Histoire

Si l’on devait raconter l’histoire d’Aaron Claymore, elle débuterait par celle d’un fils de jeune femme de bonne famille et d’un simple fils d’épicier de Bronswick. Une simple aventure, une bêtise de jeunesse que la jeune femme paye cher, forcée à présent de se marier à ce moins que rien. Jonathan Claymore a beau être un grand charmeur, c’est un raté finit qui fait couler le business de son père dès qu’il en hérite à la mort prématurée de celui-ci. Ce serait trop beau si c’était sa seule tare, il finit alcoolique, joueur de poker maladif et petit malfrat au sein d’une organisation naissante sous le nom de Team Sealg. D’épicier, il passe de braconnier. Constamment absent, il ne revient au foyer que pour gueuler et frapper sur femme et fils.

Arianna Claymore, elle, est une mère froide et distante. Elle n’aime clairement pas son fils, ni les enfants qui viennent après lui. Aaron a gâché sa vie et elle lui fait comprendre dès le plus jeune âge : à peine bébé, elle le pinçait violemment et lui tirait les cheveux au point de le faire brailler de douleur. Elle ne s’occupe que peu de ses enfants, si bien qu’Aaron doit prendre le rôle de parent de la famille avec ses cadets et cadettes très tôt dans sa vie. Ses frères et sœurs sont encore les seuls personnes qu’il affectionne dans cette famille décadente, eux et puis Tante Aliénor, la sœur du géniteur. Elle vient souvent en cachette s’occuper des petits et ramène parfois des cadeaux. Au début, c’était des petites babioles précieuses mais quand elle s’est aperçu que les parents revendaient le tout dans son dos, elle a alors choisi de se rabattre sur du chocolat et des bonbons.

Cette existence bancale s’effondre pourtant lorsque son père ne revient plus à la maison et que sa mère, quelques mois plus tard, n’en fasse de même. Si Jonathan est sans-doute mort à cause de ses magouilles, Arianna a trouvé chaussure à son pied auprès d’un autre homme sans doute fortuné. C’est du moins le scénario que le jeune garçon s’imagine. Aliénor n’est pas au courant, si elle l’avait été, elle aurait sans doute pu empêcher la suite des évènements. Aaron doit voler pour survivre et faute d’être doué dans le domaine, il se fait prendre la main dans le sac. A l’époque, les solutions n’étaient pas multiples, on l’envoie dans ce que l’on appelle une « maison de correction », ou plutôt « bagne pour enfant » si l’on était un peu plus franc. Il perd à jamais de vue ses frères et sœurs, mais pas le temps de se morfondre sur le sujet, il doit maintenant se concentrer sur sa propre survie.

En effet, le bagne ne fait pas de cadeau, violences corporelles en tous genre et guerres intestines y sont monnaie courante. Il réussit à intégrer une bande et lamine autant qu’il se fait laminer, un véritable enfer qui fait apparaître le service militaire comme la délivrance ultime. L’armée a au moins le mérite de lui apprendre l’honneur et la discipline si bien qu’à la fin de cette période, il n’est plus le même jeune homme enragé et insurgé, plus calme et plus posé mais toujours pas enclin à se faire marcher dessus. Il cherche maintenant à prouver sa valeur et quoi de mieux pour cela que de faire le tour des arènes en compagnie de son Monorpale lui-aussi tout droit sorti de l’armée ? C’est sur cette route qu’il fait connaissance avec Helena, une jeune femme révoltée et progressiste. Le début de leur relation est catastrophique, pour Aaron c’est simple : le parcours de dresseur n’est pas fait pour une femme.

Pourtant, ça le peine de devoir l’admettre mais Helena devient sa rivale attitrée. Ça lui racle la gorge de le dire mais elle est bien plus douée que lui. Ils finissent par faire la paix, enfin, il finit surtout par mettre son orgueil de côté et à considérer Helena comme l’exception à la règle. Oui, bon, peut-être, une femme dresseuse, ça peut exister mais faudrait faire attention à ce que ça ne devienne pas un généralité sinon qui va s’occuper des gamins ? Cette réplique, chaque fois qu’il la sort, lui vaut d’abord un poing dans la gueule, puis une simple claque et enfin un regard noir. Helena et Aaron ont honte de l’admettre mais ils sont maintenant plus que des rivaux, plus que des amis même. Ils finissent par se marier à la va-vite quand la jeune femme se rends compte qu’elle est enceinte. Il s’agirait de ne pas faire scandale maintenant qu’ils se sont fait un nom dans le milieu.

Mais alors qu’ils attendent l’arrivée de cet enfant surprise, la guerre d’indépendance éclate et force Aaron à partir au front, accompagné de son fidèle Dimoclès bientôt rejoint par une Riolu avide de sensations fortes. La guerre durera peu, se dit Aaron, il pourra rentrer pour Breith et voir son enfant. Mais la guerre est plus longue et plus cruelle que ne l’aurait pensé le jeune homme. Les horreurs qu’il y voit le marquent profondément et comme si ça ne suffisait pas, une lettre lui annonce qu’Helena a fait une fausse-couche. Malgré ses supplications pour rejoindre sa femme lors d’une permission, il restera au front en maudissant ses supérieurs. A trente-cinq ans, Aaron accueille la paix avec un grand soulagement et voit d’un bon œil le gouvernement en formation. McThistle n’a pas l’air d’un mauvais bougre, enfin, il croit.

Helena ne s’est pas très bien porté en son absence, sa fausse-couche l’a marqué plus qu’elle ne souhaite l’admettre et elle n’a pas besoin de mots pour le faire comprendre à son mari. Aaron lui promet alors de rester auprès d’elle, même si cela veut dire abandonner ses rêves de dresseur. Une bien belle promesse, trahie par la Grande Guerre. Aaron ne comprend pas cette décision de s’engager dans un conflit qui ne regarde pas Keros, c’est avec la plus grande des réticences qu’il obéit à l’appel du tocsin. Si la guerre d’indépendance était une boucherie, il y a peu de mots pour décrire cette guerre-là. Elle hante encore les cauchemars du champion de par son horreur. Cette guerre sans précédent lui fait manquer la naissance de son fils ainé, Walters, aussi bien que les premiers pas du bambin.

Déjà dégouté de ce qu’il a vu au front, Aaron retrouve sa terre natale en proie au deuil et à la pauvreté, dès lors, sa haine contre McThistle ne fera que grandir de jour en jour. A cause de cet homme belliqueux, plusieurs de ses amis sont morts, son esprit est marqué au fer rouge et son propre fils le regarde comme un inconnu. Helena déteste aussi le président, pour d’autres raisons cependant, cette femme libre n’apprécie pas vraiment la voie qu’il fait suivre à Keros. Une source de désaccords dans le couple, certes, mais la haine de McThistle les unit d’une bien drôle de manière. Bon, au moins, pas de troisième guerre de prévue, il peut veiller sur sa famille et continuer sa quête des badges en duo avec son épouse – impossible de dissuader celle-ci.

Dans tout ce chaos naitra un second enfant, Griselda. Dès son plus jeune âge, elle fait preuve de toute l’arrogance de son père et toute la fierté de sa mère. Le temps passe, Helena devient championne d’arène de Bronswick, Aaron n’a jamais été aussi fier de sa femme – même s’il l’envie avec ardeur. Les enfants grandissent et avec l’essor de la team Sealg, le jeune adolescent qu’est Walters décide de s’engager chez les Rangers. Pour être honnête, son père aurait préféré qu’il fasse son service militaire mais Helena lui a cloué le bec encore une fois. Comment dire non à sa tendre épouse ? Le jeune homme parait si épanoui que bien vite, Aaron ne se soucie plus de savoir s’il a fait le bon choix. Griselda, pour sa part, décide de se lancer dans la quête des badges d’arène, à commencer par celui de sa mère. Encore une fois il est contre mais bon, Helena a le dernier mot. Quelle femme…

Tout va pour le mieux jusqu’à 1959. Une lettre arrive à la maison pour les prévenir du pire. Walters a trouvé la mort lors d’une mission contre les Sealgs qui s’est avérée plus complexe et dangereuse que prévu. Si l’organisation criminelle récolte toute la haine du père de famille, il ne pardonne pas non-plus aux Rangers leur incompétence. Il essaye de garder la tête haute mais voit bien qu’Helena sombre de plus en plus dans sa souffrance. Peu éduqué sur la question de la dépression – vu l’époque, ce n’est clairement pas étonnant, il se retrouve complètement dépourvu et toutes ses tentatives de rendre à sa femme son beau sourire se finissent par des échecs cuisants, parfois même des disputes violentes. Ses inquiétudes partent en crescendo et malgré sa vigilance, il ne peut empêcher le pire.

Encore aujourd’hui, il se maudit d’avoir gardé ce pistolet en souvenir de la Grande Guerre. Elle ne lui a laissé qu’une lettre, une lettre qu’il n’a jamais osé ouvrir de peur d’y trouver des reproches. Maintenant, il n’y a plus que lui et Griselda, une adolescente en pleine rébellion, blessée à vif face à un père émotionnellement épuisé et encore dévasté par la mort de sa femme et de son fils. Il faut bien vite qu’il s’affirme, pourtant, la place de champion maintenant vacante lui est attribuée et pour rien au monde il ne l’aurait laissé à quelqu’un d’autre. Helena aurait dû se tenir à sa place, c’est elle qui aurait dû défier les nouveaux arrivants, pas lui ! Aaron Claymore devient alors celui que l’on connaît aujourd’hui, froid, sévère et impassible.

Si compté qu’il ait encore un cœur, il se jure de ne le vouer qu’à sa fille. Tant pis si elle se remplit la tête d’idées fantaisistes, grotesques et parfois honteuses. Tant pis si elle le traite de gros con arriéré de temps à autre. Elle est la seule famille qu’il lui reste et il jure devant Arkée qu’il la protégera quoi qu’il puisse advenir. Attentif envers la jeune femme, voir un peu étouffant, il ne veut pas la voir finir comme sa mère ou son frère et bien qu’elle soit une talentueuse dresseuse, il fait tout pour l’éloigner du chemin de Championne d’arène ou de Ranger. Pour lui, la voir accéder au titre de Championne de Coordination est autant une immense fierté qu’un échec cuisant. Mais il se dit que c’est bien fait pour lui, que quelque part c’est lui qui l’a poussé sur cette voie à vouloir la préserver de tout et de tout le monde.

Les relations entre le père et la fille sont mitigées, parfois excellentes, parfois tendues, surtout en ce qui concerne la politique et cette maudite Meredith Smith. Aaron ne comprend clairement pas la jeunesse Kerosienne, sans Helena pour l’aiguiller, il se retrouve à retomber dans ses vieilles idées moisies et à maudire les jeunes et leur foutu rock'n'roll Unysien. Il voit également d’un œil inquiet la relation que la jeune Griselda entretient avec sa collègue Ryoko Tadashi – une étrangère venue d’une contrée autrefois ennemie en plus. Mais il sait pertinemment que si Griselda venait lui annoncer qu’elle était prête à se marier avec cette femme – un mariage saphiste, que de ridicule - il fermerait sa grande gueule, trop inquiet de perdre sa fille en cas de conflit.

Cependant, il n’est pas un abruti non-plus, il voit bien les magouilles de Griselda pour le rapprocher de cette vieille chouette de Lorren McDermott. « Refais ta vie » dit la jeune femme « va voir du monde, fais-toi des amis », c’est Tadashi qui lui a mit ces idées stupides un peu à l’oriental dans la tête ? Comment peut-il passer à autre chose après tout ce qu’il a vécu ? Oh, bien sûr, Griselda n’en connaît pas la moitié mais le monde l’a suffisamment foutu en l’air pour qu’il n’ait plus envie de se lancer à l’aventure dans l’amour ou même l’amitié. Qui pourrait remplacer Helena de toute façon ?

Non, il préfère encore veiller sur son arène et attendre les challengers avec son stoïcisme habituel. Là, au moins, il est – à peu près – sûr de ne pas se retrouver le cœur brisé une nouvelle fois.