Séraphin Cyr de Costemore

Histoire

Alors que le soleil se lève sur la petite ville de Glenn dans laquelle tu viens d’élire domicile, l’on toque déjà à ta porte. Toi, tu n’as pas fermé l’œil de la nuit, les bruits de la campagne te terrifient et ne parlons pas des odeurs mais tu as pris le temps de t’apprêter car ton introduction est sur le point de commencer. Tu te sais, tu te sens important et ce sentiment s’est intensifié quand un jeune journaliste pour la presse locale t’a contacté, ayant eu vent de ton arrivée. Au moins, les paysans savent lire et se tenir au courant. Ah ! Un rire que certains qualifieraient de médisant t’échappe. Reprends-toi, recoiffe-toi, assure-toi que ton pantalon soit sans plis, que ta chemise ne soit pas froissée, échange tes chaussons contre tes chaussures de ville en cuir marrons. Celles à talonnettes, oui, s’il les prend pour cible tu lui rétorqueras que c’est orthopédique. Les chaussures plates sont mauvaises pour le pied, ce n’est pas une question de complexe.

Ouvre-lui, il doit s’impatienter.

Le journaliste est poli, il essuie ses pieds timidement, se fait petit bien qu’il te dépasse d’une tête. C’est drôle, on croirait presque qu’il connaît sa place dans la hiérarchie, peut-être est-ce la raison qui t’a poussé à accepter de lui consacrer quelques heures de ton précieux temps pour son misérable bout de papier. Tu es bon, Séraphin. Tu fais dans la charité.  Tu l’installes dans le salon où les cartons ne sont pas encore déballés mais tous rangés contre les murs pour ne pas trébucher. Ils jurent cependant avec le beau mobilier, celui sur lequel ton invité n’ose pas se poser. En bon roi, tu lui prends son manteau et l’invite à s’asseoir.

L’interview peut commencer.

▬ Peut-être pourriez-vous vous présenter ?

▬ Eh bien, je m’appelle Séraphin Cyr de Costemore et je serais votre nouveau médecin de ville, ce du lundi au mercredi.

Un grand nom pour un grand homme mais tu sais te garder de ce genre de commentaire devant le petit peuple. Tu ne dois te montrer ni imbu ni arrogant sous peine de les brusquer, ces spécimens qui jouent les vieilles effarouchées à s’offusquer. Pauvres d’eux... Vraiment tu les plains ! Et ce car tu es bon, Séraphin. Et ces mots, ces éloges à ton sujet, tu le leurs arracheras quand ils tomberont dans le creux de ta main. Patience est mère de vertu.

▬ Trois jours par semaine ?

C’est tout ce qu’il retient, le gueux ? Pas ton illustre nom ? Tu es de noble lignée après tout, un sang bleu comme on n’en fait plus. Toi qui croyait trouver ici des gens qui sauraient apprécier que quelqu’un de ton rang daigne emménager loin de tout pour leurs beaux yeux.

▬ Je reste malheureusement un homme de sciences et je continue d’étudier. Nombreux sont mes projets et j’espère pouvoir publier mes premiers travaux dans le courant de l’année. N’ayez crainte cependant car je suis évidemment disponible en cas d’urgence, après tout j’œuvre au service de la communauté.

▬ Oh, je vois.

Oh ? Qu’est-ce qu’il entend par là ? Ne comprend-t-il pas que tu as tellement plus à offrir à votre pays que des prescriptions et de la bobologie ? Les maladies ne sont pas les seuls maux dont souffre Keros et toi, dans toute ta mansuétude, tu le pardonnes. Oui ! Tu le pardonnes car il est bien trop sot pour comprendre qu’il y a des choses plus grandes en ce bas monde, des choses qui ne concernent que l’élite. Que vous seuls soient amenés à affronter et à relever des défis pour que les pauvres gens puissent vivre dans l’insouciance. Certains plus que d’autres vu que visiblement, gâcher du papier pour jouer les fouinettes est un vrai métier.

▬ Est-ce que je peux vous demander sur quoi portent ces travaux ?

▬ J’ai bien peur de ne pas pouvoir répondre, j’aimerais garder la surprise, ne m’en voulez pas.

Que disais-tu ? Fouinette ! Et rien que pour ça, tu le garderas à l’œil, toi qui est parti si loin des grandes villes plus modernes pour le calme et la tranquillité. Tu n’as pas besoin que l’on vienne s’immiscer entre toi et tes recherches, le fait que ta maison soit excentrée et que tu proposes des visites à domicile ça veut bien dire ce que ça veut dire. Rien à voir, dégagez.

▬ D’accord… Euh je crois avoir lu que vous étiez le seul médecin de votre famille, vous qui avez.. 3 frères et 3 sœurs ?

▬ Quatre frères et quatre sœurs mais c’est exact, vous êtes plutôt bien renseignés. J’espère les rendre fiers.

Tu ronronnes presque, rien ne te passionne plus comme sujet que ta personne. Encore plus quand il s’agit de pourquoi toi, le benjamin de cette illustre famille, est bien mieux que tout le reste de ta fratrie. Car toi, contrairement à eux, tu sauveras leur renommée, au lieu de dilapider l’argent dans les arts ou les commerces risqués. Cette pique ne vise que tes frères car tes sœurs, elles, tu n’as rien à leur reprocher. Elles ont accomplit leur rôle, toutes mariées et mères, elles n’ont rien d’autres à faire pour te satisfaire. Ce ne sont que des femmes après tout, aussi instruites soient elles, elles ne sont que de jolis pions pour s’allier avec d’autres grandes familles.

▬ Aucun doute là-dessus bien que vous fassiez les choses différemment. Ils se sont tous mariés jeunes si je ne m’abuse ?

▬ Effectivement je suis ce que vous pouvez appeler un bachelor.

Une pause.

▬ Est-ce que vous allez l’écrire ? Je ne savais pas que l’une des inquiétudes de vos lecteurs était de savoir si le nouveau médecin est un cœur à prendre.

Ton regard malicieux toise le journaliste qui balbutie des excuses. Tu joues de sa gêne comme tu joues avec des boucles blondes, toi qui a hérité du physique de ta mère, beauté de Kalos. C’est vrai qu’avec ta gueule d’ange, tes jolis yeux bleus et ta peau laiteuse, il peut être inconcevable pour ton interlocuteur que tu sois encore sur le marché. Comme tu le comprends ! Tu pourrais être un prince, que dis-je, un ange. Car tu es beau Séraphin et tu le sais.

▬ Ne vous en faites pas, vous facilitez ma recherche. J’ai commencé mes études à seize ans et je viens de les terminer, je m’installe à peine, il est donc vrai que je n’ai pas su trouver le temps de faire des rencontres. Je n’aurais pas aimé me fiancer et me retrouver sans une minute à accorder à ma bien aimée, comprenez, je suis un peu fleur bleu.

Les femmes qui t’ont connu voudraient contester. Elles diraient plus, attends… Ah ! Que tu es un sale con, un pervers narcissique, peu importe ce que ça veut dire, amoureux uniquement de sa propre personne et misogyne. Oui, tu es beau mais tu es pourri de l’intérieur. Tes mœurs et tes idées archaïques que tu défends à coups de faits scientifiques ont su dégoûter toutes les femmes de ta promotion. Pas qu’il y en avait beaucoup pour commencer et, de toute façon, tu n’aurais pas voulu de l’une d’entre elles. Des femmes ? Qui étudient ? Ah ! Quel gâchis.

▬ Eh bien c’est tout pour moi, je ne vais pas vous déranger plus longtemps Monsieur de Costemore. Merci beaucoup.

▬ Je vous en prie, tout le plaisir est mien et appelez-moi Séraphin.

Un sourire étincelant parfaitement maîtrisé, une main ferme mais douce sur son épaule, tu ne devrais pas être surpris qu’il rougisse et pourtant, tu luttes pour que ton visage ne se déforme pas sous le dégoût. Putain de queer. Évidemment qu’un aussi piètre journaliste soit de ce bord. Ils sont partout mais surtout dans les arts et la littérature, des sujets que tu as étrangement fuit. Ne lui en veut pas Séraphin. Ce n’est peut-être qu’une phase, il n’est qu’un moumouton perdu, perverti par les nouvelles idées qui ébranlent la société. Tu restes donc un bon hôte et tu prends la peine de le raccompagner jusqu’au pas de la porte et tu le salues.

Une fois assuré qu’il est bien loin, tu tournes les talons et tu marches vite, pris d’une frénésie qui t’est propre et tu t’enfermes dans la salle de bain où tu te laves une fois, deux fois, trois fois les mains.