Thémis Esther

Histoire

(L'avatar d'Esther, blague à part ;) : https://zupimages.net/viewer.php?id=22/14/3znu.png )

Une lumière blafarde commençait à filtrer par delà les rideaux ocres de l’unique fenêtre de la chambre d’Esther. On pouvait entendre les rues voisines s’animer tandis que les passants se multipliait peu à peu. La prolifique ville industrielle de Winscor s’éveillait, et il en était de même pour Esther dont le sommeil, déjà perturbé par cette agitation extérieure, finit par voler en éclat quand le cliquetis entêtant de son réveil laissa place au tintamarre induit par l’activation de son mécanisme. Ses cloches résonnaient impitoyablement dans la pièce alors que la jeune femme s’extirpait des draps en maugréant. Elle chercha d’une main confuse l’engin bruyant pour l’arrêter au plus vite, soulageant enfin ses oreilles tandis qu’elle se redressait dans sa couche, le dos légèrement endolori. Elle s’étira en émettant un bâillement prononcé avant de saisir la paire de lunettes rondes qui reposait près du réveil, désormais éteint. Esther les riva aussitôt sur son nez, rendant le monde soudainement moins flou, bien qu’il demeurait quelque peu brumeux de par la sensation de fatigue qui l’étreignait. La nuit avait été peu revigorante pour la brunette qui avait beaucoup veillé en ressassant ses dernières heures vécues. Certainement parce qu’elles avaient été éprouvantes pour ses nerfs, marquant une rupture nette avec son cercle familial proche.

Elle s’était disputée avec son père, maugréant encore et toujours au sujet de la mort de son fils, lors d’une mission militaire à l’étranger, il y a de cela quelques années. Le paternel déplorait le fait que cette perte risquait de signer la disparition du nom des Thémis. Ce point agaçait beaucoup Esther qui avait rongé son frein en lui rappelant encore et encore qu'il pouvait encore potentiellement avoir un enfant masculin avec son épouse et qu’elle même, comptait bien pouvoir lui présenter des petits enfants un jour ou l’autre. Même avec un autre nom, le sang des Thémis subsisterait. Chose à laquelle il avait rétorqué sur un ton désabusé qu’il était bien difficile d’enfanter avec sa chère et tendre. Esther savait bien que ces paroles maussades n’étaient aucunement porteur de reproche concret vis-à-vis de sa mère, plutôt révélateur d’une vision désillusionnée de l’avenir. Il en était de même pour les mots qu’il avait prononcé à son encontre, probablement davantage chargé d’inquiétude qu’autre chose. Mais sur l’instant, ils avaient semblé s’apparenter à coup de poignard pour la jeune femme.

Puis, avant de songer à avoir des enfants. Il faut que tu prennes soin de ta jambe. Il ne faut pas que ça empire, c’est toujours intimidant pour un homme d’envisager un futur avec une dame handicapée.

Une douleur légère mais lancinante parcourut la la jambe droite d’Esther alors qu’elle prenait place sur le bord du lit pour la masser doucement. Se remémorer la suite de cet échange n’était guère agréable. Peut-être parce que tout est allé très après cela. Un peu à l’image d’une course effrénée, de celles qu’elle ne saurait plus tenir aujourd’hui avec cette jambe lourde et raide. Elle s’était mise en colère et avait claqué la porte du foyer familial en emportant ses principales affaires. D’une certaine façon, ce n’était pas si précipité que ça. Elle avait prévu de partir prochainement en Kéros, pour profiter des opportunités de carrière plus importantes dont jouissait cette nouvelle région en plein essor. Cette soirée conflictuelle avait juste accéléré le processus.

La brunette soupira tandis qu'elle se passait une main sur le front, se massant les tempes du bout des doigts avant de scruter la canne qui l’attendait posée contre le mur, entre le lit et la table de chevet. Si elle était en mesure de marcher sans elle, le docteur lui avait recommandé de ménager autant que possible sa jambe fébrile, afin d’éviter d’éventuelles complications futures. Sa jambe s’était mal remise d’un accident qu’elle avait eu plus jeune, quand elle était encore adolescente. Ses frasques l’avait amené à faire preuve d’imprudence. Elle était allée seule dans les terres sauvages récupérer des baies exotiques pour tenir un pari idiot. Malheureusement les hautes herbes avaient étaient trompeuses et un mauvais pas lui avait fait faire une très mauvaise chute depuis une colline escarpée. Elle avait eu la chance d’être retrouvée par un randonneur quelques heures plus tard mais malheureusement, elle payait encore aujourd’hui les conséquences de son acte. Jamais plus elle ne pourrait courir comme elle le faisait autrefois.

Esther prit une bonne inspiration avant de se saisir de sa canne. Elle se leva doucement, puis se dirigea vers la minuscule salle de bains que proposait sa chambre. Fondamentalement, cela se résumait à des toilettes et un petit meuble sur lequel se trouvait une vasque, capable de fournir un peu d’eau froide. Il y avait également un miroir accroché au mur, juste au dessus. Rien d’exceptionnel en définitive, mais ça serait largement suffisant pour quelques ablutions matinales. Après tout, Esther avait loué cette chambre pour son toit et sa proximité avec la gare de Winscor. Vu le budget qu’elle y avait mis, elle se doutait bien qu’elle ne bénéficierait pas d’une merveille de confort et ça lui était égal. Bientôt, elle serait dans un train en partance pour Kéros, là où tout un nouveau chapitre de sa vie allait pouvoir s’écrire.

Cette pensée lui inspira un sourire tandis qu’elle essayait de discipliner sa tignasse en s’aidant de son pâle reflet, renvoyé par le miroir. Son peigne, comme à son habitude, tendait à perdre la bataille contre ses cheveux. La brunette apparaissait souvent avec une coiffure légèrement hirsute avec ses multiples mèches rebelles. Bien que ça l’agaçait un peu, elle se consolait en se disant que ça lui donnait un style de garçon manqué somme toute pratique. Elle qui aspirait à une carrière journalistique, elle se disait que ça pouvait l’aider de coller à des mœurs esthétiques plus masculines. D’autant plus que ça permettait à sa canne de passer pour un accessoire de mode plus que pour une nécessité personnelle. Si ça ne dérange pas Esther de se faire remarquer, elle est autrement plus frileuse quant au fait de recevoir de la compassion liée à son handicap. Quelque part, elle considère que le souligner revient à lui coller une étiquette de fragilité, chose qu’elle exècre. Elle voulait se faire un nom, mais pas être connue comme une éclopée nécessitant qu’on lui tende la main pour avancer. Esther souhaitait faire son bout de chemin la tête haute, en méprisant ceux qui ne saurait reconnaître sa valeur pour quelques motifs ridicules.

C’est donc avec un air satisfait qu’elle fit le point sur son allure une fois la majorité de ses préparatifs terminés. Un maquillage discret, une élégante chemise claire à manches courtes, une cravate soignée, un large pantalon à rayure soutenu par des bretelles, un long manteau noir, plutôt classieux… il lui manquait juste un joli chapeau pour compléter sa panoplie de parfaite gentlewoman. Mais elle ne comptait habiller sa tête cette fois. Elle se contenterait de couvrir ses pieds pour être fin prête à partir. Elle retourna ainsi dans la chambre pour s’asseoir sur le lit, soulageant ainsi sa jambe quelques instants pendant qu’elle cherchait des bas à enfiler dans sa valise. Quand soudain, elle ne put retenir un cri de surprise en sentant une aspérité inattendu en attrapant un de ses habits. Manifestation craintive qui amena vite l'élément inopiné à révéler sa vraie nature, s’extirpant de la longue chaussette en considérant son environnement avec méfiance.

- Celcius !

S’exclama la jeune femme avec une pointe d’agacement alors que le pokémon insecte se contentait de la fixer dans la plus grande des placidités. Initialement, elle ne souhaitait pas emporter Celcius avec elle, se disant qu’il serait plus heureux à la maison familial. D’un autre coté, elle était plutôt contente de le voir. Si certains détestent les pokémons insectes, Esther n’a jamais éprouvé de révulsion particulière à leur encontre. Peut-être parce qu'elle avait souvent vu ses parents en côtoyer, plus particulièrement sa mère ayant travaillé dans des industries textiles sollicitant régulièrement ce genre de créatures.

On lui avait offert Celcius quelques temps après son accident, lui affirmant qu’avoir une source de chaleur sous la main pouvait toujours être utile dans sa condition. Même si elle avait refusé son aide pendant un temps, la jeune femme lui était reconnaissante d’avoir fait preuve de patience à son égard. Elle se souvenait parfaitement de ces premières nuits difficiles où elle se réveillait en proie à des crises de douleur. Déjà à l’époque, elle complexait beaucoup sur son état et refusait d’appeler son frère ou ses parents à l’aide dans ce genre de situation où sa jambe la faisait souffrir, trop fière qu’elle était. Celcius, lui, venait de lui même, lui qui passait pas mal de temps dans la chambre, hors de sa pokéball. Peut-être ressentait-il la détresse de sa maîtresse ? En tout cas il avait essayé assez tôt de s’enrouler autour de la zone douloureuse, afin d'y diffuser de la chaleur pour la soulager. Chose qu'Esther lui avait interdit de faire dans un premier temps, refusant tout contact avec sa jambe lors de ses crises. Pour autant, l’insecte, loin de s’offusquer, s'était contenté chaque fois de se coucher près d’elle. Ce n’était pas grand-chose mais c’était une présence qui avait permis à Esther de se sentir moins seule dans ces moments difficiles, avec un être qui la jugeait pas pour les difficultés qu’elle pouvait rencontrer. À force, elle avait fini par moins craindre les contacts directs avec sa jambe, permettant à Celcius de s’enrouler autour de celle-ci lors de ses crises, atténuant ainsi les afflux de douleur. Depuis, ces montées de douleur se sont raréfiés et atténuées, rassurant quelque peu Esther quant à sa capacité à garder sa jambe valide.

La brunette finit par esquisser un sourire à l’égard de son vieux compagnon d’infortune et finit par le saisir délicatement pour le glisser autour de son cou sous son manteau, telle une écharpe. Lui glissant sur un ton complice et espiègle.

- Tu as de la chance qu’il fasse froid aujourd’hui, sinon tu serais retourné dans la valise ! Bon, l’heure tourne. Tu me tiens chaud le temps que j’aille nous chercher à manger ? ... Et une nouvelle pokéball, manifestement.

Elle devina à la légère étincelle dans le regard de son pokémon qu’il avait bien compris la référence à la nourriture. Cela amusa Esther qui émit un petit rire en se dirigeant vers la porte de sa chambre, valise dans une main, canne dans l’autre.

- Eh bien Celcius, on un train à prendre après, allons-y !

L’insecte chauffa légèrement le cou de son amie en guise d’approbation tandis qu’elle tournait la poignée, parée à aller à la rencontre de son avenir.