S'il est une chose que Siam ne se serait jamais imaginé lui arrivant, c'est bien de se réveiller comme un clochard dans un caniveau plein de boue.

Le réveil est difficile. Il ne se souvient pas de comment il en est arrivé là mais une chose est sûre, malgré son mal de tête lancinant et se confusion, il n'a jamais bu de sa vie. Pas son genre, et puis bravo sa réputation si on apprenait qu'il buvait illégalement malgré son âge.

Une fois la confusion passée, c'est la peur qui s'installe. Il ne reconnait pas ces rues, bien plus rustiques que celles de Soyona - c'est dire. L'architecture en général n'a rien à voir avec celle de Shiku. On dirait un bled perdu quelque part à Kalos ou à Galar...

E-Est-ce que ç-ça va ?

Ou Keros. Cet accent est reconnaissable entre mille, bien qu'il a plus l'habitude de l'entendre venir d'un gros guerrier baraqué ou d'un Angoliath vert que d'une petite voix timide et bégayante.

En tout cas, la détresse doit se lire sur son visage pour qu'on soit venu le voir. Et puis... il reste un gamin seul dans une ruelle, couvert de boue. Il doit ressembler à un orphelin de roman victorien plus qu'à une star de la télé. Pas étonnant que l'inconnu ne le reconnaisse pas. Au moins, il s'estime heureux d'être tombé sur une personne qui parle une langue qu'il comprend.

J-je... je suis pas sûr... marmonne le jeune garçon, attrapant la main de cet étranger qui l'aide à se relever. Plutôt fragile et léger, d'ailleurs, il manque de les faire tous les deux tomber à la renverse.

Où est-ce qu-

Il s'interrompt brusquement lorsque ses yeux viennent rencontrer ceux de son interlocuteur. Il les reconnaitrait entre mille, bien qu'il ne l'ait jamais vu qu'en photo ou en vidéo. Il est aussi plus jeune. Beaucoup plus jeune. Il doit avoir son âge - ou à peine plus - et pourtant, c'est impossible. En 2023, c'est un vieux septuagénaire un peu enrobé. Rien à voir avec le blondinet devant lui.

Sentant le regard de Siam sur lui, le pauvre détourne ses yeux bleus et commence à trembler nerveusement. Il n'aime pas se sentir dévisagé et au vu de ce que le coordinateur sait du passé de son idole, rien d'étonnant. Il aimerait arrêter de le fixer ainsi, mais comment se faire au fait de vivre son rêve le plus fou ? Est-ce un vœu réalisé par un généreux Jirachi ? Une farce d'un Célébi espiègle ? À moins qu'il ne se soit fait renverser par un camion et qu'il ne soit actuellement au paradis.

Il ne s'attendait pas à ce que le paradis soit une ville minière du nord de Keros mais tant qu'Oliver est sous ses yeux... le vrai Oliver, pas l'autre croûton, Siam est un homme heureux.

S-s'il te p-p-plait, n-ne me r-r-reg-regarde p-pas c-comme ça... chouine le kerosien, qui a du mal à aligner un ordre.
- Oh... d-désolé... c'est juste... tu es si beau... murmure Siam avec les joues aussi roses que sa chevelure.

Mais le pauvre Oliver, lui, fait plus que de se teinter de rose. Son visage tourne au cramoisi. Il n'a pas vraiment l'habitude des compliments. Siam le sait. C'est peut-être un peu cruel d'utiliser contre lui ce qu'il a appris dans des interviews qu'il n'a pas encore menées, mais le voir gêné ainsi... ça vaut bien le karma négatif.

P-p-p-pardon ? J-je v-veux d-dire... d-désolé... m-m-merci ?

Siam ricane, bien que le jeune homme aux cheveux d'or n'ait pas l'air bien amusé. Il conclut sa phrase sans cohérence par un long soupir, sachant très bien qu'il n'arriverait pas à aligner trois mots dans cet état. Pourtant, il ne part pas, bien que ses genoux tremblant trahissent son envie de détaler. Car son inquiétude est sincère.
Siam n'est qu'un gamin perdu seul en ville, et il ne peut pas le laisser là. Parce que s'il avait été dans la même situation, il aurait voulu qu'on l'aide lui aussi.

T-tu... t-tu n-n'as v-vraiment p-pas b-besoin d'aide ? T-tu n'es pas d-d'ici, p-pas vrai ?

Que ce soit à cause de son accent unysien ou son apparence plutôt tape-à-l’œil qu'Oliver aurait définitivement déjà remarqué à Doon, il a Ô combien raison. Mais de là à lui dire la vérité ? Qu'il vient du futur et a débarqué dans le Keros des années soixante il-ne-sait-trop comment ? Il le prendrait pour un fou.

Nan, je viens de loin... mais je me rappelle de rien, un semi-mensonge. Ses souvenirs d'enfance, Penny, Jeff, Homura... tout est clair dans sa tête. Mais pour ce qui concerne son voyage... je sais pas vraiment où dormir ce soir...

Et que voilà les larmes de Crocrodil. C'est un réel talent de savoir se forcer à pleurer, un talent qui n'est pas assez reconnu, et qui peut avoir son utilité en dehors des plateaux de tournage. Celles de Siam sont terriblement crédibles, ça se voit bien à la façon dont Oliver panique et tente de le rassurer d'une main hésitante sur son épaule.

H-hé, n-ne t'inq-quiète p-p-pas... s-suis-m-moi. J-je c-c-connais un end-endroit où tu p-pourras rester.

Son sourire est mince et fragile, mais il rayonne. Du moins, c'est le cas du point de vue de Siam. Il continue d'admirer ce visage. Ces magnifiques yeux turquoise, qui lui font oublier les cernes de Pandarbare qui pendent en dessous, ces multiples taches de rousseur qui sont comme les étoiles d'une galaxie, et cet adorable petit espace entre ses dents qui le complexent à mort... s'il savait que dans quelques années, tous ses fans trouveraient ce petit "défaut" adorable...

C'est en constatant le malaise d'Oliver qu'il réalise qu'une fois de plus, il l'a fixé trop longtemps. Il s'excuse d'un petit rire et se met à le suivre, non sans placer sa main dans la sienne comme si c'était la plus naturelle des choses. Le kerosien sursaute, semble confus, mais n'ose pas rejeter Siam. Il ne fait que le guider, après tout... du moins, il se l'imagine.
Car intérieurement, Siam jubile. Ses émotions fusent dans tous les sens comme des feux d'artifice. Il a envie de serrer, serrer, serrer sa main pour ne faire plus qu'un avec celle d'Oliver. Il a envie de le prendre dans ses bras et de lui dire comme il a attendu si longtemps ce moment. Il se retient. De peu. Il ne veut pas briser ce rêve éveillé.

Lorsqu'Oliver s'arrête, c'est devant un immense château, qui aurait bien l'air hanté s'il n'y avait pas une multitude d'enfants jouant dans le jardin. Certains arrêtent leur jeu pour observer avec curiosité le nouveau venu. Siam se serait volontiers donné en spectacle pour faire une superbe première impression, mais le contact de la peau de son crush contre la sienne lui fait oublier tout ce qui l'entoure. Il ne reprend ses esprits qu'en entendant de nouveau la voix frêle du blondinet.

M-madame Ch-Charlotte, j-je... ce g-garçon a b-besoin d-de v-v-vous, j-je crois...

Devant lui, dans l'encadrure de la porte, se trouve une jeune femme aux cheveux d'ébène. Son expression rayonne de bonté, mais il est difficile de faire abstraction de l'énorme cicatrice qui couvre la moitié de son visage. Elle qui devait être si belle avant... Siam grimace à l'idée qu'une telle chose puisse lui arriver.

Oh, Arkée... entrez, entrez, vous me raconterez ça une fois bien au chaud.

***

"Madame Charlotte" est une femme adorable. Elle n'a pas hésité à lui offrir une tasse de thé - bue par politesse - une opportunité de se doucher et un set de change. Ses vêtements de riche lui manquent, mais à quoi bon porter des marques dont personne n'a encore entendu parler.
Et comble de la générosité, il a sa propre chambre avec son propre lit. Il se laisse porter par la douceur du matelas en plume de Couaneton, jusqu'à ce que trois timides coups résonnent sur sa porte.

S-Siam, je p-p-peux rentrer ?

Le jeune garçon se relève instantanément. C'est avec tout son savoir-vivre qu'il se retient de hurler, se contentant d'un 'oui' très simple et poli.
Oliver entre prudemment, fermant la porte sans faire le moindre bruit. Sa vue fait de nouveau palpiter le cœur de Siam. Sait-il seulement dans quel état il le met juste par le fait d'exister ?

J-je v-voulais v-v-voir si t-tout allait b-b-bien, v-voilà... explique-t-il nerveusement, t-tu es sûr q-que tu n-ne te rapp-ppelles de rien ? J-je m-m'inquiète...

Il est vrai qu'à voir l'état dans lequel il l'a trouvé, il y a de quoi se poser des questions. Malheureusement, Siam n'en a pas les réponses. Il est tout aussi perdu qu'Oliver, mais bien plus satisfait de la situation.

Je... il s'apprête à dire la vérité, mais une idée sournoise lui vient, je me rappelle un peu de ma famille... mais je sais que je préfère rester loin d'eux. Mon père... il me déteste. Je sais pas si c'est parce que je suis trop gringalet ou trop efféminé... sûrement juste parce que je suis gay, conclut-il en feignant un rire triste. Les cours d'improvisation ont leur intérêt.
- Oh... Siam... les yeux d'Oliver s'embuent, c'est horrible... j-je... j-je sais ex-exactement ce q-que tu r-ressens...

Siam sourit, non pas par compassion mais par satisfaction. Sentant que le moment est propice, il prend Oliver sans ses bras, simulant quelques sanglots qui lui valent de petites tapes dans le dos. Ah... il resterait bien comme ça une éternité, mais toutes les bonnes choses ont une fin... et sentent qu'Oliver est de plus en plus tendu, il recule, essuyant une larme inexistante.

Merci, Ollie, chuchote-t-il, s'amusant de la réaction du jeune homme à la mention de son surnom, je peux t'appeler Ollie, hein ?
- Ah ! B-bien sûr, t-tout le m-monde le f-fait, dit-il avec un adorable petit sourire. Un sourire qui a le don de faire fondre le coordinateur.
- Dis, Ollie ? demande Siam d'un ton timide, tu ne m'en voudras pas si je...

Attendant la fin de sa phrase, Ollie hoche la tête sur le côté. Mais la fin de sa phrase ne vient jamais. Et le blondinet n'a pas le temps ni la possibilité de poser la moindre question, puisque Siam est venu écraser ses lèvres contre les siennes. Il ne se débat pas, pas au début, pris par surprise, mais lorsque la réalité de ce qu'il vient de se passer le frappe enfin, il marmonne et tente de repousser l'adolescent. Oliver n'est pas bien musclé, mais Siam non plus.

Q-que... q-qu'est-ce que ?? demande un Oliver essoufflé et confus.
Un baiser, répond Siam avec un peu trop d'assurance pour quelqu'un qui vient de voler son premier, j'ai pas pu m'en empêcher, t'es trop beau pour ne pas te faire embrasser, désolé.

Oliver ne semble pas vraiment amusé. Il effleure ses lèvres de ses doigts, comme s'il essayait encore de comprendre ce qu'il venait de lui arriver. Siam, lui, ricane. Il est heureux, si heureux. Il en rêvait toutes les nuits depuis des années. Il rêve de bien plus, mais ce genre de choses attendront. Oliver est un timide, pas du genre à griller les étapes.

Siam... soupire le blond, j-je... j-je suis d-désolé... voyant l'interrogation sur le visage du garçon, il continue, j-je suis f-f-flatté, v-vraiment... m-mais... j-j'ai déjà un p-petit ami et...
- Quoi ? Siam se décompose. Oliver n'était-il pas censé avoir passé une enfance solitaire ?
- D-désolé ! supplie-t-il d'une voix plaintive, j-j'aurais voulu te p-présenter Ilya, m-mais-
- Ilya ?! Le borgne ?! Sérieusement ?
- Ou-oui le borgne ! répond Oliver avec indignation. Siam est pris de court. Il ne l'imaginait pas capable de s'énerver... d-désolé, m-mais j-j-je ne suis p-pas... ce genre de g-garçon.
- Oh Ollie ! Franchement ? Tu peux faire mieux que ça ! Tu t'es vu ? Tu es magnifique ! Lui ressemble à un pirate clochard ! S'il te plait, laisse-moi une chance ? Je suis bien mieux que-
- La ferme !

Se faire rabattre le caquet par un gringalet comme Oliver n'est pas vraiment une fierté. Ca l'est encore moins pour Siam, qui réalise à quel point il a merdé.

J-j-je me f-fous b-bien de sav-savoir q-qui est le p-plus b-beau ! J-j-j'aime Ilya. Il sera t-toujours b-beau à m-mes yeux. M-même s'il p-perd un oeil, un-une j-jambe, s-s'il se fait balafrer, j-je m'en fous ! Et c'est p-pas en l-l'insultant q-que tu m-me f-feras ch-changer d-d'avis !
- Ollie, je...
- B-bonne nuit. J-je n-n'ai rien d-d'autre à t-te dire.

Et il disparait en claquant la porte avec une force surprenante pour sa stature.
Cette fois, ce sont de réelles larmes qui coulent le long des joues de Siam. Le cœur brisé, il se laisse tomber sur son matelas si doux, s'emmitoufle dans sa couverture et sanglote contre son oreiller, le serrant fort contre lui comme s'il était l'être aimé qui venait de le rejeter.

Il avait son rêve à portée de main, et il a tout foutu en l'air.