Lenore Fergusson

Histoire

C'est son secret coupable, caché sous le matelas de son lit, ce livre interdit qui a déchaîné les foules. Demain n'attend pas, le titre sur toutes les lèvres. Meredith Smith, un nom soudain devenu très populaire auprès de toute une génération. Il s'agit du seul pêché que Lenore n'osera jamais confesser, d'avoir laissé ces pensées s'infiltrer dans son esprit. En désaccord avec certaines revendications, certaines actions, convaincue que la violence ne résoudra rien. Seul le changement en douceur, par la parole habile et douce permettra une altération durable de la société. Pourtant, en dépit de ces désaccords, la jeune femme se retrouve dans ce mouvement qui défend les opprimés. Oui, il y a de nombreux préceptes archaïques qui gangrènent la société, elle-même le reconnait. Mais peut-être est-elle un peu trop utopiste, trop rêveuse dans sa façon de voir les choses. C'est que ses parents l'ont éduquée en tant que penseuse libre.

Enfant de Shamrock, fille d'enseignants, Lenore a grandi bercée d'amour, sans être enfermée dans le carcan d'idées anciennes. Son père était certes un homme dur, mais juste, qui aimait sincèrement sa famille. Athée cependant, c'est de sa mère que la petite a développé sa conviction envers Arkée. Sa mère fervente croyante lui a transmis cette foi du Créateur, tout en la laissant choisir sa propre interprétation de celle-ci. Elle ne voulait pas rendre sa fille captive des nombreux concepts moralisateurs de la religion. Des concepts que Lenore a apprit à analyser au fil du temps, lui amenant une grande réalisation : ce n'est pas le culte en soit qui est mauvais, ce sont certaines idées ancrées dans celui-ci. Des idées dépassées, qu'il serait temps de laisser derrière. Voilà le véritable fléau de l'Arkéisme.

Si elle était une enfant calme, et sans problèmes à la maison, l'école fut une autre histoire. On se rendit rapidement compte que la petite était différente de ses camarades, qu'elle avait du mal à s'intégrer parmi eux. Lenore préférait sa solitude bien tranquille aux jeux d'enfants. Son nombre d'amis très restreint inquiétant autant professeurs que parents, qui tentèrent au début de la pousser vers les autres, sans se rendre compte de faire plus de mal. Les camarades d'école n'appréciaient pas cette fille qu'ils n'arrivaient pas à comprendre. Cette fille maladroite parfois dans sa communication, avec des difficultés à trouver ses mots, ou bien son décalage flagrant. Elle était la seule à rire devant quelque chose de sérieux, ou au contraire ne percevait pas le second degré de blagues. Et puis, il y avait ses étranges obsessions pour les choses symétriques, pour un rangement particulier. Lenore pouvait piquer une crise parce qu'on s'était amusé à mettre le désordre dans son sac, ou parce qu'une étagère de la classe était mal rangée.

Toutes ces bizarreries déplaisaient aux autres enfants, et même les professeurs peinaient à suivre l'enfant. Sans compter sa scolarité catastrophique, par manque de concentration ou compréhension des consignes. Le harcèlement et les difficultés poussèrent finalement ses parents à la retirer de l'école, pour l'éduquer à la maison. Lenore apprit ainsi aux côtés de sa mère, à son rythme, de façon adaptée à ses soucis. Parfois son père prenait en main ses leçons, plus sévère que sa femme sur sa réussite. Tous deux souhaitaient le meilleur pour leur fille, l'encourageant à être ambitieuse. Ils ne lui voyaient aucune porte fermée, malgré son genre féminin, ils espérait la voir viser. Ce fut une déception que la petite ne manifeste jamais de réel intérêt à réfléchir à un métier.

Ce qu'elle préférait, c'était lire, et particulièrement étudier les textes religieux. A chaque fois qu'elle les parcourait, elle découvrait un peu plus ces concepts arriérés responsables, et c'est de cette réalisation que naquit un fol espoir : celui de changer les choses de l'intérieur. Ses rares amis avaient du mal à comprendre son obsession pour la foi, certains le lui reprochant même. Elle qui avait la chance d'avoir une famille ouverte, pourquoi tenait-elle à rester dans une conception aussi mauvaise ? La plupart souffraient de parents traditionnels étouffants, et rêvaient de briser leurs traditions. Aucun ne voyait que la religion n'était pas la source de tout ça, et ne tentaient même pas d'écouter Lenore le leur expliquer.

Lasse des jugements, dès sa majorité, la jeune fille partit rejoindre un couvent à BronswicK. Sans perdre contact avec ses parents cependant, qui avaient fini par accepter et soutenir son choix. Tant qu'elle était heureuse ainsi. La jeune religieuse échange régulièrement des lettres avec eux, mais les voit rarement. C'est une nouvelle famille qu'elle a trouvé là-bas, Lenore s'improvisant gardienne de ses sœurs, même les plus âgées. Trop bienveillante parfois, elle prend tellement soin de ses compagnes que certaines n'hésitent pas en profiter. Elle n'est pas dupe, mais elle ne tente pas changer la situation. Ce n'était pas très différent avec ses amis à Shamrock de toute façon, et la nonne a l'âme bien trop altruiste pour s'arrêter. Et puis, au moins, elles l'acceptent malgré ses différences, sans la juger. L'une de ses aînées l'inquiète particulièrement, il est évident que Prudence souffre plus qu'elle ne veut l'admettre. Ainsi Lenore s'est donné pour missions d'apaiser ses tourments, tout comme nombreuses autres sœurs l'ont prise comme confidente attitrée.

Mais Lenore n'est pas aussi sage qu'on ne pourrait le croire, il arrive qu'elle s'éclipse hors du couvent pour participer à des événements, des manifestations. Du moins, tant que celles-ci restent pacifiques. En dépit de son calme, la jeune femme peut défendre avec une ardeur surprenante ses convictions. Cette petite blondinette à tresse n'impressionne cependant pas grand-monde, au contraire c'est plutôt elle qu'on impressionne facilement. C'est un second pêché qu'elle cache, cette facilité avec laquelle ses joues rougissent devant les belles personnes, indépendamment de leur genre. Il est fréquent de voir ses prunelles bleus se baisser le temps de reprendre contenance, tout en pestant contre sa sensibilité.

Bénévole régulière à la SPP, il fallait bien qu'un jour ça arrive. Elle a craqué sur l'un des pensionnaires du refuge, un tout jeune voltoutou empli d'énergie. Un voltoutou peinant à trouver une maison à cause de son problème de contrôle, alors qu'il possédait plein d'amour à donner. Alors, comme avaient fait ses sœurs avec elle, Lenore a fait fi de la différence du chiot en lui offrant une famille. Quoi de mieux qu'un compagnon à fourrure pour l'aider à mettre de la joie dans le couvent ? La tête pleine de rêve, le cœur battant avec espoir, la blondinette se veut actrice des changements du monde, dans la douceur et la bienveillance. Naïve peut-être d'y croire autant, mais elle ne parvient pas à s'imaginer une modification des mœurs par la violence. C'est pourquoi, si son cœur appartient aux Galliens, elle ne manifeste pas ouvertement son soutien, laissant simplement quelques rumeurs planer au sein du couvent.