Firenze Aaramis

Histoire

Tu n'as jamais été beau, Aramis.
Ton minois grognon, ta petite taille, ta carrure légère étaient aux antipodes des colosses que la plupart des demoiselles apprécient. Et d'un certain côté, ce n'est pas comme si cela t'importait.
Déjà tout petit, tu traînais dans la forêt comme un capumain farouche et sauvage. Tes parents avaient du mal à te sociabiliser - ou même à te retrouver quand ils t'appelaient pour le dîner. Tu revenais souvent, les vêtements déchirés, couvert de tâches de boue, des bleus et des égratignures parsemant ton petit corps. Tu te fichais de paraître présentable ou de te faire des amis. Tu observais les mimigals dans les arbres, tu étais fasciné par les insectes et les autres pokémons qui vivaient de la forêt - cette symbiose, douce et délicate, cet équilibre de la nature te semblait un idéal à atteindre.
Et puis, Ana a débarqué dans ta vie comme une attaque vitesse extrême.
Pleine de joie, de bonne humeur, elle était ta voisine et décida, du jour au lendemain, d'être ton amie.
Tu tentais tout pour la perdre dans la forêt, tu essayais de l'effrayer en posant des aspicots sur sa tête ou des chenipans dans son sac, tu l'envoyais paître, mais rien n'y faisait - jusqu'au jour où tu réalisas que tu traînais la patte pour ne pas la perdre de vue et que tu l'amenais dans tes petits coins secrets.
Vous étiez devenus amis, bien malgré toi.

Pixie courait devant vous, accompagnée du Luxio d'Ana.
Véritables ombres, vous sautiez de branches en branches, simiesques enfants déjà grands. Des Rangers avaient été remarqué près de l'orée du bois, et vous vouliez les voir. Toi, parce que tu savais que telle était ta voie et que tu voulais les voir à l'oeuvre.
Ana, parce qu'elle était déjà ton ombre, ta moitié, et que partout où l'un de vous se trouvait, l'autre n'était jamais loin.
Les costumes des Rangers semblaient détonner dans les brousailles.
Ils s'étaient entourés de pokémons qui aidaient à dégager les dégâts après une coulée de boue monumentale ; Ana hésita et, comme une seule entité, vos deux pokémons et vous sortirent des fourrés. Les mains dans tes poches, tu arborais ton air bougon habituel.
Tout d'abord réticents, les Rangers acceptèrent finalement votre aide quand ils comprirent que vous connaissiez le coin comme votre poche ; Ana conseillait habilement tandis que tu soufflais quelques stratégies pour utiliser les matériaux à votre portée de main. Vous ne remarquèrent pas les sourires amusés des adultes. Tu tapotas la tête de ta riolu qui, enthousiaste, sautillait autour d'un papillusion et d'un florizarre très occupés.
Tu t'approches et claques d'une langue agacée ; Pixie lève sa tête lupine et se joint à toi pour soulever des branchages dépouillés. Tu ne peux guère dire que votre aide pèse dans la balance, mais ce jour-là, vous vous êtes faits remarquer. Tu sens une onde de fierté quand les Rangers vous remercient et offrent une parole en votre faveur à vos parents. Ana rayonne littéralement et tu te moques d'elle, gentimment ; elle rougit et vous vous chamaillez, comme d'habitude, sous le regard affectueux de vos géniteurs.

La guerre n'a jamais été belle. Les raphsodes en font des mélodies engageantes sur la fierté et l'honneur, mais ce n'est que sang et mort. Mais le carmin des braves est répandu pour la patrie. Comme tu en veux au monde entier d'être trop jeune ! Ton père et ton frère aîné, partis au front, reviendront changés - mais la victoire au fusil, si l'on peut dire. Tu te promets de grandir, de devenir un véritable homme pour faire la fierté et l'honneur de ta famille, de ton clan, lorsque la prochaine guerre éclatera. Tu en es, dans ta naïveté d'enfant, à espérer un rebond des combats, mais Keros a prit son indépendance et une paix s'installe, broyant tes rêves d'adolescent.
Tu grandis, pas assez à ton goût, subissant les railleries d'Ana qui te dépasse de quelques centimètres. Ana, qui devient elle aussi une femme. Vous explorez, timidement, une amitié qui se tord en un amour naissant.

Dès vos seize ans, vous rejoignez les études pour devenir Rangers. Vous en avez, après tout, toujours rêvé.
Vous excellez. Vous avez vécu toute votre enfance dans les arbres de Eideann, vous êtes agiles, forts, souples - et votre coeur flamboie de faire vos preuves. Vous vous révélez non seulement de bons éléments mais capables d'indépendance et de stratégies inventives. Ana est plus sociable, plus douce, quand tu possède un don terre-à-terre, une vision globale et droite de la situation. Vous vous complétez d'une jolie façon, si différents et pourtant.

Sealg, le cauchemar.
Sealg aux lettres sanglantes.
Sealg, le crime en quelques souffles.
Tu te sens impuissant lorsque tu apprends, comme beaucoup d'autres, l'annihilation de la tribu d'Ekaïser. Les vols commis sont aussi repoussants, aussi écoeurants que leur violence. Tout en toi se hérisse et se cabre devant ces faits.
La brutalité même, commise par des humains, comme toi - voilà quelque chose que tu ne comprends pas, qui augmente un peu plus la fracture entre ta compréhension, ta symbiose du monde naturel pokémon et celui, trop complexe, trop alambiqué, trop artificiel des hommes.
Ana et toi participez aux diverses manoeuvres pour tenter d'en apprendre plus sur le groupuscule criminel.
Ombres parmi les ombres, vous vous faites espions en herbe, investigateurs.
C'est à cette époque là que tu prends contact avec la police, pour les aider dans leurs petites affaires - mais la politique elle-même ne semble guère poussée à agir, ce qui te révulse d'autant plus. Le doute s'insinue en toi comme une graine.

Ana mourra subitement de la main de ceux que vous vous étiez promis de combattre. Sealg, bien décidé à continuer son braconnage, et qui n'hésita pas à balayer ceux qui se mirent sur leur passage. Pixie te sauva la vie, te permettant de ne perdre qu'un oeil - et la femme de ta vie.
Le sang, chaud, éclaboussé sur les dalles et sur tes mains, et cette douleur, cet éclat de glace à la place de ton orbite gauche, qui n'était rien contre le vide, le froid que dégageait la main que tu tenais.
Le sourire figé en une grimace sur ce beau visage.
Vos projets qui s'engouffrent dans un puits sans fond.
L'avenir qui se brouille face à ton impuissance. Tu n'as pas su la protéger.
Tu n'as pas su être un homme, comme on l'attendait de toi.
Ana partie, il ne reste plus que toi - la pire partie de votre couple.
Elle était capable de faire naître en toi le meilleur, et sa mort te poussa dans tes retranchements.
Pixie fût celle qui, à nouveau, plus subtilement, te maintint en vie. Ce n'était pas aussi physique et brutal qu'avant - c'était plus sournois, cette envie d'en finir, cette peur du demain sans Ana avec toi, cette crainte de ne plus te suffir à toi-même. Elle ne t'avait rien laissé hormis la tristesse d'avoir perdu ton bonheur.
Des souvenirs dangereux par leur côté tranchant.
Ana n'était plus - et un morceau de toi avait disparu avec elle.

Mais il te fallait te résoudre à l'évidence : d'autres comptaient sur toi. Pixie. Tes parents. Ceux que tu aidaient. Les victimes de Sealg.
Sealg.
Ces quelques lettres gravées en toi, goût de vengeance, saveur de violence.  
Tu avais été élevé dans la fierté, l'indépendance, l'honneur et le devoir ; le deuil t'avait éloigné de ces valeurs mais elles restaient ancrées en toi et formaient le noyau dur de ton être, purement Astérien. Et pourtant - est-ce que le gouvernement n'avait pas un peu participé à la mort d'Ana, en restant inactif face au groupe criminel ? Les doutes s'insinuaient comme l'eau d'une tempête dans les fissures d'un arbre ; tu sentais toute ton âme craquelée par les indécisions et l'appréhension.

(uc)

(maniaque de la propreté, bon cuisinier, il gérait les tâches à la maison et Ana appréciait ça.)