En passant cette porte, Hilda a l'impression de se trahir. Ce n'est pas un endroit pour elle, pour une jeune rebelle. Elle sait déjà ce qu'on va dire en la voyant arriver. Elle sent arriver les moqueries mais... elle n'a pas d'autre choix. C'est ça ou passer une autre nuit à la belle étoile. Sans Maggie, ça n'a rien de romantique.
Le premier visage qu'elle voit, c'est celui tout bouffi de vin rouge de l'officier Wilson. Il caresse son horrible moustache roussie dont il est si fier et rigole.
Bah ça, v'la la terreur de Glenn ! T'es venue te rendre ? T'as fait quoi cette fois ?
Hilda ne lui répond pas, elle se contente de le fusiller du regard, ce qui ne semble pas, mais alors pas lui plaire du tout.
Écoute moi bien ma p'tite, j'sais pas c'que t'es v'nue faire ici mais mon p'tit doigt me dit que c'est pas pour dev'nir fliquette. Alors tu m'dis c'que t'as à m'dire ou tu t'dépêche de sortir !
Elle essaie de lui tenir tête. D'habitude, c'est si facile. Malgré sa taille et surtout son embonpoint, c'est un homme peu imposant, qui se laisse souvent marcher sur les pieds par les petites racailles de la campagne. Mais elle est trop fatiguée pour ça. Elle veut juste un lit, un fauteuil, rien qu'une chaise ou même un sol assez confortable pour s'y assoir. La fatigue lui fait tourner la tête. La fatigue, ou alors...
Eh petite ! Ça va pas ?
Elle n'a même pas réalisé qu'elle fixait un mur depuis un bon moment. Sûrement une absence. Elle ne rejette même pas la patte grasse du flic sur son épaule. Malgré leurs différents, il semble sincèrement inquiet, cette fois. Hilda n'aime pas voir cette peur sur son visage. Ce n'est pas la peur qu'elle inspire par sa force et sa colère, c'est de la pitié.
Eh James, tu nous appelles Lorraine ? J'crois ben qu'elle va pas bien.
Il la fait s'asseoir sur une chaise en plastique très inconfortable et elle ne se débat même pas. Elle ne veut pas de son aide mais elle a cruellement besoin de se poser. Quelle honte ça serait de perdre connaissance devant des flics ? Elle est censée être forte, c'est elle, la vilaine furie qui terrorise le commissariat de Glenn. S'effondrer devant eux, c'est renoncer à cette réputation qu'elle s'est créée.
Tandis qu'on part chercher "Lorraine", Wilson essaie d'aider comme il peut. Il s'accroupit pour se mettre à la même hauteur que l'adolescente, lui parle aussi doucement que lui permet sa grosse voix, et ce moment si elle détourne le regard et qu'il n'apprécie pas ce genre de manque de respect en temps normal.
Hum... alors... qu'est-ce qu'y va pas ? demande-t-il maladroitement.
Son sourire artificiel tombe vite quand il voit les traits de la gamine se changer en grimace. Il se relève en panique et constate qu'elle est bien en train d'éclater en sanglots. Il n'a pourtant rien dit de mal ! C'est bien pour ça qu'il fait venir une bonne femme. Lui, il n'a pas le contat humain, et certainement pas avec les jeunes. Il reste planté en retrait, à regarder chialer une ancienne adversaire sans savoir quoi faire à part avoir de la peine.
"La Terreur" est tombée, et il n'en tire aucune fierté, aucune gloire. Juste un sentiment de tristesse et d'impuissance.