Je n'aurais jamais dû venir. La rengaine hante mon esprit depuis mon arrivée. Avec le peu de jours de congés dont je dispose, j'aurais mieux fait d'explorer Pryderi ou la forêt Eagal, plutôt que de venir me perdre ici. Cela m'aurait évité un fastidieux trajet en train, ma petite troupe aurait été ravie de se défouler en pleine nature, et j'aurais eu l'occasion de me vider la tête loin des foules étouffantes de Bronswick.
Au lieu de cela, je me retrouve seule au pire endroit où l'être : le festival des amoureux.

Voir tous ces couples se balader mains dans la mains a le don de me donner le cafard. Je repense fatalement à Ivy, et une avalanche de questions me tombent dessus, auxquelles je n'ai vraiment aucune envie de trouver des réponses. Au moins n'est-ce plus le manque qui me torture ! Il faut le voir comme une victoire, un début de rémission. Peut-être mon exil à Keros fait-il vraiment effet, peut-être que je guérirais un jour ?
Mais tout de même, ce festival qui me nargue n'était pas une bonne idée.

S'il faisait un tout petit peu plus chaud, je serais sûrement aller piquer une tête pour chasser mes idées noires. Faire quelques brasses, pourquoi ne pas essayer de rallier la plus grande des îles, celle surmontée d'un vieux château en ruines ? En serais-je seulement capable ? Je n'ai jamais été très bonne à la nage. La même distance sur un fil ne constituerait pourtant pas une grande difficulté, en plus d'attirer des spectateurs. Je pense depuis un certains temps à me produire ainsi, en public et en plein air, sans pour autant oser sauter le pas. Même si j'arrive fort bien à le cacher, je chancelle encore trop souvent lors de mes représentations au Cabaret. Moins qu'avant, certes, mais le septième ciel semble toujours trop loin, dangereux, terrible. Et malgré la nouvelle présence de Sarah à mes côtés, la solitude continue à m'étreindre pendant les traversées, généralement au pire moment possible. Non, je ne suis pas encore prête, et je frissonne à l'idée de ne jamais plus l'être.

Octobre, qui trottine laborieusement derrière moi, couine pour que je l'attende. Fier et hautain comme il est, cette intervention doit lui coûter. J'ai eu beau lui proposer de monter sur mon épaule pour qu'il ne se fatigue pas, il s'entête à rester au sol, et surtout à ne rien recevoir d'autre chose de ma part que de la nourriture. Les raisons pour lesquelles il a décidé de rester avec moi après la soirée de Breith où il m'a attaqué sont encore floues à mes yeux, mais apparemment suffisantes pour qu'il ne me quitte plus d'une semelle et s'évertue à grogner sur tout autre pokémon m'approchant. Certains y verrait une jalousie attendrissante, mais j'ai à chaque fois la désagréable impression qu'il me considère d'avantage comme sa proie attitrée que comme sa maîtresse. En tout cas, sa nouvelle présence déplaît beaucoup à Echo, qui se courrouce dès que j'ai le malheur d'adresser un peu trop d'attention à l'écureuil, rendant l'ambiance à la maison électrique. Et évidemment, Sarah ne fait aucun effort pour arrondir les angles, s'excitant dès que les deux autres sont sur le point d'en venir aux mains. J'avais espéré  pouvoir profiter de cette après-midi seule avec Octobre pour remettre les points sur les « I » et nous trouver un terrain d'entente, mais il n'a pour l'instant pas l'air ouvert à la discussion, et, il faut bien l'avouer, moi non plus.

Lassée des stands de sucreries et de loterie, je me dirige vers les berges du Loch, où la fine plage de sable accueille une rangée de pédalo aux couleurs de Lackmécygne. Cela fait déjà plusieurs minutes que les hauts-parleurs s'égosillent pour prévenir les passants du départ imminent de la Grande Course des Couanetons, qui semble être l'attraction de cet après-midi. Des couples se pressent déjà devant, prêts à embarqués, et alors que je me poste à quelques mètres du stand d'inscription pour observer le départ, une voix impérieuse m'interpelle depuis l’intérieur.

« Vous n'auriez pas envie de participer, mademoiselle, dites-moi ? C'est triste de voir une aussi jolie fille que vous toute seule par un journée comme celle-ci ! Il ne nous reste plus qu'une place, je vous fais une ristourne. »

J'essaye de rester impassible sous la remarque, bien qu'une envie irrépressible de bâillonner la matrone m'étreigne. Qu'insinue-t-elle exactement ? Que je pourrais faire un effort pour cadrer avec le décor ? Emportée par la contrariété, je ne considère pas longtemps la proposition. Bien sûr que je vais participer ! Plus que cela, je vais lui prouver qu'on peut être venu en célibataire à la fête de l'Amour, et tout de même gagner sa foutue course ! Et puis le train retour ne part que dans quatre longues heures... autant m'occuper. Ce sera toujours mieux que d'errer comme une âme en peine au milieu de tout ce niais déballage de bonheur.

Renfrognée, j'inscris mon nom sur sa feuille et lui donne quelques pokédollars, en échange de quoi elle me tends mon ticket, où figure le numéro du pédalo. Elle me presse de le trouver rapidement, il ne reste plus que quelques minutes avant le départ... Agacée, je cherche mon embarcation, suivie de près par Octobre, qui fait de son mieux pour slalomer entre les chaussures des passant et éviter de se faire écraser la queue. Une fille attend déjà devant le pédalo : ma partenaire, à n'en pas douter. Bien plus petite que moi, de grands yeux rubis merveilleusement dessinées, blanche du bout de ses mèches à ses chaussures, contre lesquelles un petit Lixy se frotte pour réclamer des caresses.
Ce n'est pas sa faute, évidemment, mais sa ressemblance avec Ivy finit de couler mon moral pour de bon. La même peau d'albâtre, la même silhouette parfaite de statue en céramique, magnifique. Je me force à dresser la liste des différences pour ne pas me noyer au moment de la saluer, et à ne surtout pas imaginer à quoi nous devons ressembler l'une à côté de l'autre. Les badauds doivent trouver ce grand écart morphologique très amusant, et je me rappelle même que nous en jouions, Ivy et moi, pendant les représentations. Je sens comme un gros bloc de glace descendre dans mon estomac en l'abordant.

« Bonjour ! Je vois que c'est avec vous que je dois faire équipe... Tâchons de mettre la pâtée à tous ces amoureux ! »

Je force le sourire et l'enthousiasme, mais je n'en mène vraiment pas large. Arrivant derrière moi, Octobre commence à grogner en apercevant le petit Lixy, manifestement déterminé à ne pas me faciliter la tâche. C'est désormais une certitude qui m’étreint, je n'aurais jamais dû venir.

Clara se fichait bien des qu'en dira-t-on. Une femme, seule, au Festival des Lovdisc ? Elle devait être désespérée, folle, ou pire, homosexuelle. Toutes les filles de son âge venaient accompagnées de leur petit ami pour passer la journée la plus romantique de l'année. Et c'était bien dommage, car la brunette en connaissait des camarades de classe célibataires qui rêvaient de s'y rendre en solitaire pour pouvoir profiter des attractions. Elles n'osaient simplement pas se montrer non-accompagnées, et c'était compréhensible qu'elles craignent les regards de la vieille génération.
Si elle n'aimait pas vraiment savoir qu'on pensait du mal d'elle, l'étudiante se réjouissait au moins de pouvoir noyer son manque de confiance en elle dans l'ambiance festive. Elle aurait dû emmener ses petits frères, songeait-elle en voyant que le nombre de gamins était plus important que celui de l'année passée. Elle ne ferait pas cette erreur la prochaine fois.

Elle ne tarda pas à dépenser ses Pokédollars, vite alléchée par l'odeur de caramel des stands de Verpom d'amour. Elle savait qu'elle ne le finirait pas, qu'elle jetterait un fruit à peine entamé, trop écœurée par tout ce sucre, et elle s'en moquait bien. C'était une tradition, quelque part, comme les pull-over moches de Breith, portés un soir, jamais assumés sur les photos de famille. Pourtant, on ne pouvait pas s'en passer. Même histoire, mais pour de la nourriture.

Non loin de là, un homme criait dans un haut-parleur. Il tentait de rameuter un maximum de participants pour la course. Elle avait lieu chaque année mais Clara n'avait jamais osé y participer pour des raisons évidentes. Elle ne serait qu'un handicap pour son partenaire, après tout. Etait-ce l'adrénaline liée à une overdose de glucides ? Pour une fois, elle était motivée. C'est vrai, elle avait fait de grands progrès en rééducation, plus personne ne remarquait sa différence ! Elle se sentait même prête à pédaler, quitte à galérer et à perdre. C'était un défi personnel, à présent. Elle jeta son trognon dans une poubelle déjà débordante d'ordures pour filer s'inscrire.
Grand soulagement : les duos étaient tirés au hasard. Elle n'aurait pas à regretter de ne pas avoir trainé de mâle avec elle. On lui collerait un type inconnu, qu'elle espérait sympathique, dans son optimisme. Si elle avait le malheur de finir avec un sale con, elle s'amuserait au moins à le faire tourner en bourrique !

J'aime bien écrire dans mon carnet. C'est là que je marque tout ce qui est secret, et même ce qui l'est pas. Par exemple, aujourd'hui, c'est la saint valentin. C'est la journée des amoureux. Mais moi, je n'ai pas d'amoureux, parce que je suis trop jeune, et Papa, il ne veut pas, il dit qu'avoir un amoureux ça coûte des sous. Alors que déjà, on n'en a pas beaucoup. Mais Maman, c'est l'amoureuse de Papa, alors c'est vrai que ça doit en coûter parce que quand tu est amoureux, tu a une maison ensemble, et que tu dois manger tout les deux, et en plus y a les cadeaux. Parce que les amoureux, ils se font pleins de cadeaux, et pleins de bisous aussi. Mais je préfère largement les cadeaux.

Donc, Papa, c'est l'amoureux de ma maman, et comme la Saint-valentin, c'est la fête des amoureux, mamie Chausson, elle a voulu que papa, il offre quelque chose à maman. Alors Papa, il a pris un jour de congé. C'est très rare ! Et on est partie tout les trois en trains faire la fête des amoureux. J'aurais voulu rester avec Mamie, parce que j'ai pas d'amoureux, et que c'est pas drôle d'être toute seule. Mais Mamie, elle a pas voulu. Elle a même dit « Bon débarras ! » Quand on est parti.

La fête des amoureux, elle se passe très très loins de chez moi. C'est même plus loin que Bronswick qui est une grande ville ! Alors on a dormi dans le train, la nuit, et que j'ai même pas pris de douche ! C4est que en arrivant que Maman et Papa, il ont pris une chambre pour nous et que j'ai dû me laver, et mettre mes beaux habits. Maman, elle a voulu me peigner, mais je lui ai dit, « des clous » ! En plus, on est même pas Dimanche ! Et l'abbé, il est même pas là ! Je le sais, parce qu'un abbé ça a pas le droit d'avoir une amoureuse. Donc il peut pas venir. Mais moi, j'ai le droit !
Comme c'est loin de chez nous, la fête, il faut faire encore plus attention, à être propre sur soi, parce que les gens ils nous connaissent pas . Si tu n'est pas propre, ils vont se dire « Oh làlà, qu'est ce que c'est que cette famille, la pauvre fille, elle ne doit pas être heureuse ! « , Alors que c'est même pas vrai, donc il faut faire très attention !

La fête des amoureux, c'est tout près d'un très grand lac, avec des oiseaux en Plastique dessus, et même qu'y a des gens qui sont dedans et qui pédalent pour avancer. Maman et Papa, ils ont voulu y faire un tour, mais c'est que pour deux personnes. Alors, moi, j'ai dit que Papa, Maman, ils devaient y aller ensemble, et que moi, je serais à côté ! Dans un autre. Comme ça. Maman et Papa, ils seront en amoureux. Normalement, j'aurais pas eu le droit, mais je sais me montrer convaincante quand je le veux, et puis même que j'ai Ollie avec moi, et que Ollie il est très rapide. J'aurais bien sorti Gaslie, Mais Galsie, il est un peu méchant avec les gens, c'est un fantôme comme ceux de la forêt. Y'a des gens qui lui ont fait du mal, alors il n'est pas content. Surtout que comme on est sur l'eau, il y a pas d'endroit pour se cacher du soleil, et les fantômes ça n'aime pas le soleil. Même Ollie, il c'était caché sous mon jupon, Il m'a fait des chatouilles.

Le pédalo, c'est un peu grand pour moi, alors j'ai dû m'asseoir au bout du bout su siège, et même qu'avec le gilet tout gonflé qui sert à ne pas couler, je ne pouvais pas bouger facilement. Mais sur le bord du bord du siège, j'ai pu toucher les pédales et pousser. Mais tout seule, le pédalo, ça n'avance pas. Maman, elle était à côté de moi a attendre, elle voulait voir si quelqu'un de gentils allait m'aider sinon, je serais forcés d'aller dans le même pédalo qu'eux, mais moi je suis une grande, et puis c'est pas rigolo pour les amoureux quand y'a des gens avec.

Fleur bleue, Allan ne l'avait jamais vraiment été. Il n'avait jamais songé à trouver un jour ce que l'on se plaisait à nommer ''le Grand Amour'', avec un beau A majuscule. Comme pour le reste de ses ambitions, Allan ne visait pas particulièrement le spectaculaire. Si certains aspiraient au couple parfait et à l'idylle éternelle, lui espérait simplement trouver une compagne en laquelle il trouverait une partenaire et qui trouverait en lui la même chose.
Ainsi, lorsqu'il s'était rendu au festival des amoureux, il s'y était rendu seul et sans objectif particulier. Sûrement avait-il considéré que les jeunes femmes qui s'y trouveraient seraient déjà toutes en couple et il n'avait pas la vocation de briser des ménages. C'était en réalité la simple curiosité – et un jour de repos – qui l'avaient poussé à rejoindre les rives du Lac de Nowih.

Loin de se montrer aigri par la présence d'amoureux bienheureux, Allan se retrouva lui même surpris de se sentir attendri par le spectacle de jeunes couples prometteurs. Peut être un peu envieux aussi. La solitude n'avait pas pour habitude de le hanter et même si parfois il pouvait sentir son poids, il savait faire avec.
Ce n'était pourtant pas ce qu'il ressentait en voyant les duos profiter des attractions autour de lui. C'était plutôt un étrange mélange de jalousie et d'espoir d'un jour lui aussi avoir une femme à son bras. Des enfants peut être aussi.

L'idée lui arracha un sourire incrédule. Il ne fallait pas mettre la charrue avant les Tauros, de ça, il se rendait bien compte. Alors il chassa ses rêves d'une vie à deux pour se concentrer sur l'instant présent.
Il était à l'origine venu par curiosité, certes, mais seul dans ce genre de festival, que pouvait-il bien faire ? Ce fut alors que son attention fut attiré par une activité en particulier : une course en pédalo.

Pour être honnête, l'idée en soit ne l'intéressait pas plus que ça, mais l'activité avait été clairement pensée pour les célibataires – donc pour lui, indirectement – et une récompense mystère était promise aux vainqueurs. Et comme il n'avait rien de mieux à faire, il laissa sa curiosité et sa compétitivité l'emporter.
Son inscription bouclée, on lui attribué un binôme et un pédalo peint aux couleurs de Lackmécygne. Allan n'était pas certain d'apprécier l'esthétique de l'appareil mais il s'y résigna. Après tout, il avait lâché quelques pièces pour participer, il n'allait pas déjà se plaindre que le pédalo n'était pas assez bien pour lui.

Et puis, il avait autre chose pour détourner son attention : sa partenaire. Comme il pouvait s'y attendre – quelle surprise – il ne la connaissait pas. Elle n'était pas très grande et semblait plus jeune que lui. Une étudiante ? Il espérait qu'elle ne soit pas beaucoup plus jeune que lui mais ne lui posa pas la question directement, conscient qu'une conversation civile commençait d'abord et avant tout par une présentation.
Ainsi, ses lèvres s’étirèrent en un léger sourire et il leva une main pour attirer l'attention de la demoiselle :

« Hé ! » conscient qu'il pouvait parfois se montrer intimidant lorsqu'il retrouvait son expression habituelle et désireux de tout de même faire bonne impression, il s'appliqua à se montrer sympathique et tendit sa main précédemment levée vers la jeune femme. « Je suis Allan et je crois que nous sommes dans la même équipe. Faisons de notre mieux ! »

Et par mieux, il entendait tout de même un peu gagner.

Peut-être Lumière avait-elle trop d'espoirs en ce qui concernait le Festival des Lovdisc. Elle s'y était rendue sans amoureux, que faire d'autre, elle qui n'avait pas encore trouvé l'amour ? Bien qu'elle se serait ardument défendue à ce sujet, une partie d'elle-même espérait secrètement trouver l'âme-sœur dans cette fête foraine glorifiée. Si elle risquait d'être déçue, l'ambiance festive n'était pas pour lui déplaire, au moins. Les stands de jeux lui faisaient de l’œil. La pêche aux Lovdisc attirait plutôt les enfants et le tir au Canarticho les garçons adolescents... pourtant, les deux la faisaient rêver. Lorsqu'elle voyait les superbes peluches géantes offertes aux grands gagnants, elle était prête à défier quiconque la jugerait trop vieille pour ces enfantillages.

L'un des rares jeux réservés aux plus grands était la course des Couanetons. Il y avait bien quelques enfants, sûrement car leurs parents préféraient les savoir à bord d'un bateau qu'en train de courir dans tous les sens pendant qu'eux même participaient. En tout cas, la blonde ne fut pas regardée de travers lorsqu'elle décida de s'inscrire, bien qu'ayant reçu quelques regards en coin de messieurs un peu trop âgés à son goût. Si seulement elle pouvait rencontrer un prince charmant de son âge !
Elle se dirigea vers le canot n°4. Il n'était guère différent de tous les Lakmécygne factices, si ce n'était un collier bleu clair pour le différencier de ses pairs. Lorsqu'elle leva les yeux de son ticket, ils rencontrèrent ceux d'une enfant. Dix, ans, pas plus. C'était la limite d'âge, lui semblait-il, alors pourquoi était-elle tombée sur une gamine pas plus haute que trois Verpom ? Elle ravala un soupir de déception. Au fond, la petite fille n'avait rien fait de mal. Elle pourrait simplement faire une croix sur la victoire... et le prince charmant.

Bonjour, toi ! On dirait que tu vas être ma coéquipière, alors je compte sur toi pour montrer au grands que c'est pas la taille qui compte !

En effet, la Galarienne n'était pas bien grande non plus. Elle se reconnaissait un peu plus dans sa coéquipière une fois ce fait accepté. Les parents de cette dernière, rassurés de voir la chair de leur chair entre de bonnes mains, s'en allèrent vers leur propre embarcation. La petite brune cherchait déjà à s'assoir correctement pour pouvoir atteindre les pédales. Elle peinait, mais faisait de son mieux. Rien que pour cela, Lumière ne pouvait pas s'avouer vaincue. Cette gamine méritait tout son optimisme !

Une interjection attira l'attention de Clara tandis qu'elle essayait de prendre place dans l'embarcation, non sans peine, plutôt satisfaite une fois confortablement installée. Elle leva les yeux, vers la source de la voix masculine qui l'avait appelée. C'était un jeune homme, manifestement plus âgé qu'elle mais pas de beaucoup, sûrement une fin de vingtaine. Il n'avait pas l'air d'être le genre d'énergumène machiste et/ou pervers qu'elle avait craint de retrouver comme coéquipier. Au contraire, un sourire timide trahissait son envie de faire bonne impression. Et puis, il était plutôt bel homme, songeait la brune, à peine honteuse d'avoir reluqué son visage et ses épaules carrées.

Enchantée, Allan, moi c'est Clara. J'espère que tu es motivé, on a de la concurrence à écraser, avança-t-elle, un sourire narquois sur le visage, tout en désignant les autre duos avec son pouce, comme une auto-stoppeuse sournoise.

Son esprit de compétition s'était réveillé. Elle avait toujours eu cette sale tendance à vouloir faire mieux que les autres, cachant tant bien que mal sa fierté lorsqu'elle sortait d'un semestre dans le top de meilleurs étudiants. Le genre de zélée qu'on a envie de gifler quand on a raté son examen, quoi. Un peu consciente de ce défaut, elle blâmait sa défunte mère pour lui avoir transmis trop d'ambition à la naissance. Au fond, elle était sûre que si elle l'observait depuis le Ciel, elle aurait été fière de voir sa fille déterminée à gagner une bête course de pédalo rien que pour prouver qu'elle n'avait pas besoin d'une deuxième jambe.

Le coup de feu d'un pistolet à blanc retentit quelques instants après qu'Allan soit installé à son tour, faisant sursauter tous les concurrents, Clara la première. Son coeur commença à battre à cent à l'heure, ordonnant à ses quadriceps de se contracter comme jamais. Il était trop tôt pour que l'un des bateaux ne prenne la tête, mais la demoiselle était au moins satisfaite de ne pas avoir raté son départ.

Moi, j’aime bien écrire, parce que ça aide à se souvenir, et il y a plein de choses que je veux pas oublier de dedans mon cœur. Lancelot, le remplaçant, dit que pour se souvenir, il faut répéter. Et qu'écrire ça aide, parce qu'en écrivant et en lisant après , tu répètes l’histoire une nouvelle fois. Alors moi, j’écris beaucoup. Et puis maman, elle dit toujours, “Même les histoires les plus simples sont importantes”. Alors, moi, j’écris tout ! La preuve, c’est que lorsqu’avec Maman et Papa, on est allé au lac faire la fête des amoureux, maman, elle a attendu avec moi pour que je sois pas toute seule. Et y a une dame, avec des longs cheveux blonds qui a bien voulu faire du bateau avec moi. Elle a des looong cheveux blond comme les blés, comme Suzy, et des beaux vêtements aussi, comme Suzy ! Alors j’ai espéré qu’elle soit une bonne copine, comme Suzy, parce que Suzy et moi, on fait beaucoup de bêtises ensemble, et on rigole aussi. Même si Madame Doucat, elle dit qu'on est des petites sottes.
Quand Maman a vu que c’était une dame, elle m’a fait un bisou, et elle est partie rejoindre papa. Mais maintenant, c’est important ce que je vais écrire ! Parce que le bateau c’est pas n'importe quoi, c’est du sérieux. En plus, on devait faire une course. Et la dame, avait l’air bien décidé !

Elle a même dit que c’était pas parce que j’étais petite que j’étais moins forte que les grands ! Et ça, c’est vrai ! Parce qu’en plus, elle pédalait fort ! On a filé sur l’eau très vite, que moi, je pédalais aussi fort, et que quand tu pédales, t’a les cuisses qui sont toutes chaudes, et tu as le souffle court, parce que tu respires beaucoup. Et puis j’ai bien aimé, parce que même si tu as chaud partout, l’eau autour éclabousse et tu es un peu mouillée, donc tu as moins froid. J’aurais bien voulu mettre ma main dans l’eau, mais Maman, elle avait dit que je pouvais pas ! Et puis on avait bien de l’avance devant les autres ! J’ai pu faire un coucou à ma maman et à mon papa, que je les ai montrés à la dame. Et puis, même que je voyais maman faire les gros yeux parce que j’avais ma blouse un peu mouillé, et que j’avais les jambes tout écarté sur les pédales, mais c’était plus facile pour avancer. Mais maman, elle dit que ça fait sauvage, et que c’est par l'attitude d’une jeune fille. Mais moi, je dis des clous !

Et puis même que j’ai demandé à la dame, si c’était grave si je remontais un peu mon jupon, pour mieux pédaler ? Et comme ça, Ollie,, il pouvait voir un peu dehors ! Il était caché à l’ombre de dessous mon jupon ! Il avait juste ses deux yeux tout brillant qui regardait la dame, avec sa branche derrière ma jambe. Ollie, c’est mon copain, il est toujours avec moi ! Tout le temps ! Alors quand on a repris notre souffle, je l’ai montré à la dame, mais chut, c’était un secret, parce qu’Ollie, il était caché !