Fleur de Miaulet

Histoire

Elle a de la chance, Fleur.

Déjà parce qu’elle naît dans une bonne famille, ensuite parce qu’elle a le nom de son père qui est moins drôle que celui de sa mère et dernièrement, d’autres parents auraient pu accepter que l’on mutile l’enfant qu’elle était.

Madame de Miaulet, anciennement Madame de Montbuisson, a eu deux fils avant d’avoir enfin sa précieuse petite fille. Petite fille ? Vaguement. Le sexe de l’enfant est ce qu’il est, difficilement celui d’un garçon mais pas très convaincant non plus pour celui d’une fille. « Peu importe » a dit Madame, elle sera ce qu’elle, la mère, voudra et ce qu’elle veut c’est une poupée après ses deux sauvageons de fils.

Il n’y a pas de complication, étrangement la nature est bien faite quand on n’y touche pas et Fleur grandit paisiblement. Elle fait une tête de plus que les autres enfants mais n’est-ce pas là signe qu’elle est en bonne santé ? La miss, si elle reste une parfaite petite poupée que l’on peut habiller avec des robes blanches à dentelle, reste une enfant qui suit ses frères dans les vignes de leur père pour jouer dans la boue et plonger dans les petits cours d’eaux alentours. Elle part joliment apprêtée, revient comme si elle avait fait la guerre et pourtant, Madame de Miaulet continue d’essayer.

Fleur a le droit à une éducation poussée, de la littérature à l'arithmétique, l'on attend d'elle qu'elle soit cultivée et bonne maîtresse de maison capable de gérer les comptes. Évidemment elle n'échappe pas aux cours ménagers qui lui sont d'un ennui presque mortel. La jeune fille préfère les activités hors champ scolaires. On la laisse pratiquer le tennis et l'équitation mais est-ce vraiment suffisant pour dépenser toute l'énergie qu'elle a ? Elle aspire à plus mais on lui fait jouer de la harpe à la place, comme si ça allait lui servir un jour à quelque chose.

Fleur elle se meurt de vivre, elle ne veut pas être une vitrine pour ses parents et pourtant c'est bien ainsi qu'on la traite, mettant en avant tout ce qu'ils font pour avoir une petite fille aussi bien sur elle alors que ses frères peuvent sortir au cinéma et fumer des cigares avec leurs amis, elle ne peut que sortir si chaperonnée. Ses seules amies sont celles issues de l'univers sportif mais elle apprécie tout particulièrement les cavalières car il y a un peu plus de mélange social. Moyennant travail, certaines issues d'un milieu moins aisé peuvent venir monter et Fleur se plaît à échanger avec elles. Elle admire tous les savoirs concrets dont ces femmes disposent, des choses qui servent, qui ont une utilité autre que de faire bien.

Elle se sent particulièrement ridicule à ses seize ans lors du bal des débutantes où elle est introduite à la haute société kalosienne au bras de son grand frère qui lui fait remarquer qu'on dirait qu'elle est déguisée comme lorsqu'elle était enfant. Ce jour-là, elle fait tout comme il faut, mécaniquement mais oh, elle ne pense qu'à se tâcher, marcher sur les pieds de ses cavaliers, se goinfrer de petits fours, ôter ses gants blancs pour se curer le nez, n'importe quoi pour être autre chose qu'une poupée.

Peu à peu, ses envies grandissent jusqu'au jour où c'en est trop.

C'est à l'aube de son vingt-et-unième anniversaire que la demoiselle a une prise de conscience. Sa mère ne peut pas lui cacher une "belle surprise", pour sa fête qu'ils feront le weekend suivant, elle sera promise au fils d'un ami de la famille ! Et même si ça fait péniblement sens, on l'y a toujours préparé, ce n'est pas ça qu'elle veut et elle ne peut visiblement pas attendre que ça change. Alors elle reprend en mains son destin, se munie de ses papiers d'identité, de son passeport, prépare ses sacs et l'argent qu'on lui offre à son anniversaire servira pour lui acheter un billet direction Keros. Un allé simple évidemment. Elle cache une lettre dans sa coiffeuse pour expliquer son geste, le plus simplement possible, se doutant tout de même qu'elle restera incomprise.

Si Fleur jette son dévolu sur Glenn ce n'est pas pour rien, l'on y trouve des élevages classiques aussi bien que le tout dernier en vogue. Éleveuse, voilà un métier qui lui plairait ! Elle ne veut pas vendre du beau, elle veut créer du robuste. De l'utile. Et comme la campagne est loin de la rebuter, elle qui s'y sent dans son élément, c'est tout gagnant. Puis elle y a un parent, certes cousin par alliance mais qui ne tente rien n'a rien et c'est valises sous le bras qu'elle toque chez le médecin de ville, toute confiante de son plan. Sauf que voilà, le de Costemore, s'il la reconnaît de son bal de débutantes, n'est pas convaincu. Pire encore, il menace de la renvoyer chez elle, estimant qu'une jeune femme n'a rien à faire chez un homme, peu importe si lien il y a. Alors elle supplie, argumente et, quand rien ne semble le faire bouger, menace d'aller chez le premier inconnu qui la recueillera.

Efficace.

Que dirait-on de lui s'il laissait une jeune fille noble aller habiter chez un paysan ? Qu'est-ce que ce dernier lui ferait ? Oh il ne veut pas que son nom soit mêlé à ça et elle l'a bien compris. Séraphin est un homme dont la réputation vaut tout et si elle veut entrer dans ses grâces, elle doit se faire la plus discrète possible malgré le bouillonnement qui la tiraille, l'envie d'être plus qu'une bonne femme que l'on voit comme une jolie chose dont il faut préserver l'intégrité.

Elle peut attendre encore un peu, le temps de lancer son affaire. Au moins ici, personne n'est là pour lui parler mariage et c'est bien assez pour la calmer.

C'est ce qu'on lui laisse penser.