Camil a quitté Doon.

Sans un regard en arrière – ou presque – le vagabond a pris son bagage, la bénédiction de Charlotte, et son courage à deux mains pour quitter la ville fantôme. Il n'a jamais été aussi bien préparé à voyager et aussi soulagé de quitter un endroit de sa vie... Ou peut être bien que si en fait.
Son cœur, aussi léger soit-il de laisser derrière lui les fausses accusations et horribles rumeurs à son sujet, se serre pourtant à chaque pas qu'il fait pour s'éloigner du cauchemar.

Doon a été-... Un étrange épisode de sa vie. Un dont il n'est pas certain de pouvoir s'en remettre un jour. Un qu'il n'est pas non plus certain de regretter entièrement. Sans Charlotte, la question ne se poserait pas, et il se serait probablement abandonné dans un recoin de la ville pour attendre un repos qui n'a que trop tardé.
Mais Camil n'est pas mort, quoiqu'en dise les registres du service militaire ou ses propres démons. Si ses nuits sont encore parsemées de cauchemars et de terreurs, il sent bien son cœur battre lourdement dans sa poitrine. D'angoisse, d'adrénaline, peut être même d'espoir un peu. De ça, il n'en est pas certain, mais s'il quitte Doon, ce n'est pas pour moisir ailleurs comme il a pu le faire précédemment.

Camil ignore ce que le reste de la vie lui réserve, mais pour la première fois depuis des années, malgré le froid qui l'engourdit encore, malgré ses forces vacillantes et ses démons qui lui susurrent à l'oreille, il a envie de regarder Demain. Avec appréhension certes, mais-... Peut être que même lui peut faire quelque chose de ses mains. Juste-... Ailleurs.

Pas ici.

S'éloigner de la ville fantôme est une nécessité, une qu'il aurait aimé ignorer après avoir accepté de vivre quelques temps dans le Manoir Nightingale. Avoir une maison, une sans hurlement, sans cri et sans terreur fut une expérience-... Particulière. Une qu'il aurait voulu prolonger par pur caprice. Mais il ne pouvait pas rester.
Empruntant le sentier de la forêt Eagal, armé de quelques repousses pour le trajet et accompagné de ses pokemons, Camil songe. Regrette-t-il de partir ? Un peu. Mais il sait, il comprend, c'est nécessaire. S'il s'attire des ennuis, il est le seul à en pâtir, ça va, il a l'habitude. Attirer des ennuis à Charlotte, sa famille et ses orphelins ?

Non.

Alors Camil s'enfonce dans les bois, disparaît entre les ronces et les buissons et laisse derrière lui le bon comme le mauvais. Charlotte lui a dit un jour qu'elle voulait croire en lui, et pour une fois, il voudrait croire en lui également. Alors la forêt, malgré sa mauvaise réputation, ne lui fait pas si peur. Elle a le mérite de repousser la plupart des voyageurs, de lui permettre de faire ses premiers pas dans un calme relatif.
Ainsi, les premières heures du trajet sont tranquilles. Grâce aux effets du Repousse, Camil avance sans embûche, ne peut s'empêcher de trouver ça étrange au lieu d'apprécier. Il a entendu des bruits, des rires et bruissements autour, mais rien qui ne se soit approché trop près de lui.

Tout va bien.

Jusqu'à ce que Salbeth miaule à ses pieds. La Miaouss n'a pas l'air particulièrement apeurée, mais quelque chose a attiré son attention. Elle renifle, surveille que Camil l'a bien remarquée et la suive avant de s'éloigner un peu.
Là, en contrebas du sentier, entre les racines d'un arbre tortueux, se trouve un œuf. Un œuf fendu, qui remue et qui s'agit. Camil ouvre la bouche de surprise mais aucun son n'en sort. En revanche, ses mains agissent par réflexe et s'est prestement qu'il récupère Salbeth. Elle a été nourrie... Mais dans le doute... Surtout que l'oeuf et la créature qu'il abrite ont l'air si petits, si faciles à gober-... La chatte émet un gargouillis bizarre sous la surprise et se contente d'adresser un regard hébété vers son humain, mais l'attention de Camil est ailleurs. Son regard passe de la coquille en bas aux branches en hauteur. Il plisse des yeux, recule de quelques pas mais il ne voit rien. Pas de nid, pas de parents, heureusement pas de prédateurs.

Le vagabond papillonne des yeux un instant, redescend les yeux sur l'oeuf qui s'agite toujours, entend les bruits qui en sortent, et hésite. Est-ce un tour qu'on lui joue ? Ou juste une maladresse du destin. Un regard à droite, un regard à gauche, il finit par se décider. Il peut bien attendre un peu voir si l'un des parents apparaît.
Et sinon-...

Il a déjà mâché la nourriture d'Ulysse, il peut le refaire.

Et alors que Camil imagine quelques théories sur la raison de la présence d'un œuf seul au milieu de racines – peut-être un vilain tour de Grimalin – ce dernier est surpris par un éclair de jais fonçant droit sur lui et qui le fait reculer.
S'il tient toujours Salbeth d'une main, l'autre s'est levée par réflexe pour se protéger le visage, et dans sa précipitation, ses pieds butent sur un obstacle qui le déséquilibre. Rapidement, le vagabond se retrouve séant au sol, Ulysse affolé battant des ailes près de son oreille et Salbeth miaulant d'une voix grave pour intimider le Cornèbre venu à la rescousse de l'oeuf.

Son œuf ?

Camil n'en sait rien, contemple un instant l'idée de relâcher Salbeth pour se défendre contre une potentielle attaque. Mais rien ne vient. Les deux parties se dévisagent en silence, semblent hésiter sur la marche à suivre, mettent du temps à comprendre qu'elles ne sont pas une menace l'une pour l'autre. Mais ce qui achève de clore l'incident, c'est un nouveau bruit de craquement qui les interpelle.
Et alors, d'un seul mouvement, tous se rapprochent pour observer le spectacle. Peut être qu'après avoir compris que l'oeuf avait un gardien, Camil aurait du s'en aller et laisser la Cornèbre faire son œuvre, mais il y a dans l'éclosion d'un œuf une sensation étrange, qui réchauffe son cœur et lui rappelle la naisse d'Ulysse.

Alors il s'approche, se penche et ne réagit presque pas lorsque la mère adoptive de l'oeuf se perche son épaule et croasse doucement. Ils ne sont plus ennemis, ne l'ont jamais vraiment été, alors ils peuvent bien partager ce moment.
De plus en plus frénétique, l'oeuf remue, les fissures s'agrandissent jusqu'à ce qu'un bec jaune finisse par émerger. La tentation d'aider le poussin à sortir est grande, mais Camil garde ses mains plongées dans le pelage de Salbeth plus pour les garder occupées que pour retenir la Miaouss, fascinée.

Il ne faut que quelques instants pour que l'éclosion se termine et laisse apparaître entre quelques morceaux de coquille brisées le plumage d'un petit Natu. Celui-ci a déjà de grands yeux noirs, fixes, qui se posent sur le visage d'un Camil qui ouvre la bouche. Oh... Oh... Ulysse était plus expressif à sa naissance, moins dérangeant, mais son premier réflexe fut le même que celui du Natu nouveau-né : piailler et sautiller vers lui.
Doucement, il relâche Salbeth, se redresse à moitié sur ses genoux et tente d'attirer la Cornèbre sur ses cuisses pour réparer la situation. Et si celle-ci accueille bel et bien son poussin, elle n'a cependant aucun scrupule à l'aider à monter sur les jambes de Camil.

Rapidement, ils sont rejoints par un Ulyse curieux qui pépie et pour couronner le tout, Salbeth s'approche à son tour, toute ronronnante et prête à donner un coup de langue affectif au poussin pour lui souhaiter la bienvenue. Une aile de jais l'en dissuade mais ne la fait pas reculer pour autant, et c'est penaud que Camil reste figé.

Il s'est fait avoir quelque part dans l'histoire.


Essayer d'éloigner les deux oiseaux n'a servit à rien et Camil s'est finalement résigné. Ils ne sont pas capturés, pas plus qu'Ulysse et Salbeth, et si la Cornèbre trouve ses services trop mauvais, il ne doute pas qu'elle s'envolera d'elle même avec son poussin.
En attendant, le voilà accompagné de deux pokemons de plus.

Il ne sait pas vraiment quoi en penser.
Mais il y a une petite touche de chaleur dans son cœur, alors ce n'est pas si mal.