eut l'effet d'une flèche dans le cœur d'Oliver. Il savait bien, pourtant, que son père ne l'aimait pas. Ne l'aimait plus ? Et même s'il savait qu'il n'aurait rien pu y faire, que mille prières à Arkée ne l'auraient pas fait aimer les filles ni devenir grand et fort, il ne pouvait s'empêcher de sentir la culpabilité gronder dans ses tripes. Il avait déjà été puni, plus petit, pour s'être habillé en fille, et pourtant, il avait recommencé. Aux yeux de son père, il n'était qu'un gamin insolent et désobéissant. Quand bien même, à dix-huit ans, il n'était techniquement plus un enfant, sous la colère de son paternel, il se sentait aussi fragile qu'un gosse de maternelle.
Ça te suffisait pas de jouer les princesses dans ton coin ? Tu avais vraiment besoin de t'afficher devant la région entière ? Tu as pensé à nous ? À la famille ? Tu crois vraiment que demain j'ai envie de répondre à mes collègues qui me demanderont pourquoi tu t'es donné en spectacle comme ça ? Et sans parler de... comment tu as pu croire que c'était une bonne idée d'embrasser un homme devant tout le monde ? Être gay c'est une chose, le crier sur les toits c'en est une autre ! "Ce n'était pas un vrai baiser", "je ne savais pas que j'étais filmé", Oliver aurait bien répondu, mais il savait mieux que quiconque qu'il n'aurait ni été écouté, ni respecté, alors il continua d'avaler les reproches, tête baissée. C'est à croire que ça t'amuse de me foutre la honte...
Non. Bien sûr que non. De toute sa vie, Oliver n'avait voulu qu'une chose, c'était de rendre ses parents fiers. Et même si la naissance de Maxwell lui avait fait perdre espoir, même s'il avait en partie commencé la coordination par rébellion envers son paternel... il y avait toujours une part de lui qui voulait, envers et contre tout, être un bon fils. Il en était malheureusement incapable.
J-je suis d-d-dé- Tu peux l'être, oui ! La réputation des Dixon est ruinée, et grâce à qui ? Ça a déjà dû faire le tour de Doon connaissant ces commères, grogne Charles en fixant le vide, avant de reposer son regard sur son fils, La coordination, les froufrous, les paillettes, c'est terminé. Les sorties entre copains aussi, je veux plus te voir avec avant que tu aies ton diplôme. Je savais que ce Stranaïte poserait des problèmes... M-mais, Ilya ne-
Cette fois-ci, ce ne fut pas les mots de son père qui lui coupèrent la parole, mais son poing dans la figure. Il tomba à la renverse, en plein sur son postérieur et resta sous le choc pendant un moment, yeux dans le vague, cerveau fatigué d'essayer de comprendre ce qu'il venait de se passer.
Charles ! Ollie !
Pauvre Mary, clairement déchirée entre sa loyauté envers son mari et son amour envers son fils. Comme le Tiboudet incapable de choisir entre le foin et l'eau, elle resta plantée, n'arrive pas à agir. Devait-elle se fâcher contre son époux ? Si elle n'approuvait pas de sa violence, elle devait admettre qu'il avait raison et qu'Oliver avait été inconscient et inconsidéré envers sa famille. Mais son pauvre bébé, qui gisait au sol, au bord des larmes, ne semblait pas être l'enfant rebelle que décrivait Charles dans sa colère. Il avait juste l'air d'un gamin perdu, d'un Ponchiot qui ne savait pas ce qu'il avait fait de mal.
Va dans ta chambre, Oliver. Ta mère avait raison, on aurait dû en parler plus tard... soupira-t-il. Regrettait-il son geste ? Ou avait-il peur d'aller trop loin ? S'éloignant déjà vers le salon, sûr que son fils allait suivre son ordre, il murmura quelque chose qui pourtant, résonna comme un cri dans l'esprit d'Oliver : J'ai pourtant pas élevé une tapette...
Comme s'il avait reçu un électrochoc, il se releva brusquement, manquant de trébucher comme un poulain marchant pour la première fois. Il lança un dernier regard à ses parents, qui semblaient soit inquiets, soit fâché par son attitude étrange, mais ne leur laissa pas le temps de dire un mot. Ramassant son sac, il finit demi-tour à la vitesse de la lumière, disparaissant des les rues de Doon tandis que le soleil commençait à se coucher. Il courut loin, loin, aussi vite que le lui permettaient ses jambes fatiguées. Au moins, cette fois, il savait où aller. La seule personne dans toute la ville qui lui offrirait un toit. Qui ne lui en voudrait pas et ne lui poserait aucune question. Oliver n'avait jamais eu autant besoin de madame Charlotte que ce jour là.
Oliver avait fugué un samedi, et il n'était pas revenu avant le lundi. Nostalgie ? Regrets ? C’était plutôt l'inverse. Il ne rentrait pas chez ses parents pour rester.
La maison paraissait bien silencieuse, et pour cause. Charles Dixon était au travail, le jeune garçon n'avait pas choisi son créneau au hasard. Pas question de risquer de le croiser. Trop peur. Trop rancunier. Ça lui brisait le cœur mais il devait bien admettre qu'il avait enfin compris que leur relation avait atteint un point de non-retour. Son père ne l'aimerait jamais, il devait en faire le deuil, que ça lui plaise ou non.
Tout ce dont il avait besoin, c'était ses vêtements, ses affaires de cours et évidemment, les Pokémon qu'il n'avait pas pu emmener à Lallands. Les pokéball de Doudou, Bébé, Dimitri et Rougepif dans son sac, Vendredi 13 sur les talons, un sac bien rempli sur le dos, il aurait bien voulu sortir de chez lui - était-ce encore vraiment chez lui - sans un accroc. C'était sans compter sur une voix inquiète qui l'interpela.
Ollie ? C'est toi ?
Oliver grimaça. Il n'avait pas envie... vraiment pas envie de parler à sa mère. Mais il l'aimait trop, et contrairement à son père, elle ne le haïssait pas, du moins, il n'en avait pas autant l'impression. Il ferait un effort, juste pour elle.
J-je v-v-vais v-vivre chez m-madame N-nighting-gale p-pendant q-quelques temps, soupira-t-il sans adresser un regard à sa mère. Elle répondit d'un ton tout aussi désolé. Oh... je... je comprends. Tu penses revenir quand ? J-je n-ne sais pas.
La réponse honnête ? Il n'osait pas dire "jamais", mais il le pensait. Il ne se sentait pas capable de vivre à nouveau sous le même toit que son père. Des gifles ? Il s'en était pris des tas. Un coup de poing ? C'était trop. Il n'était plus le bienvenu ici, quoiqu'en dise maman. Cela vaudrait mieux, même si elle lui manquerait. Même si Maxwell lui manquerait. Et grand-mère aussi.
En parlant de cette dernière... elle ronflait paisiblement sur son fauteuil, dans le salon, Weiss sagement assoupie sur ses genoux. Pauvre vieille femme... préférant la laisser tranquille, et n'osant pas lui faire des adieux, d'autant plus qu'elle perdrait "Emil" pour la deuxième fois, il ne réveilla que la petite Évoli blanche d'une caresse sur la tête.
B-bonjour, W-Weiss, commença-t-il en murmurant, j-je vais d-devoir p-p-partir pour un m-moment. Tu... tu t'occ-occuperas b-bien de g-grand-mère, p-pas vrai ?
La demoiselle semblait confuse, encore un peu endormie, et ne comprenant pas vraiment les mots de son maître. Sans doute ne comprenait-elle pas qu'il ne reviendrait pas. Du moins, pas avant longtemps. Elle hocha tout de même la tête. Après tout, elle tenait à sa bouillotte préférée autant qu'au garçon qui l'avait adoptée. Weiss manquerait à Oliver, mais c'était la moindre des choses, coupable comme il se sentait d'abandonner la vieille femme. Et puis, ses parents n'auraient pas à se plaindre. Une seule minuscule Évoli ne leur coûterait pas une fortune en nourriture.
Ollie ?
Encore maman. Elle semblait... hésitante, jouant avec ses doigts pour se distraire de sa gêne. Le blond attendit... il ne savait pas vraiment à quoi s'attendre, mais il savait ce qu'il aurait aimé. Un "je t'aime", un câlin, un "tu vas me manquer". Il se retrouva malheureusement vite déçu.
Tu es sûr de ne pas vouloir revenir ? Je suis sûre que si tu t'excusais, papa v-
Elle s'interrompit en voyant que son fils ne l'écoutait plus. Il s'était relevé, portant son sac à son épaule et repartant vers la porte d'entrée.
Au-au revoir, m-maman...
Il poussa la porte, sans se retourner, en partie par colère, mais aussi pour qu'elle ne voie pas ses larmes. Il passerait sûrement pour un gosse ingrat, mais ce n'était pas par plaisir qu'il abandonnait la maison qui l'avait vu grandir et la femme qui l'avait tant aimé.
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