C'était les rayons brûlants du soleil qui, aujourd'hui, avaient contraint Ark à se refugier à la SPP : un endroit où il ne s'était jamais rendu auparavant, quand bien même la disposition du bâtiment lui était familière. Il sondait le visage de la personne à l'accueil, soulagé de n'y lire rien d'autre qu'une vague inquiétude : il savait qu'il ne devait pas avoir fière allure, en dépit de son sourire cordial. Le jeune homme pensait bien tourner de l'oeil quelques instants plus tôt, ses jambes supportaient son poids tant bien que mal mais sa principale inquiétude, c'était d'avoir à s'expliquer si elle l'avait reconnu. Puisque ce n'était pas le cas, il se contenta d'accepter gracieusement l'opportunité offerte de s'asseoir dans un coin avec un verre d'eau fraiche.

Ark ne se souvient pas de la façon dont il a fini dans cette situation : par ailleurs, ce n'est qu'en s'inquiétant de croiser quelqu'un qu'Elliot connaîtrait qu'il réalisait qu'il n'était pas ce dernier. La frontière entre leur conscience partagée était fine et il savait mieux que de se triturer l'esprit à essayer de comprendre pourquoi il se retrouvait là, seul : le "véritable" propriétaire de ce corps reviendrait bien en temps voulu alors il n'avait qu'à attendre. De toute manière, maintenant qu'il était installé et l'urgence de trouver un abri n'endiguait plus la vague de fatigue lui retombant dessus, il n'avait pas la foi de bouger avant un moment et se contentait d'observer d'un oeil distrait les Pokémon à travers la vitre du centre.  

Eux aussi semblaient assommé par la chaleur : les types plante et feu profitaient d'un bon bain de soleil, tandis que les autres somnolaient à l'ombre. Ils n'étaient pas beaucoup par rapport à d'habitude, alors les plus sensibles à la chaleur avaient dû être déplacé hors de la cour, au frais entre quatre murs. Peut-être qu'Elliot avait voulu faire profiter Sunny et Simoun du beau temps ? Ark avait les Pokéball sur soi -après tout, c'était une des premières choses qu'il vérifiait- alors la théorie tenait la route. Lorsqu'il s'agissait de s'occuper d'autrui, Elliot avait tendance à s'oublier quand bien même il était quelqu'un de fragile. Son endurance laisse à désirer et il en faut peu pour l'incapacité. Il n'avait même pas eu le bon sens de prendre de quoi s'hydrater...

Clignant des yeux, Ark remarqua qu'un Bulbizarre à la vitre retournait son regard. Etant perdu dans ses pensées, il n'avait pas eu l'intention de le dévisager et reprit son sourire habituel, afin de ne pas effrayer le Pokémon. La manoeuvre laissa ce dernier perplexe, posant ses pattes sur la vitre et poussant de petites exclamations avant qu'un employé ne l'attrape par derrière pour l'éloigner. Tout ça pour qu'il revienne et que le même cirque recommence une ou deux fois.  
 
" - Ah, ne faites pas attention" dit la personne de l'accueil (dont l'existence avait quelque peu échapper à Ark) "Ce Bulbizarre n'est pas méchant, elle est juste curieuse. Probablement juste inquiète pour vous ! "  
 
Ark tourna son regard vers la jeune femme, espérant qu'elle développe, mais la discussion s'arrêta là. Il ouvrit la bouche, la referma : même s'il désirait dire quelque chose, s'en savait capable, l'idée que cela puisse porter préjudice à Elliot et la crédibilité de son handicap l'en abstenait. Il serait vilain de garder un visage de Ponchiot battu lorsque cela ne ferait qu'inquiéter ce pauvre type plante d'avantages, en plus de laisser l'autre employé craindre que les visites intempestives de la bestiole rose ne l'ennuie. Ce qui n'était pas le cas, au contraire, mais il lui fallait du temps pour mettre de l'ordre dans ses pensées : l'introspection n'était pas son fort, du moins pas lorsqu'il s'agissait de savoir ce qu'il voulait.  
 
Car cette vie ne lui appartient pas, alors l'idée de vouloir l'amitié de quelque créature que ce soit était profondément injuste : autant pour Elliot et Lizzie, qui se verraient imposé ce choix, que pour celle qu'il ne côtoierait finalement pas tant de temps que ça. C'était encore en partant du principe qu'un Pokémon puisse comprendre leur condition, qu'ils ne voyaient pas leurs fragments de personnalités comme les changements d'humeur d'un seul maître. Ce n'était pas raisonnable d'attendre autant d'eux. Pourtant, il voulait arguer qu'avoir un Pokémon aussi empathique serait bénéfique pour Elliot, qu'un Pokémon de plus ou de moins fasse grande différence aux yeux de Lizzie... N'importe qui dirait qu'offrir une maison à l'animal serait une bonne action.

Mais Ark ne se voilait pas la face : il traitait un être vivant en outil et, si c'était pour le bien-être d'Ellie, c'était une entorse à la morale à laquelle il pouvait se résoudre. Après tout son ami était purement incapable de prendre soin de soi lorsque menacé par la culpabilité, il était le seul à pouvoir endosser ce poids sur la conscience. Alors sa décision était prise et, dès que le Bulbizarre revint à la charge -ignorant tout du conflit prenant place dans sa tête- il en profita pour faire signe à l'employé de le rejoindre à l'accueil. Sa carte de Ranger était un argument suffisant pour convaincre de le laisser adopter un Pokémon et, si l'homme était d'abord dubitatif en le voyant écrire sur une feuille de bloc-note, il sembla ravi qu'un de leur pensionnaire trouve foyer.

Maintenant, Ark devra trouver comment expliquer ce qu'il s'est passé à Elliot : d'expérience, il savait que ce dernier ne se souviendrait de rien -au point d'ignorer le fait même d'avoir oublier quelques heures de sa journée- et il avait tout intérêt à préserver cette ignorance. Il était loin de l'idéal que son ami se figurait, il ne possédait pas les ailes d'anges pour se hisser jusqu'au sommet du piédestal sur lequel il le plaçait. Lizzie n'avait pas tort de le mépriser, ils étaient tout deux aussi égoïstes. Mais, modèle de vertu ou non, il savait que ses décisions étaient les bonnes et là se trouvait leur principale différence. S'il ne pouvait être le Dieu qui saurait "sauver" Elliot, tout du moins pouvait t-il être celui décidant de ce qui était juste pour lui.