Samedi soir. Jour de congé. Il est temps de mettre en pratique la théorie qui me trotte dans la tête depuis début juin. J'ai l'adresse de la part d'un patient, il a pensé que ça pouvait m'intéresser. Je ne sais pas exactement pourquoi il a pensé ça.

Mais il avait raison.

Le bar est plein, comme on peut s'y attendre un samedi soir. Je ne sais pas quoi dire ou quoi penser alors je me noie dans l'alcool. Ils ont beaucoup de cocktails, je les essayent tous. Ce n'est pas comme si j'avais de l'argent à mettre de coté de toute façon.

J'ai trop d'argent même. Tellement que mon travail de Ranger en est devenu une vaste blague. À quoi bon travailler dans les deux camps en même temps. Je devrais juste lâcher l'affaire.

Je regarde d'un air fatigué autour de moi, tout le monde à l'air d'humeur festive ce soir. Je dois être le seul mec venu se bourrer la gueule pour oublier sa vie de merde. Le barman me demande si ça va, je le renvoie à moitié chier.

Non, évidemment que ça ne va pas.

J'ai envie de pleurer tout d'un coup, mais je retient mes larmes. Fierté Kantonienne, fierté tout court aussi. Je soupire et baisse la tête. Je ne sais plus exactement ce que je suis venu foutre ici. Je ne suis pas un homosexuel.

C'est évident.

Alors qu'est-ce que je fais là, à espérer un signe d'Arkée ou d'une divinité de mon pays natal ? J'en sais foutrement rien. Les problèmes ne se résolvent pas avec des prières.

Depuis la mort de Fuwa, j'ai comme un vide, un vide immense en moi. Rien ne peut le combler, j'ai tout essayé, je me suis acharné. J'en suis épuisé. Fatigué de voir mes efforts ruinés, fatigué de constater que le mal triomphe toujours du bien.

J'ai la tête qui tourne, trop d'alcool sans doute. Je sursaute quand quelque chose frôle mon oreille. J'avais complètement oublié Yuki, encore une fois. Il me regarde d'un air inquiet, je lui adresse quelques caresses mais je sais pertinemment qu'il ne pourra jamais remplacer Fuwa.

La présence de l'un me rappelle l'absence de l'autre. Mais je ne peux me résoudre à abandonner ce pauvre Evoli. D'une part parce que je ne sais pas où il va atterrir si je le fais et d'une autre part parce que sans lui, le souvenir de Fuwa me dévore jusque dans mes cauchemars.

Yuki a le don de sentir quand tout va mal, alors il se frotte contre ma joue, il est inquiet, mais à part les caresses, je ne peut pas grand chose pour le rassurer.

Je sens que quelqu'un s’assoit à coté de moi. Je ne sais pas pourquoi mais cela me rends légèrement mal à l'aise. Je sens qu'il va falloir entamer un dialogue. Je n'ai pas envie de parler pourtant. L'homme qui me fait face a des cheveux roux assez longs et m'observe avec un sourire en coin, un sourire que j’essaye de lui rendre sans succès.

Bonsoir. Dit-il. Tu m'as l'air bien triste, toi. Qu'est-ce que tu fais tout seul ici ?

Je devrais me sentir outré que l'on me tutoie ainsi, mais apparemment, dans le milieu, c'est normal, alors je laisse faire. Mes yeux se perdent dans le vague et je sens avec honte qu'ils sont embués de larmes.

J'en sais trop rien. Répondit-je avec lassitude.

Je sens qu'il pose sa main sur mes épaules, je ne lutte pas, je ne le rejette pas. C'est étrange à dire comme ça mais... J'ai besoin de chaleur humaine je crois. J'aurais dû rester à Tartan avec Peggy, elle ne rechigne jamais à me donner l'accolade et au moins, ce n'est pas une inconnue rencontrée dans un bar gay alors que j'étais à moitié saoul.

Rupture difficile ? Théorise mon inconnu avec un sourire des plus bienveillants. Je fais non de la tête alors il cherche une nouvelle raison pour justifier mon état catastrophique.Burnout ? T'en peux plus de ta vie et t'ai venu te faire un coup d'un soir ?

Je ne sais pas si c'est l'alcool ou le désespoirs mais tout ce que j'ai réussit à répondre, c'était un marmonnement du genre : Peut-être bien, oui.

Les Sealg, les Rangers, même les gens normaux, ils me saoulent tous. Même avec tout l'alcool du monde, je n'arriverais pas à oublier que ma vie est une tartine de merde que je dois manger petite bouchée par petite bouchée. Histoire de bien apprécier la saveur.

Je n'arrives pas à jongler avec tout les éléments de ma vie. Soupirais-je. Je dois être le pire des clown. Même LeCreuset doit se foutre de ma gueule.

Lui au moins, c'est un vrai clown, moi je suis juste une vaste blague. Et le pire, c'est que je n'arrives pas à en rigoler. Si je m'écoutais, je me jetterais dans les bras de cet inconnu et je plongerais ma main dans ses cheveux qui ont l'air si doux. Comme le poil de Fuwa.

Mon pokémon partenaire est mort. Dis-je simplement en prenant une autre gorgée de Bloody Mary.

Un silence s'en suit, puis l'inconnu pose une main sur la mienne, son visage est sincèrement peiné, inquiet presque.

Je...Je suis désolé. Vraiment.

Je hausse les épaules, ce n'est pas de sa faute. C'est totalement de la mienne. Je suis celui qui ait proposé Fuwa pour l'expérience, je suis celui qui lui a donné des ordres et je suis celui qui l'a tenu dans ses bras, lui mentant en lui disant que tout irait bien alors qu'elle était en train de mourir.

Nouvelle gorgée d'alcool.

L'inconnu resserre sa poigne sur ma main, il est insistant. Je peux clairement voir l'inquiétude sur son visage, cette fois. Je ne peux pas me tromper, ses traits sont tellement marqués que l'on dirait qu'il a peur que je me foute en l'air en sortant d'ici.

Bah, il n'a peut-être pas tord.

Tu devrais arrêter de boire, t'as déjà une sale mine. Je suis pas sûr que ça te fasse du bien. Plaide-t-il d'une voix douce.

Je suis pas d'humeur à me faire du bien. Rétorquais-je en finissant mon verre d'une traite et en m’apprêtant à commander une autre boisson avant que l'inconnu ne saisisse mon autre main pour m'empêcher de faire signe au serveur.

J'insiste.

Je lève les yeux au ciel.

De quoi je me mêle ?

Il y a un nouveau silence, l'inconnu soupire mais ne lâche pas mes mains pour autant, ses yeux noisette croisent les miens. Je déteste ce genre de contact visuel mais j'ai beau essayer d'esquiver son regard, je n'y arrives pas. Ce mec se prends vraiment pour SOS amitié ma parole.

Tu veux que je finisse ma nuit dans ton lit ou quoi ? Grognais-je, rougissant en écoutant mes propres paroles. L'alcool me fait vraiment dire n'importe quoi.

Si ça peut t'empêcher de te jeter du Pont Léviator, pourquoi pas. Rétorque-t-il le plus naturellement du monde.

J'éclate de rire sans vraiment trop savoir pourquoi. Ce qu'il vient de dire n'a rien de drôle et pourtant ça me faire rire. L'idée de me suicider me fait rire, ma cause est perdue.

Je sais même pas comment tu t'appelles et tu veux déjà qu'on baise. Réussis-je à articuler entre deux crises de fou-rire. Bordel, si j'étais dans mon état normal, je me serais déjà fait seppuku pour laver mon honneur. Mais le pire dans ton ça, c'est que je lui donne mon prénom. Moi c'est Misao, juste Misao, pas de nom de famille, je déteste ma famille. Je viens de Kanto, j'aime pas le contact physique et j'ai jamais aimé ça. Alors t'as intérêt à être doué si tu veux qu'on passe la nuit ensemble.

Mais putain Misao, ferme ta gueule.

Moi c'est Lloyd, et t'es trop torché pour baiser. Soupire-t-il. Je t'amène à l'hôtel le plus proche.

Yuki se rappelle à moi en piaillant, comme si il était d'accords avec ce dénommé Lloyd. Je devrais lui être reconnaissant de ne pas abuser de moi, tiens. Je devrais le remercier. Mais comment le remercier au juste ? Je le regarde un instant en plissant les yeux, il arque un sourcil, se demandant sans doute pourquoi je le dévisage comme ça et puis...

Je l'embrasse. Sur la bouche. Je ne sais même pas pourquoi. Il ne me rejette même pas et me laisse partir quand je recule d'un bond en me rendant compte de ce que je viens de faire.

Oh bordel, je suis vraiment déso...

Il fait un signe de la main, soupirant légèrement. Je ne sais pas si il est malaisé ou amusé par la situation mais j'ai encore plus envie de pleurer qu'avant.

T'inquiètes pas, j'étais parti pour ça avant de voir que t'étais bourré.

Oh.

Maintenant que j'y penses, c'est logique. Le Draining Kiss est un établissement de rencontre, je suis presque flatté d'avoir été considéré comme un coup d'un soir potentiel. Mais d'une autre part, ça me crispe de malaise. Je m'imagine mal faire l'amour, que ce soit ivre ou sobre.

Et bien Lloyd, laisses-moi te dire que tu as les lèvres très douces et que j'aimerais encore t'embrasser. Je m'entends dire ça avec horreur. C'est comme si mes pensées sortaient de ma bouche sans philtre. Je bredouille un instant avant d'ajouter avec un sourire idiot. Désolé, c'est sorti tout seul.

Lloyd semble clairement se retenir de rire, puisqu'il se pince l'arrête du nez et ferme les yeux avec un sourire crispé. Je suis un peu vexé, je me mets à bouder comme un enfant de quatre ans en me servant du comptoir du bar comme accoudoir. Je ne vois même pas pourquoi je suis vexé. Parce que je viens de lui dire la vérité : je n'ai aucune envie de l'embrasser une seconde fois. Je ne sais même pas pourquoi je l'ai fais en premier lieu.

Allez, l'alcool c'est finit pour toi. Vient, l'air frais te fera du bien.

Je marmonne quelque chose que moi-même je ne comprends pas avant de balancer un billet de pokédollars d'une somme astronomique sur le comptoir en gueulant un 'gardez la monnaie !' et de le suivre sur la terrasse.

L'air frais me dégrise partiellement. Yuki se resserre autour de mon cou, c'est que l'air nocturne est assez frais.

Elle est mignonne ton écharpe vivante, elle s'appelle comment ? Finit par demander Lloyd pendant qu'il sort un paquet de clopes.

Yuki, c'est un Evoli immaculé. Je l'ai trouvé... Ta gueule Misao. ...Dans une poubelle. Ouais, c'est ça, dans une poubelle.

Lloyd manque encore une fois d'éclater de rire avant de me tendre une clope que j'accepte sans broncher.

Tu fais quoi dans la vie ? Me demande-t-il après avoir tiré une latte.

Ranger, médecin-ranger. Répondit-je. Métier de merde. Et toi ?

Aristocrate au chômage. Il hausse les épaules. Ou artiste indépendant, c'est toi qui choisit.

Après un long moment à échanger quelques trivialités, il finit par me proposer de me ramener à l'hôtel. Je secoue la tête.

Non, ne t'inquiètes pas, j'y arriverais bien tout seul. Ça va mieux.

Tu pourrais croiser des sales types sur la route. Proteste-t-il.

J'ai un Massko, il...Sait gérer ce genre de situation. Dis-je sans pouvoir m'empêcher de grimacer. Bon et bien Lloyd, c'était sympa de faire ta connaissance. Mais je penses que l'on ne se reverra pas donc...

Il me glisse un papier entre les mains.

Ça c'est à toi d'en décider. Souffle-t-il avec un sourire aux lèvres.

Ses coordonnées. Ce mec que je ne connais pas vient de me donner ses coordonnées. Et le pire, c'est que ça me fait plaisir parce que je lui souris comme un idiot.

T'es adorable.

Et voilà que sans comprendre pourquoi, je me mets à l'embrasser une deuxième fois. Par Arkée, plus jamais d'alcool pour moi. Je ne veux pas embrasser toutes les personnes qui me montrent un minimum de gentillesse ! Finalement, nous nous éloignons l'un de l'autre et je dois faire une drôle de tête parce que Lloyd éclate de rire.

T'es vraiment un cas spécial, toi. Bon allez, bonne route. Et à bientôt peut-être !

Je hoche la tête et fait demi-tour, dubitatif. En m'engouffrant dans les ruelles pour rentrer chez moi, je prends soin de libérer Basile de sa pokéball. Comme dit Lloyd, il se peut que je croise du casseur de pédale sur la route. Et sur le chemin du retour, je me jures de ne plus jamais boire d'alcool. Adieu l'idée de boire du saké pour la fête des étoiles. Je ne sais même pas ce que je serais capable de dire à Peggy dans cet état.

Je regarde un instant le papier que Lloyd m'a refilé, songe à le balancer quelque part et... Finalement non, je le range dans ma poche et continue ma route.

Je penses que la honte de ce qu'il s'est passé durant cette soirée me hantera jusque dans la tombe.