J'espère que cette lettre, comme les précédentes, te parviendra. Cela fait si longtemps que je ne t'ai pas vu, plusieurs années, même. Aucun mot ne suffira pour te dire à quel point tu me manques.
Je t'ai dit et fait des choses que je regrette. Je ne t'ai pas offert l'amour inconditionnel que tu méritais et je m'en voudrai toujours. Mais j'aimerais pouvoir te présenter mes excuses en personne. J'aimerais que l'on puisse repartir à zéro et être la mère et le fils aimant que nous aurions dû être. Je te supplie de me donner une seconde chance.
Nous t'attendrons à Breith. La place d'Emil est la tienne, et Ilya est le bienvenu s'il le souhaite.
Mille baisers, Ta maman qui t'aime.
Oliver soupire. Il reçoit la même lettre tous les ans, à quelques mots près. Elle est toujours aussi douloureuse à lire : il a beau l'avoir ignorée pendant des années, ce n'est pas par joie ou par malice qu'il refuse de rentrer à Doon. Il a peur, et si la rancœur n'est pas un sentiment dont il est fier, celle qu'il ressent est aussi tenace que l'odeur d'un Moufflair.
Chaque année, la douleur se décuple. Celle d'être partagé entre ses traumatismes et son envie de renouer avec une mère qu'il aime toujours. Oui, elle lui a fait du mal. Non, elle n'a pas été là pour lui quand il en avait besoin. Mais il a toujours su qu'elle ne le négligeait pas par cruauté. Elle a mis trop d'années à réaliser le mal qu'elle lui a fait, voilà tout. Il semblerait qu'à présent, elle soit prête à accepter sa faute et se racheter, mais Oliver est-il capable de lui faire confiance ? Et puis, aller à la maison pour Breith c'est aussi devoir revoir son père. Il ne lui a pas adressé un seul mot depuis qu'il a quitté la ville minière, pour toujours selon lui. Il a beau savoir qu'il ne risque rien, que la moindre parole de travers serait immédiatement défendue par ses frère et sœurs - et peut-être sa mère, cet homme le terrifie toujours autant, même à plusieurs kilomètres de lui.
Ilya ? demande-t-il d'une petite voix, j-je p-peux te p-parler de q-q-quelque chose ?
Le voilà, malgré ses peurs et ses hésitations, devant la porte de la maison qui l'a vu grandir. Il n'y est pas entré depuis combien d'années déjà ? Il préfère ne pas y penser... À l'intérieur, il entend des voix joyeuses, le repas de Breith semble avoir déjà commencé. Toutes ces voix sont familières et pourtant, Oliver a l'impression de se jeter dans la cage aux Némélios et de courir un grave danger. Un dernier regard vers Ilya... lui aussi semble anxieux, mais il l'encourage d'un maigre mais tendre sourire.
Il souffle. Il peut le faire. Au pire du pire, il ne sera pas le bienvenu et saura qu'il faudra à tout jamais faire une croix sur ses parents.
À peine a-t-il frappé qu'une chaise dérape et des pieds galopent vers la porte d'entrée. C'est un enfant qui leur ouvre avec le plus grand sourire qu'il n'a jamais vu planté sur les lèvres. Vu son excitation, s'il n'attendait pas Monsieur Breith, c'est qu'il attendait depuis aussi longtemps que sa mère le retour de son grand frère.
Ollie ! Tonton Ilya ! Haha... j-joyeux B-breith, M-Maxie... rit doucement Oliver, dont l'anxiété semble s'être envolée à la vue de son cadet.
Maxwell finit par desserrer les bras autour de sa poitrine pour aller enlacer son "oncle". Le gamin est sûrement assez grand pour comprendre la relation entre son frère et son compagnon, mais il a pris l'habitude de l'appeler ainsi. Et ça n'a pas vraiment l'air de déplaire à Ilya, plutôt ému d'être bien accueilli par un membre de sa belle-famille.
Ollie ? C'est vraiment toi ?
La silhouette de sa mère apparait derrière Maxwell. Elle a l'air d'avoir tant vieilli depuis la dernière fois, bien plus qu'une femme ne vieillirait en dix ans. En silence, Oliver se maudit, se demandant s'il y est pour quelque chose. Est-ce que c'est lui qui lui a causé tant de stress ? Maxie est un garçon espiègle, mais pas un enfant à problème. S'il y a un coupable à ses cernes et ses rides, Oliver en est persuadé : c'est bien lui.
Oh, Ollie, Arkée soit loué, tu es venu !
Qu'il ait raison ou non, elle ne lui en veut clairement pas. Il peut le sentir à la façon dont sa voix s'est cassé, ou à l'ardeur avec laquelle elle l'a pris dans ses bras et serré fort comme s'il risquait de s'évaporer. Avait-elle vraiment tort, quand il avait tant hésité à rentrer ? Il n'ose pas lui répondre, sa voix se meurt dans sa gorge et de toute façon, il n'a pas les mots. Il se contente de lui rendre son étreinte, s'accrochant comme un bébé Kangourex à sa maman. Si loin d'ici, il avait oublié à quel point elle lui manquait.
Ne restez pas comme ça dans le froid, venez vous assoir ! Et toi Maxie, ne sois pas si impoli, aide ton grand-frère !
Sans se faire prier, il déleste Oliver des cadeaux qu'il tenait dans ses mains pour aller les poser presto sous le sapin avant de retourner s'assoir, complètement monté sur ressorts. Quant à sa mère, elle les libère de leurs lourds manteaux, avec sur les lèvres un sourire rêveur. Le blond ne sait pas s'il doit être heureux d'être si bien accueilli ou désolé de l'avoir fait attendre aussi longtemps.
Dans la salle à manger, Oliver et Ilya sont accueillis par un brouhaha joyeux. Cette année, la fratrie est au complet, avec leurs compagnons et leurs enfants. C'est une ambiance totalement différente du dernier Breith d'Oliver chez ses parents, où tout le monde ne portait attention qu'à bébé Maxwell et lui était contraint de s'occuper d'une grand-mère malade. Cette année, tout le monde sourit. Tout le monde... sauf son père. Il aurait pu s'en douter.
En croisant son regard, son cœur tombe dans ses entrailles. Il a toujours aussi peur de ce regard perçant, comme au premier jour. Il se souvient du coup qu'il a reçu, il peut presque le sentir encore, au point où, par réflexe, il se frotte la joue comme si elle était encore endolorie. ce n'est qu'après ce geste que Charles baisse enfin les yeux pour reprendre son repas, se contentant d'un sobre :
Joyeux Breith.
Il ne lui adresse pas un mot de plus de la soirée, et c'est sûrement une bonne chose. Quelque chose dit à Oliver qu'il n'a rien de gentil à lui dire de toute façon, et c'est réciproque. Et puis, vu le regard noir que lui a lancé Ilya, il n'a pas intérêt à dire quoi que ce soit. Ce n'est que pour le bonheur de son petit ami que le Stranaïte garde le silence. Il l'aurait probablement volontiers insulté, autrement.
Étrangement, Oliver se surprend à se détendre durant le dîner. Maman a beaucoup de questions. Elle a entendu parler de son fils dans des magazines de coordination, mais autrement, elle ne sait plus rien de lui. C'est avec joie qu'elle entend toutes ses nouvelles, même les plus futiles. Elle ne grimace même pas quand il mentionne sa relation avec Ilya. Elle n'avait jamais été le genre de mère à le mettre à la porte pour aimer les hommes, mais il se souvient bien de son malaise à l'époque. Il a l'impression de parler à quelqu'un d'autre. Non... il a l'impression de parler à son ancienne maman, celle dont il se souvient quand il était tout petit. Qui le regardait avec des yeux remplis d'amour et écoutait ses anecdotes de petit garçon comme si elles étaient des aventures épiques. Quelque chose qu'il n'a pas ressenti depuis l'adolescence, voire plus. Un sentiment de nostalgie qui lui fait monter les larmes aux yeux... mais il se retient de peu.
Vient l'heure des cadeaux. Sans surprise, ce sont Maxwell et ses "neveux" - qu'il appelle plutôt ses cousins - qui reçoivent toute une tonne de jouets. Le cadeau des adultes, c'est surtout de les voir sourire et rire en découvrant ce que leur a apporté Monsieur Breith. Lui qui est désormais "grand" et qui n'était même pas officiellement invité, Oliver ne s'attend pas à recevoir quoi que ce soit, et pourtant... Sa mère attire son attention d'une voix douce et lorsqu'elle se retourne, il découvre qu'elle tient dans ses mains un paquet portant son nom. Hésitant, il avance une main, mais n'ose l'attraper que lorsqu'elle acquiesce. Elle semble si heureuse... il ne sait pas trop à quoi s'attendre, et cette stupide voix de Grimalin à l'arrière de son crâne lui murmure même que ça pourrait être un piège. Il l'ignore, déballe le cadeau et son cœur cesse de battre quand il découvre qui l'attendait à l'intérieur.
C-c'est... Je n'ai jamais eu le cœur à le jeter, tu sais... je l'avais caché dans le grenier et je n'ai jamais eu l'occasion de te le rendre, interrompt sa mère avec un sourire triste qui trahit sa culpabilité.
C'est... Doudou. Le premier du nom. Non pas le Flambino en chair et en os qui l'accompagne depuis le lycée mais celui fait de laine et de chiffon qu'on lui a retiré de force pour être devenu "trop grand". C'en est trop pour Oliver, qui sent le barrage s'effondrer et les larmes couler à flot. Ce n'est pourtant rien, juste une bête peluche abîmée par le temps et de nombreux passages à la machine à laver. Pourtant, dans ses mains, il a l'impression de tenir de l'or. Il ne doit pas avoir l'air très malin, à serrer fort contre son cœur un minuscule lapin aux yeux en boutons, mais il en avait besoin depuis si longtemps. Retrouver Doudou, c'est comme être réuni avec un vieil ami qu'il n'avait pas vu depuis des années, un ami qu'il croyait mort. En retrouvant Doudou, il retrouve une part de lui.
Son regard croise à nouveau celui de sa mère, et cette fois, c'est lui qui la prend dans ses bras, mouillant sa chemise de ses larmes. Il sennt qu'elle aussi commence à pleurer, ce n'est pas vraiment surprenant. Dans ses hoquets, il entend quelques mots :
J-je suis d-désolée, Ollie...
Il reste silencieux pendant un moment. Lui-même a du mal à se calmer. Mais dans un souffle, il parvient à lui répondre.
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