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Keros
FORUM POKEMON · ANNEES 60 · AVATARS 200*320 · PAS DE MINIMUM DE LIGNES

En Novembre 1965, Keros fête ses 30 ans. Désormais libre de l'égide de Galar, la région se remet péniblement de deux guerres, et la jeunesse a envie de tourner la page. Sa liberté, elle la trouve autant dans l'activisme que dans des loisirs innocents. Les combats de Pokémon, en phase pour devenir la discipline phare à Keros. La coordination, l'élevage et le métier de ranger ont également le vent en poupe. Une organisation criminelle profite de cette mode pour s'enrichir grâce au braconnage et le gouvernement ne semble pas concerné par la crise écologique et économique imminente.Lire la suite

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Baby Blues | solo Ven 18 Fév - 22:24


 

Baby Blues

Solo

Une grande inspiration...

Tu peux le faire, Mary.

Mes mains tremblent, mes genoux aussi. Je sens ma bouche s'assécher tandis que je sue à grosse gouttes. Ce n'est pourtant qu'une petite trappe au plafond, quelques marches d'escalier à grimper. Si Charles me voyait, il se ficherait sûrement de moi.

Il ne comprend pas.
Il ne comprend jamais rien. C'est un insensible, un monstre, avec qui je refuse de passer encore une nuit de plus. C'est pourquoi c'est si important que je fasse ça tout de suite. Je ne veux plus remettre les pieds dans cette maison après ce soir. Ca sera rapide : je rentre, je récupère ses affaires et je prends mes clics et mes clacs avant de partir en lui claquant la porte au nez. Mes bagages et ceux de Maxwell sont déjà faits. C'est la dernière ligne droite. Je réunis tout mon courage et j'ose enfin pousser cette maudite trappe.

L'air est désagréable. Personne n'a mis les pieds dans la chambre d'Ollie depuis qu'il est parti. Pas même moi, surtout pas Charles. Tout est resté à sa place. Ses livres, ses vêtements en désordre, sa peluche de Chacripan, ses affaires de classe... ça m'arrache des larmes nostalgiques et ma gorge brûle de sanglots qui demandent à sortir.
Il ne manque que mon fils. Je m'attends presque à le voir dans son lit, en train de lire ou de somnoler avec Noisette dans ses bras, mais c'est un espoir bien cruel. Je sais que je ne le verrai pas. Je sais que je ne le verrai plus jamais. Alors pourquoi, Arkée, pourquoi est-ce que je continue d'avoir ces visions, qui me font sourire le temps d'un clin d'oeil avant que la réalité ne me rattrape ?
Je rêve déjà presque toutes les nuits qu'il me revient. Il crie mon nom - “maman”, me prend dans ses bras quand je cours vers lui, me dit que tout va bien, qu'il n'était jamais parti et il se laisse doucement bercer. Et comme une sotte, je me laisse berner à chaque fois et je me réveille en larmes dans un lit vide. Je suppose que je ne peux m'en vouloir qu'à moi-même. C'est moi qui en ai chassé mon époux. Il a fini de me donner le peu de réconfort qu'il avait à offrir. Je n'en veux plus. Il me dégoûte.

J'avais été si rassurée de le savoir à mes côtés au tout début. Sans ses bras, je me serais écroulée au sol quand des policiers sont venus nous chercher. J'ai lu du choc dans ses yeux, peut-être autre chose aussi, mais il n'avait jamais été un homme très émotif. Dans ma bête adolescence, j'avais pris ça comme une qualité : il était si mature et viril. Si j'avais su qu'il n'avait simplement pas de coeur, j'en aurais épousé un autre.
Pas un instant il ne m'a laissée tomber. Il est resté à mes côtés dans mes pires moments, il m'a prêté son épaule pour pleurer, a séché mes larmes, m'a dit des mots doux, m'a assuré qu'il était là pour moi, qu'il m'aimait. J'ai fini par comprendre l'ironie, ou plutôt l'hypocrisie de cet homme. Il était là pour moi depuis plus de vingt-cinq ans, il n'avait jamais cessé de m'aimer, comme il le promettait...

Mais il n'était pas question de moi. Il était question d'Oliver. Son propre fils, la chair de sa chair. Avait-il versé une seule larme pour lui ? Non, pas la moindre, j'aurais été là pour la voir. Il a évité le sujet comme la peste, il n'a fait qu'essayer de me distraire avec des dîners romantiques et des boîtes de chococoeurs, mais il n'a pas montré la moindre émotion depuis...
Il n'a pas dit un mot à l'enterrement. On se serait attendus à un discours, de la part de son père. Ses amis, eux, avaient de belles choses à dire. J'ai l'excuse de ne pas avoir su m'arrêter de pleurer pour dire quoi que ce soit au cercueil, et là encore, je m'en veux à mort. Je suis allée le voir avec Charles quelques fois au cimetière, le temps de lui dire que je l'aimais, avant de perdre mes moyens encore une fois. J'aurais voulu le voir, pour de vrai, une dernière fois, mais on me l'a refusé. “C'est pas beau à voir, ma bonne dame”, m'avait dit le coroner sans le moindre tact. On m'a interdit de voir mon propre fils, et j'en serai malade à jamais.

Charles a gardé son bras autour de mes épaules sans rien dire. Je ne suis pas sûre qu'Oliver lui manque vraiment. Il ne l'a pas dit, il ne l'a pas pleuré, il n'a pas montré la moindre once de culpabilité.
Ce n'est pas grave. Je lui en veux assez pour deux.

Le simple fait de penser à cet enfoiré m'enrage. Des larmes de colère viennent s'ajouter aux autres et je me dépêche de les essuyer. Je ne peux pas m'attarder et m'apitoyer sur mon sort. Je continue mon tri. Les affaires qui me tiennent à coeur dans un carton, les autres je les laisse à Charles, il en fera ce qu'il veut. Qu'il les brûle ou qu'il se morfonde dans la culpabilité en les redécouvrant, je m'en fous.

Je choisis les livres qu'il aimait le plus. Des contes de fées pour la plupart, pas de son âge, comme je lui disais à l'époque. Je le regrette tellement. Au fond, il pouvait bien lire ce qu'il voulait. Son livre préféré manque à l'appel. Je vide la bibliothèque dans l'espoir de le trouver, en vain. Chaque roman que j'ai pu lui offrir mais qu'il n'a évidemment jamais lu me brise le coeur. Je savais, pourtant, qu'il ne lirait jamais ce stupide roman de science-fiction. A quoi je pensais exactement, à lui offrir ça pour un anniversaire ? Je grimace et balance le bouquin derrière moi, où il s'écrase dans un “flop” peu cérémonieux. Les autres livres comme lui subissent le même sort.

Au final, Le Mariage de la Princesse est introuvable. Mon long soupir de fatigue se change vite en sanglots. Je remarque qu'il reste un livre, au fond du meuble, comme s'il avait été caché. L'espoir renait, je me dis qu'il n'avait peut-être dissimulé par honte... mais je reconnais que la couverture n'est pas la bonne. La taille non plus, c'est trop petit.
Et puis... ça a plus l'air d'un carnet que d'un roman. Une idée me traverse l'esprit et je me dépêche de l'ouvrir et de me jeter sur la première page. Une date.

20 septembre 1966


Je claque fermement le livre, détournant le regard. Je ne peux décemment pas lire un journal intime. Certainement pas celui de mon fils, même s'il n'est plus des nôtres. Que penserait-il s'il me voyait, depuis là-haut, en train de fouiller son intimité ?
Mais... la curiosité est forte. Une curiosité morbide et un besoin de réponses à mes questions. J'ai des soupçons sur les raisons qui l'ont poussé à... mais ce ne sont que des soupçons. Il ne me confiait plus rien depuis des années, j'avais l'impression qu'on ne se comprenait plus... et puis... une part horrible et mesquine de moi a envie de prouver que Charles a une part de culpabilité. Je ne doute pas en avoir une aussi. Cette lecture dégoûtante va sûrement me mettre une claque, mais je suis prête à l'accepter.

20 septembre 1966


Mon nom est Oliver Dixon. Je suis né le 21 janvier 1950 à Doon. Je suis le dernier de quatre enfants. J'aime lire, chanter et cuisiner. Ma meilleure amie est Noisette, une Pachirisu. Je n'ai pas d'autres amis.


Il s'est arrêté là pour ce jour-ci. Je l'imagine pleurer en écrivant son point final. C'est déchirant, mais je suis presque rassurée de savoir que ses amis arriveront tôt ou tard.
Il mentionne les premiers jours des noms plus ou moins familiers.
Le nom de Camil apparaît. J'hésite un moment avant de me souvenir de cette histoire de vagabond... j'avais eu si peur de le perdre... d'apprendre qu'on l'avait retrouvé mort – ou peut-être pire – dans un coin reculé d'Eagal...
Au final, il était rentré en un seul morceau, et je m'étais inquiétée pour rien. Si j'avais su... j'aurais mieux fait de m'inquiéter de ce qu'il ressentait. C'est peut-être un peu tard, pour lire son journal...

Puis, vient le nom d'une inconnue. Une certaine Prudence, qui lui aurait conseillé d'écrire, et dont il a pris les conseils très à coeur. Elle avait l'air d'être une femme gentille et douce, qui lui avait conseillé de prier pour qu'Arkée lui vienne en aide et le rende “normal”. J'ai une vague idée de ce qu'il voulait dire par là, et ça se confirme par la suite.

Il a fait part de ses pensées intrusives, de ses rêves de princes charmants, et ses prières pour que les dits-rêves ne veuillent rien dire. Il a parlé des insultes qui en découlaient au lycée. Des insultes que je ne lui avais définitivement pas appris. “Pédé”, “tapette”, “salope”. Je savais qu'il était embêté au lycée, mais il n'était jamais entré dans les détails. Je comprends pourquoi assez vite.
Il pensait les mériter. Pour avoir regardé d'un peu trop près un garçon dans les vestiaires. Il s'est trahi à cet instant. Raconter cet évènement... raconter comment son cœur avait battu fort quand le garçon en question lui avait parlé – avant de le frapper, on aurait tout de suite tiré des... conclusions. Je ne sais pas comment j'aurais réagi, à l'époque. Charles se serait énervé. Charles l'aurait giflé. Il l'aurait peut-être insulté comme le faisaient ses camarades.

Je souffle pour calmer un peu la rage qui monte. Je remarque que je tiens le journal un peu trop fort dans mes mains. Lire l'écriture familière d'Oliver, si belle, si régulière, m’apaise autant qu'elle me fend le cœur. Je continue de lire, m'amusant presque du fait qu'il était encore en déni sur lui-même, malgré les faits. Il avait bien grandi depuis.

17 octobre


J'ai rencontré un camarade au lycée.


Je sais déjà qui c'est et je ne peux pas m'empêcher de sourire tendrement.

Il s'appelle Ilya, il vient de Strana. On doit faire un devoir ensemble sur son pays, alors je suppose que j'ai eu de la chance de tomber sur lui ? J'ai eu très peur de lui, au début. Il est grand il est intimidant, il a un regard glaçant et on dit des “choses” sur lui au lycée. On dit des “choses” sur moi aussi, alors je n'ai pas vraiment le droit de juger.

Mais Ilya est très gentil. On a discuté. Ce n'était pas facile : il ne parle presque pas notre langue et j'étais trop intimidé pour ne pas bégayer comme un fou. Mais je pense qu'il me comprend et je le comprend aussi. Il a vécu des choses horribles, bien pires que ce que je subis moi et je veux l'aider. Je pense qu'il a besoin d'un ami.
Il a dit qu'on était amis, justement, quand il est venu à la maison. Je ne sais pas ce qui m'a pris mais je l'ai pris dans mes bras, juste une seconde, j'étais juste sous le choc... heureusement que maman ne m'a pas vu faire...


Je ris presque en lisant ça. Ça avait commencé si tôt que ça ? C'était attendrissant. Les pages suivantes parlent presque exclusivement d'Ilya. Je me demande s'il s'en rendait compte. Certes, il a été son seul ami pendant un moment, mais à en lire son journal, il occupait toutes ses pensées...

Ses amis arrivent, les uns après les autres. Finn, Lily, Teagan, Genya. Je le sens de plus en plus jovial dans son écriture. Ce n'est pas toujours facile, mais je ne retrouve plus cette mélancolie qu'avait le point final de son tout premier paragraphe. Je le vois passer des bonnes journées avec ses copains et ses Pokémon, je le vois s'amuser et rire avec eux, je le vois tomber amoureux. Je le vois heureux. Je décide d'ignorer quelques pages, pour garder ces jours heureux rien qu'à lui. Quoi qui l'ait fait passer à l'acte, ça ne s'est pas passé à cette époque...

Je file aux dernières pages. Il n'a pas écrit pendant bien longtemps... je suppose qu'il n'en ressentait pas l'envie ou le besoin.

10 juin 1969


Une semaine avant...

Ollie !

La voix joyeuse de Maxwell manque de me faire avoir un infarctus. Je ne l'avais ni vu ni entendu grimper les escaliers. Je me rue pour l'attraper, de peur qu'il ne tombe en arrière. Il regarde autour de lui, constate que la chambre est vide.

Ollie ?
- Non, mon chéri, Ollie n'est pas là.


Il baisse les yeux, déçu.
Peu importe combien de fois je devrai le lui répéter, ça me fendra toujours autant le cœur. J'ai hâte qu'il puisse comprendre, et en même temps je n'arrive pas à lui expliquer. On lui a dit que son grand frère ne reviendrait plus jamais mais quel enfant de son âge comprend la notion de “jamais” ? Il le cherche encore, il demande où il est, demande quand il va rentrer...
Il me rappelle Vendredi 13... le pauvre chaton se laisse mourir de faim devant les grilles de l'école depuis des mois, il ne survit que grâce aux passants qui ont pitié de lui. Tout le monde connait son histoire. On en a même parlé dans les journaux et à la télévision. Je ne supporte pas qu'Oliver soit connu comme le gamin qui a brisé le cœur de son Pokémon, mais l'information ne m'appartient plus. C'est comme ça que le monde se souviendra de lui...

Mon fils lové dans mes bras, je retourne m'assoir sur le lit. Je lui caresse les cheveux, l'embrasse sur le front et chantonne pour qu'il ne m'entende pas trop pleurer. Il n'aime pas ça. Évidemment qu'il n'aime pas ça, je n'aurais pas aimé voir ma mère pleurer quand j'étais petite, moi non plus.
Une maman doit être forte, infaillible, rassurer quand on est malheureux. Mais qui rassure une mère malheureuse ? Je prends sur moi, mais le mal est déjà fait. J'ai explosé en sanglots devant lui plus d'une fois, et il m'a vite imitée. J'ai fini par devenir insensible à la phrase “Pourquoi maman est triste ?”, même si elle me noue toujours la gorge. Je n'ai pas su voir les signes que mon premier fils était malheureux, et je fais pleurer le second. Quelle horrible mère je fais...

Maman, tu peux lire l'histoire ? demande Maxwell en pointant le journal à mes côtés.
- Non, Maxie, ce n'est pas une belle histoire...
- Pourquoi ?
- Elle ne finit pas bien.
- Pourquoi ?


Je grimace, en me posant la même question. Pourquoi, hein ? Je suis à deux doigts de reprendre ma lecture, de la terminer, mais à quoi bon ? La fin, je la connais déjà, je sais qu'elle ne me plait pas. Dans un lourd soupir, je finis par avouer :

Je ne sais pas, Maxie, c'est comme ça...

Il boude mais ne dit rien d'autre. Il continue de me serrer fort dans ses petits bras et ferme les yeux pour profiter de ma chaleur. Bien vite, il s'endort. C'est qu'il n'a pas la vie facile, en ce moment. Je passe mon temps à me disputer avec son père ou à pleurer comme une madeleine. C'est trop pour un enfant aussi jeune. Il sera mieux chez ses grands-parents, et moi aussi.

Je le pose délicatement sur le matelas, le laissant rêver un peu pour finir mon rangement. Je dépose encore quelques livres et peluches dans le carton, avant de le refermer pour de bon. Voir la chambre à moitié vide est étrangement moins triste que je ne l'aurais cru. Ce n'est plus celle d'Ollie, c'est redevenu le vieux grenier de Charles Dixon, dans lequel traine un lit abandonné. Et alors que je m'en approche pour aller récupérer l'enfant endormi, mes yeux retrouvent le journal, encore ouvert sur la page maudite. Je dévisage le livre pendant un moment. J'hésite.

Je choisis de le jeter à la poubelle. Tant pis pour les souvenirs. Ce n'est pas comme ça que je veux me souvenir d'Ollie. Il a parlé de moments joyeux qui n'appartiennent qu'à lui, je chérirai les miens. Et ce pauvre Maxie... que penserait-il s'il tombait sur cet horrible carnet en grandissant ?
Non, je ne veux pas qu'il ait pour seule image de son grand frère celle d'un jeune homme malheureux qui a choisi de mettre fin à ses jours. Peut-être qu'il n'aura aucun souvenir de lui (c'est qu'il est si jeune, encore), ou peut-être qu'il se souviendra comme Oliver l'a pris dans ses bras, embrassé, chouchouté, comme ils ont joué ensemble et comme il lui a appris ses premiers mots.

C'est tout ce qui reste de lui : des souvenirs. Et j'en prendrai soin comme j'aurais dû prendre soin de lui.
@feat joueur Des petites notes ici
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