Hiro Kano

Histoire

Hirofumi est un garçon à l'avenir prometteur.
Du haut de ses quinze ans, il sait déjà ce qu'il veut faire dans la vie. Il est sociable, extraverti, charismatique, il aime les humains comme les Pokémon, ne ferait pas de mal à une mouche, il adore aider et rendre heureux son prochain. Certains diraient qu'il est un peu trop prétentieux, mais aussi naïf et qu'il souffre d'un complexe d'héroïsme, mais ces défauts ne feront-ils pas de lui un excellent ranger aussi ?

Il aime sa famille et sa famille l'aime. Il est le fils rêvé, après tout. Apparemment bon en tout, il collectionne les meilleures notes de la classe, autant dans les matières théoriques que sportives, il est malin, réfléchit vite, athlétique et pourtant, il reste dans le moule. Quand on ne le connait pas, on ne se douterait pas que tous ses proches le décrivent comme quelqu'un de fantastique. C'est un adolescent Hoennien ordinaire, pas plus grand qu'un autre : un mètre soixante-cinq, il atteindra peut-être le mètre soixante-dix à l'âge adulte. Ses cheveux noirs ne dénotent pas d'un autre, et son regard d'ambre, bien qu'éclatant, n'attire pas la curiosité comme les iris roses ou violets que possèdent les plus chanceux.

Pas que ça l'affecte, il ne se soucie pas vraiment de son apparence physique ou de ce qui va avec. À son âge, la plupart des adolescents sont obnubilés par le sexe opposé, mais il aime bien dire qu'il priorise sa carrière, oubliant parfois qu'il n'est qu'un lycéen. Il rate quelque chose, dit-on, d'autant qu'il est populaire, et pourrait facilement se dégoter une petite copine. "Quand je serai grand", aime-t-il plaisanter.

***

Le voilà âgé de dix-huit ans. Apprenti ranger tout juste diplômé, sa vie commence enfin (c'est ainsi qu'il voit les choses). Il est accompagné d'une petite Tiplouf (qui deviendra un jour un superbe Pingoléon), Yuki, sa partenaire et sa meilleure amie. Son attaque Écume ne paie peut-être pas de mine, mais quand elle sera capable d'éteindre des incendies d'un seul Hydrocanon, ils auront de quoi être fiers.

Ses premières missions sont des missions de routine qui n'ont rien des aventures épiques dont il rêvait enfant, mais c'est ce qui les rend encore plus belles. Compter le nombre de Balignon qui vivent dans le Bois Clémenti, remettre sur pattes un pauvre Elecsprint empoisonné... mine de rien, s'il n'y avait personne pour accomplir les plus petites tâches, le monde ne tournerait pas rond. Et puis, il sait que ses rêves de grandeur deviendront un jour réalité.

***

Ses rêves de grandeur sont devenus réalité et pourtant rien ne va plus.

Il n'avait obtenu sa carte de ranger que depuis deux ans, il avait une carrière exceptionnelle à portée de bras et il avait tout foutu en l'air.

Quand il était arrivé à Keros, il était plein d'enthousiasme : il était l'étoile montante des rangers d'Hoenn, celui qui aurait l'opportunité de voyager et d'être déployé à l'étranger. Un peu patriote sur les bords, il avait refusé Unys et son Unovan dream. Son père lui avait raconté assez d'horreur sur ce qu'ils avaient fait pendant la guerre. Et puis, pour lui, toutes les régions occidentales se ressemblaient, alors Keros, Galar ou Kalos, qu'est-ce que ça pouvait faire ? Au final, il s'y était plu.

Oui, on le regardait de travers, avec sa peau couleur miel, ses yeux bridés et son accent plutôt difficile à comprendre à ses débuts. Mais charmant comme il était, il était passé de "sale étranger" à "curiosité locale", le fameux ami de couleur qui permettait de se dédouaner d'être raciste. Ça ne lui déplaisait pas, il avait l'impression de rendre service aux siens en donnant une bonne image des Hoenniens.

Maintenant qu'il est comme, on raconte des choses moins belles sur lui. On invente des raisons pour son apparence. D'où viennent ces brûlures ? Pourquoi il traîne de la jambe en marchant ? Il pourrait facilement raconter, ça dissiperait bien des malentendus, mais il n'est pas prêt à en parler, pas de vive voix, et certainement pas en public alors qu'il sait pertinemment qu'il se mettra à pleurer. Il ne peut pas pleurer devant autrui.
Déjà, les hommes ne pleurent pas. Et puis, merde, il est Hiro ! Le Hiro dont le nom amuse les Kerosiens tant il convient à sa carrière, le même Hiirofumi qui attirait la jalousie de tous ses camarades de classe, celui qui rendait ses parents fiers. Il ne peut pas être faible, il ne peut certainement pas montrer qu'il est faible.

C'est le même rêve qui le réveille presque toutes les nuits, le même cauchemar dont il refuse de parler aux autres. La même forêt en feu, le même jeune homme plein de fougue et de zèle qui se précipite au milieu du brasier à la recherche d'un enfant qui s'y serait perdu. Le même ranger irréfléchi, qui a ignoré ses supérieurs quand ils lui ont dit de ne pas y aller en le menaçant de le sanctionner, mais qui se serait abstenu s'il avait su qu'un arbre à moitié dévoré par les flammes lui tomberait dessus, paralyserait l'une de ses jambes à vies et l'empêcherait de protéger son visage de la morsure du feu.

S'il avait su que son Pingoléon perdrait la vie en essayant de le secourir.

Le pire dans tout ça ? Le gamin était déjà sain et sauf.

Il se réveille de ce rêve, tout haletant, et il est seul. Il est seul dans son appartement miteux. Il n'a pas de travail, il n'a pas d'argent et il est paumé dans la vie. Il a pour seule compagnie un Békaglaçon recueilli à la SPP pour combler le vide laissé par Yuki, même s'il sait qu'il n'arrivera jamais à l'oublier. Milk - c'est son nom, n'a pas la force ou l'élégance qu'avait la Pingoléon, mais elle fait de son mieux. Elle est la seule capable de calmer la douleur quand ses cicatrices le brûlent encore. Sans elle, il se contorsionnerait juste comme un con à cause d'une douleur fantôme. Il ne la mérite pas mais il ne peut pas vivre sans elle.

Il sort rarement, mais quand il sort, on ne croirait pas qu'il passe ses journées à se morfondre et à pleurer dans son lit. Malgré la peau de son visage et de son torse à moitié détruite, malgré sa jambe folle, on dirait le même Hiro qu'avant son accident : jovial, bon voisin, il aime rendre service et les quelques enfants qui n'ont pas peur de son apparence (ceux-là lui fendent le coeur à chaque fois) l'aime beaucoup et l'invitent à jouer. Difficile de gagner un football avec une seule jambe, mais ils sont adorables ces gosses, ils le laissent gagner la moitié du temps.

Il a toujours ses amis du temps où il était ranger. Il a perdu contact avec certains, maintenant que le travail ne les lie plus, mais d'autres se sont plus dévoués que jamais, peut-être par amitié, peut-être par pitié, sûrement les deux et il ne devrait pas s'en plaindre. C'est juste cette fierté inhérente aux Hoenniens, il n'aime pas qu'on le plaigne.
Avec eux aussi, il reste le même Hiro pour qui tout va bien. Il est défiguré et handicapé mais il est heureux d'avoir survécu. Son Pokémon chéri est mort à cause de lui mais il est heureux avec son Békaglaçon. Il galère à trouver du travail mais il vit seul, alors sa pension d'ancien ranger lui suffit. Et ils y croient, les cons, ils y croient.

Évidemment que rien ne va ! Parfois, il a envie de s'énerver, de leur gueuler d'ouvrir les yeux et de deviner comme par magie qu'il ment. Il se refuse d'admettre que tout va mal, mais si quelqu'un le faisait à sa place... si quelqu'un pouvait prendre les décisions pour lui, le laisser fermer les yeux et l'aider à reprendre sa vie en main...
Mais il joue trop bien la comédie, alors l'aide miraculeuse n'arrive pas, il doit se démerder seul.

***

Hiro est un jeune homme sans avenir.
Sa seule ambition est littéralement partie en fumée et maintenant il n'a plus rien à faire dans la vie. Il a essayé de rebondir, pourtant, mais qui voudrait d'un éclopé ou d'un type qui fait peur aux enfants ? Un étranger, de surcroit. Oh, les employeurs ont de la peine pour lui, alors ils trouvent toujours une excuse (bien que certains se montrent incisifs sans retenue). En plus d'un an, il a collectionné les entretiens d'embauche mais n'a pas décroché un seul travail.
Mais les taxes s'accumulent et sa pension ne suffit plus. Pourtant, il vit de façon plutôt frugale, mange peu pour s'assurer d'avoir de quoi nourrir Milk, n'achète rien de neuf, fait de la récup' qui ferait rougir un ohanien. Il n'aime pas l'argent, ou plutôt, il n'aime pas s'en soucier. À l'époque où il était ranger, il n'avait pas eu à s'en soucier : c'est que risquer sa vie paye. Au bord du gouffre, il ne lui restait qu'une seule solution.

Il n'est pas fier, vraiment, il se déteste même de s'abaisser à ça, mais les seuls qui ont bien voulu d'un éclopé qui fait peur aux enfants, ce sont les Sealg. Eux se fichent bien de la tête qu'il a, tant qu'il peut se rendre utile. Et comme la vie est cruelle, il est bon à ça. Pas besoin de courir un marathon ou d'être Mister Keros pour falsifier des papiers, cacher des criminels ou faire du recel.
La seule joie qu'il lui reste dans cet horrible métier -si tant est qu'on peut le considérer comme tel, c'est de pouvoir s'occuper de Pokémon. Le braconnage ne le réjouit pas et le trafic d'espèces rares non plus, mais si des Pokémon doivent être gardés en captivités avant d'être revendus, il préfère qu'ils soient avec lui. Les pauvres bêtes restent rarement plus de quelques jours, mais il s'est attaché à chacune d'entre elles, leur a même donné des petits noms. Il soigne leurs blessures, les nourrit bien, les rassure quand ils pleurent le soir à coup de caresses.
Parfois, il les revoit aux côtés de dresseurs ravis qui n'ont aucune idée d'où sort leur nouveau compagnon et il sourit, en se disant qu'il a fait du bon boulot. Mais il arrive qu'il les revoie aux portes de la mort quand leurs maîtres les abandonnent après trop de combats clandestins. Alors, sa joie retombe et il se souvient comme cette organisation est pourrie jusqu'au trognon et que l'argent qu'il reçoit en échange de ses services est aussi sale que lui.

Hiro repense parfois à sa naïveté d'adolescent. Quand il pensait que le monde l'accueillait à bras ouvert et que tout lui était dû, quand il était persuadé que sa vie serait remplie de péripéties se finissant toujours bien, avec ses proches autour de lui pour le féliciter, qu'il aurait une happy ending, une retraite sereine avec sa petite famille après une vie bien remplie. En terme, il croyait innocemment être le héros de son histoire. Mais il n'est pas le héros.
Le héros n'a pas d'accident dramatique, le héros ne cause pas la mort de quelqu'un qu'il aime, le héros n'est pas contraint à rejoindre le pègre pour survivre. Le héros ne ment pas à ses parents, qui le croient encore ranger, à cause d'un sens de l'honneur mal placé. Il a fini par accepter qu'au mieux, il était un personnage secondaire, voire un visage au fond d'une foule, ou un caméo.

Mais la vérité il la connait. Il ne l'aime pas, mais elle est là.
Il n'est que le méchant de l'histoire.