Histoire

Dans la grande maisonnée résonnent les pleurs d'un nouveau-né. Tout le monde s'émerveille et s'agite autour de la maman avec son poupon dans les bras. Une jolie petite fille qui rend fiers les parents, ainsi que les grands-parents, venus spécialement pour l'occasion. Cette histoire est bien belle, mais il y a une part plus triste quelque part dans une autre pièce de la maison. Une autre femme a donné naissance il y a quelques jours, tout comme la maîtresse des lieux. Sauf qu'elle, personne ne s'en soucie, personne ne la félicite pour l'arrivée d'une nouvelle vie - hormis le père, aussi heureux que sa femme de l'événement. Ce couple là travaille pour la famille possédant ce manoir à Duill. Ils sont les petites mains discrètes mais indispensable à la vie des lieux, les domestiques qui s'assurent que tout est propre, qui s'occupent des invités ou de la cuisine. Des kalosiens venus à Keros pour trouver un job chez les riches, en espérant que ça leur apporterait beaucoup. Malheureusement la réalité est autre, puisque la paie est minable en comparaison du travail effectué. De l'exploitation, ni plus, ni moins, ce qui ne semble pas empêcher les richous de dormir sur leurs deux oreilles.

Avec la naissance de leur petite fille, le couple a bien tenté de démissionner. Ce qui n'a pas plu aux employeurs, qui savaient probablement qu'ils auraient du mal à retrouver des employés aussi efficaces. Résultat ? Ils ont menacé de s'en prendre à la gamine si ils osaient quitter leur poste. Forcément les nouveaux parents n'ont pas pris risque, pas plus qu'ils n'ont tenté de porter plainte, on leur aurait ri au nez. Donc ils ont continué à se tuer à la tâche pour cette famille, tout en s'occupant au mieux de leur enfant. La pauvre petite était trimballée sur le dos de sa mère pendant qu'elle faisait le ménage, apprenant vite qu'il valait mieux ne pas pleurer. Sinon les propriétaires s'énervaient et la frappaient, ou criaient. Miel devint une petite fille silencieuse et effacée, mais pleine de joie de vivre. Au moins ses parents faisaient tout pour elle, dès qu'ils avaient un congé, ils l'emmenaient faire un tour dehors pour nourrir les oiseaux par exemple. Les anniversaires étaient toujours en retard, pas très grandioses, néanmoins il y avait un cadeau à chaque fois. Une peluche, un vêtement ou un jouet, souvent de la seconde main, pas forcément en excellent état.

En grandissant, Miel compris qu'elle ne devait surtout pas attirer l'attention, être aussi discrète que possible. Tout comme ses parents. Si la famille la remarquait, c'était le risque d'une crise de colère de leur part. Un jour où ils étaient absents, la petite en profita pour sortir dans le jardin se promener. Elle fut choquée de découvrir là-bas une petite fille de son âge, aux cheveux noirs et bouclés. Son cri de surprise fit  tourner la tête à l'autre enfant, tandis que Miel était paralysée. C'était la fille des propriétaires ! Certaine de recevoir une grosse engueulade, elle fut très étonnée que la gamine lui propose de jouer ensemble. Loin d'être comme ses parents, Esther ne voyait pas pourquoi repousser cette amie de son âge. Leurs jeux toutes les deux, ça devint leur petit secret, inconnu des adultes. Les filles se retrouvaient dans le jardin lorsque le reste de la famille était absente, et qu'il n'y avait que les domestiques pour surveiller la maison. Elles s'amusaient bien, et heureusement personne ne découvrit jamais ça.

La gamine avait presque huit ans, le jour où ses parents disparurent de la circulation. Dans des circonstances obscures, et elle soupçonne très fortement les employeurs d'y être pour quelque chose. En guise d'acte de bonne foi, la famille Klein décida d'officiellement "l'adopter", une histoire comme quoi leur propre fille avait besoin de compagnie. Loin de traiter la gamine comme la leur, elle dormait dans la cave sur le sol, était vêtue de haillons (sauf devant du monde), et effectuait toutes les éreintantes tâches du manoir. Seule. Forcément, ça leur coûtait moins que de payer des domestiques, donc ils n'en reprirent pas d'autres. Miel était moralement maltraitée, rabaissée, ce qui fragilisa son mental et la rendit sujette à l'angoisse. Des traces de cette maltraitance sont encore visibles dans son comportement d'aujourd'hui, avec un gros manque de confiance en elle.

Mais elle avait la chance d'avoir une amie au sein de ce manoir. Dès que ses parents n'étaient pas là, Esther l'aidait dans son travail, quitte à se salir ou ne pas réviser ses leçons. Elle s'en voulait que sa "sœur" soit traitée ainsi, et refusait de rester les bras croisés. Malgré sa détermination, elle restait une gamine, incapable de s'opposer pour l'instant aux adultes. Les années s'écoulèrent en continuant dans cette situation. La jeune Miel ne tenait que grâce au soutien de son unique alliée et amie, avec qui elle était toujours rayonnante. Puis, un jour, une opportunité inattendue se présenta. Un ranger était de passage à Duill pour une mission. Un jeune ranger, qui avait l'air sérieux, et gentil. Esther tenta le tout pour le tout, entraînant Miel hors de la maison, en ignorant les cris de ses parents furieux. Forcément, les cris alertèrent le ranger, qui voyait deux gamines courir vers lui poursuivies par des adultes. Cela créa un quiproquo, mais aussi une chance pour les enfants de s'expliquer.

Sans hésitation, devant une Miel ébahie, Esther déballa toute l'histoire, comment son amie était maltraitée, exploitée, tout ça parce que ses parents avaient disparus à cause des Klein. Bien sûr les parents nièrent tout. Sauf qu'au lieu de les écouter, de croire les adultes, le ranger décida de croire les enfants. Il organisa une enquête au manoir, et sur la famille, qui révéla une sombre vérité. Les propriétaires avaient en effet fait disparaître les parents de la petite, dans le but de la récupérer pour avoir une employée gratuite. Et sûrement de la marier pour du profit plus tard. Leur coup monté mis en lumière, ce fut la case prison pour eux. Quand aux deux amies, elles demandèrent à ne pas être séparées, trop proches pour s'en sortir l'une sans l'autre. On leur trouva donc une place dans un orphelinat de Bronswick, en précisant bien qu'elles n'accepteraient d'être adoptées qu'ensembles.

Bon, ça n'a jusque là attiré personne d'en avoir deux pour le prix d'une. Séparées, elles auraient sûrement trouvé, mais pas en duo. Ce n'est pas grave, elles vivent correctement à l'orphelinat, et ça leur suffit. Esther défend son amie de ceux qui l'embêtent, tandis que Miel met la joie de vivre autour d'elle. La blondinette aux yeux bleus est un peu maladroite, un peu chaotique sur les bords, pas méchante cependant, juste d'une franchise brute. Elle aime faire des bêtises, comme toute ado de son âge après tout. Plus que tout, elle admire les rangers, et aspire à devenir comme celui qui l'a sauvée. C'est pourquoi, dès son seizième anniversaire, elle a demandé à rejoindre leurs rangs en tant qu'apprentie. L'école, de toute façon, très peu pour elle, surtout qu'elle a trop de retard à rattraper.