Easter Morane

Histoire

« On raconte que les enfants élevés au lait d'Écrémeuh deviennent des adultes braves et robustes. »

Les Morane sont une famille sans histoire. Une famille d'agriculteurs modestes dont les racines sont fermement ancrées dans les terres des Lowlands depuis aussi longtemps qu'on s'en souvienne. Éleveurs d'Écremeuh de génération en génération, à défaut d'être connus comme des héros, ils ont la réputation de produire le meilleur lait de Glenn.

Easter était le premier né de sa fratrie. Une petite tête blonde qui s'est montré depuis tout petit aussi fort que courageux, peut-être un peu intrépide, voire inconscient pendant certains moments. Un héritier tout trouvé pour la ferme de son père Jeremiah. Un homme strict, sévère et peu affectueux avec ses enfants, mais pas ce qu'on pourrait appeler un mauvais père. Sûrement aurait-il été plus chaleureux si son propre père lui avait montré l'amour qu'il désirait tant.

Très jeune, Easter s'est montré digne d'un bon fermier. Il avait le contact avec les Pokémon, capable de calmer le plus furieux des Tauros en quelques caresses et de faire rentrer dans la grange les bovidés les plus réfractaires. Il a appris à monter à dos de Ponyta alors qu'il marchait à peine et connaissait sur le bout des doigts le nom de tous les Pokémon vivant à Keros avant de savoir compter jusqu'à dix.
C'était bien là le problème.

Easter n'était pas un enfant... scolaire, dira-t-on. Les mathématiques, l'orthographe, les dates historiques... ce genre de choses lui passait loin, loin au dessus du crâne. Les professeurs désespéraient, les camarades se moquaient, et lui-même moisissait dans des salles de cours qui n'étaient manifestement pas faites pour lui. Voir les Wattouat galoper dans les prés alors qu'il était vissé sur une chaise en bois pleine d'échardes, c'était sa définition de la torture.
Alors, à quatorze ans, il a laissé tomber. Il a commencé à sécher les cours pour aider ses parents à la ferme, un loisir et un plaisir pour lui, bien loin des manuels scolaires. Si l'on peut douter de la légalité de sa déscolarisation, personne n'a bronché. Pas l'école, qui ne savait plus quoi faire de ce cas désespéré, pas ses parents, qui étaient ravis d'avoir deux bras forts à leur disposition, et certainement pas Easter lui-même, qui rayonnait à l'idée de se rendre utile.
Il envisageait un bel avenir. Celui de reprendre la ferme, de continuer la lignée des Morane et de rendre fier son père, bien qu'il connaisse assez ce dernier pour savoir que sa reconnaissance serait silencieuse. Easter n'était peut-être pas très malin, mais il savait lire les gens. Jeremiah n'avait pas besoin de sourire pour qu'il comprenne qu'il faisait du bon boulot.

La nouvelle lui est tombé dessus comme une pierre sur les épaules.
Il ne reprendrait pas l'entreprise familiale, son cadet le ferait à sa place. La raison ? On a voulu lui expliquer avec le plus de tendresse possible qu'il n'était pas fait pour les affaires, que ses lacunes en maths le rendraient mauvais pour gérer l'argent, et qu'un propriétaire se devait d'être intelligent. Et peu importe comme on essaya de le rassurer en lui disant qu'il serait le bienvenu de rester comme employé, le mal était fait.
Easter n'était pas malin. C'était un fait et il le savait. Il arrivait à sourire malgré tout, heureux de servir, fier de sa force, mais d'appendre que la chair de sa chair ne pourrait pas accepter sa faiblesse d'esprit ? C'était autre chose. Dès le lendemain, sa détresse était évidente. Il n'était plus que la moitié du jeune homme qu'il était, ça se ressentait dans son travail.

De toute façon, septembre approchait, et le service militaire avec lui. Une bonne occasion de fuir la réalité. Si l'idée lui plaisait ? Pas vraiment. Easter avait toujours été du genre pacifique, à préférer régler les choses à l'amiable. Et s'il manquait de grand vocabulaire pour négocier, sa voix grave et pourtant douce suffisait généralement à faire descendre les conflits.
Lui, avec une arme à la main ? Pire encore, devoir tirer sur des ennemis si une guerre venait à éclater ? L'idée le faisait grimacer, mais il n'avait pas le choix. C'était une évidence à laquelle il s'était fait. Et puis, deux ans, qu'est-ce que c'est dans une vie ?

Et pourquoi pas ranger ?

Une idée lancer vraisemblablement au hasard par sa cadette, Suzy. Il avait beau s'être renfermé, la demoiselle et lui était très proches, d'autant plus depuis qu'il l'avait accompagné à chacun de ses entrainements de dresseuse. Ses hésitations, ses doutes et ses regrets, elle les avait sentis sans qu'il ait à parler.
Ranger, hein ? Selon la blondinette, ils étaient des héros du quotidien, qui protègent les Pokémon et viennent en aide aux personnes en danger. Une idée qu'il n'aurait jamais exploré avant, tant il tenait à sa petite ferme. Mais si on ne voulait plus de lui ici, peut-être qu'à Bronswick...

Quand la secrétaire lui lança un regard aussi étonné qu'admiratif devant sa carrure, il ne put s'empêcher de sourire comme un Caninos devant un bon susucre. Il se sentait déjà le bienvenu, même si la chaise de l'entretien manqua de s'écraser sous sa taille et son poids. Il avait craint que ses lacunes scolaires ne lui valent d'être refusés... semblerait-il que les rangers avaient besoin de muscles, ils trouveraient bien un cerveau pour l'associer avec.

Non, Easter ne brilla pas dans les cours théoriques, frôlant la moyenne négative au mieux, mais se retrouva toujours sauvé de la catastrophe par des résultats excellents dans les cours pratiques et stages. Sa force n'était qu'une petite partie de ses qualités, son amour de Pokémon et sa douceur inattendue étaient ses vrais atouts. Alors, au grand dam du professeur d'étude de terrain, il décrocha son diplôme, sans mention, mais il s'en moquait bien.

S'il avait su, quelques années plus tôt, au bord de la déprime, qu'il trouverait un métier qui lui plairait autant que sa ferme, il ne l'aurait pas cru.

Alors, oui, parfois, la vie d'agriculteur lui manque. Il se surprend à observer des heures durant les Écremeuh qui broutent les prés Glennois. Il s'imagine un jour à la retraite, fonder une nouvelle ferme avec son salaire de ranger et y finir ses jours entouré de bétail comme il l'a toujours été. Il en faudra plus pour renoncer à la vie de ranger, mais c'est une pensée qui ne quitte jamais complètement son esprit. Fermier un jour, fermier toujours...