Apolline Jollière

Histoire

-Tu ne peux pas te lancer dans la politique ! Trouve toi plutôt un mari qui partage tes idées.
-Je le peux, et je te le prouverai !
-Fais donc, tu vas vite te heurter à un mur. J'ai hâte de te voir revenir dans mes jupons, encore une fois.

Maman avait raison. Je me suis pris un mur très épais dans ma nouvelle carrière. Presque personne ne me soutient, ou en tout cas mes soutiens me prennent surtout en pitié. A leurs yeux je ne suis qu'une pauvre jeune femme perdue, qui va bientôt retrouver la voie de Arkée. Mais je sais que c'est mon destin de justement le défendre devant le monde. De moins en moins de jeunes de mon âge se tournent vers la religion, vers les idées du parti Asterien, je ne comprends pas. Est-ce que je m'en éloigne moi aussi en voulant les plaider ? Je sais qu'une femme ne devrait pas participer à la politique, mais je ne peux pas m'en empêcher. Il faut que des figures féminines se hissent aux côtés des hommes pour prouver que le parti Asterien ne profite pas qu'à eux. On nous reproche d'oppresser les femmes, de maintenir des idées rétrogrades, quelle honte vraiment. Je prouverai à tous le bien fondé de ma pensée.

Je sais que papa me soutiendrait si il était encore là. C'est que c'est lui qui m'a élevée à na pas être une gentille petite fille de maison faite pour s'occuper de la cuisine et des enfants. A vrai dire je sais à peine cuisiner, quand aux enfants... Il faudra que j'en ai un jour, néanmoins plus ce sera tard, mieux ce sera. Bref, ce n'est pas le sujet. Il faut peut-être que j'explique comment j'en suis arrivée là, pourquoi je n'écoute pas les conseils de ma mère ou le reste de ma famille.

Déjà, c'est important de savoir que j'ai grandi à Almia, très loin d'ici. Selon ma mère nous sommes de descendants de l'ancienne famille royale de là-bas, mais je ne l'ai jamais crue. Je sais qu'elle a toujours rêvé de grandeur et noblesse au lieu de vivre dans un minuscule campement au milieu du froid. Elle était jeune, amoureuse, elle a alors suivi son mari, puis je suis née. J'ai grandi dans le neige, habituée dès toute petite aux températures glaciales et conditions climatiques extrêmes. On se chauffait au bois ou grâce aux pokemon, enroulés dans des parkas rembourrées dix fois. Forcément, ça forge le caractère. Tous les enfants - peu nombreux - du camp étaient des gamins terribles, moi y compris. Maman n'a jamais réussi à faire de moi une jolie petite fille, de toute façon on ne vivait pas dans le bon environnement pour ça. Pourquoi étions-nous là ? Pour des recherches ! Les chercheurs et chercheuses du camp étudiaient les pokemon locaux, en particulier les pingoléon qui nous aidaient souvent à repousser d'autres pokemon sauvages. Ces scientifiques avaient aussi pour mission de protéger la faune locale, bien que des rangers venaient régulièrement en cas d'incident.

C'est mon père qui m'a transmit la passion de la recherche, d'explorer les lieux et apprendre à connaître son environnement, les créatures qui y vivent. Aujourd'hui encore je tiens un carnet de route sur les pokemon. Oui, la politique n'est pas le seul domaine où j'espère me faire un nom. J'avais beaucoup d'admiration pour papa et ses collègues, j'en ai aussi énormément pour le professeur Chardon ici à Keros. Je suis certaine que mes connaissances, mes observations permettront des découvertes importantes. Encore une fois une chose qui déplaît à ma mère. Elle était horrifiée à chaque fois que mon père m'emmenait hors du camp voir les pokemon sauvages. D'ailleurs c'est lors d'une de ces sorties que j'ai rencontré Almia. Un lokhlass déjà adulte à l'époque, qui avait visiblement perdu son groupe. Malgré des fouilles on n'a jamais pu retrouver le groupe en question, alors je l'ai gardée ! Devinez qui a hurlé à cette nouvelle ? Oui, maman, comme toujours.

Je la charrie mais je l'aime profondément vous savez, c'est juste que nos idéaux entrent en collision souvent. Nous n'avions que l'une et l'autre lorsque papa est mort de froid après être tombé à l'eau. Des pingoléon nous ont justement ramené son corps.

-Ça suffit maintenant, partons d'ici avant qu'il n'arrive un autre malheur !

Maman a décidé ça juste après la tragédie. Entre moi l'adolescente terrible et mon tout jeune frère, elle avait peur pour nous. Alors nous sommes partis du camp, sur le coup j'ai totalement approuvé. J'étais traumatisée par la perte de mon père, moi aussi j'avais peur. Je me suis cachée dans les jupons de ma mère sans rien dire quand elle nous a emmenés à Keros, là où vivait le reste de la famille maternelle. Un changement brutal, heureusement j'avais déjà un peu appris la langue natale. Maman y a tenu, ce qui a permis que je m'adapte vite dans ma nouvelle école pour jeunes filles. Oui, une école uniquement pour filles, elle ne voulait pas que j'approche les garçons à mon âge. Si elle avait réfléchi un peu elle ne m'aurait pas envoyée dans une école avec des professeurs presque exclusivement masculins.

(tw : mention de pédophilie dans ce paragraphe) On trouve toujours étrange que je défende le parti Asterien quand je raconte cet épisode. On me dit que je défends des violeurs, des pédophiles, et autres criminels. Peut-être qu'ils ont raison ceux qui disent ça mais... Tous les hommes ne sont pas ainsi. Cependant c'est vrai que les professeurs de mon école l'étaient. Tout le monde trouvait ça bizarre qu'ils nous approchent d'un peu trop près, qu'une main glisse sur nos fesses ou nos seins en plein développement. Mais comme ça restait de petits gestes, qu'aucun adulte ne disait rien, alors les enfants non plus n'ont rien dit à leurs parents. Pas non plus lorsque c'est allé plus loin. Je sais que d'autres filles de ma classe se sont faites coincées après les cours comme moi, sous prétexte que le professeur voulait nous parler. J'ai bien vu aussi la seule prof femme détourner les yeux quand c'est arrivé. Alors moi je n'ai pas laissé faire, j'ai tout dit à ma mère. Elle m'a supplié de ne pas faire un scandale, de laisser l'école tranquille, et m'a juste changée d'établissement. Quand j'y repense ça me hérisse qu'elle n'ait rien fait. Et moi ? J'étais trop jeune, personne ne m'aurait écoutée.

Enfin, du coup j'ai fini ma scolarité dans une école normale. Autant dire que je ne faisais plus confiance aux adultes, ni aux garçons tout court en fait. Il m'a fallu un peu de temps pour accepter d'avoir des "amis" masculins. Le mot est fort, je n'aime toujours pas les garçons - mais ça doit être parce que je n'ai pas trouvé la perle rare. Le prince charmant. Je roule un peu des yeux quand mes amies en parle, je n'y crois pas vraiment.

Du coup comment m'est venue l'idée de la politique ? J'aime dire que c'est une révélation envoyée par Arkée, forcément la plupart n'y croient pas. Pourtant c'est vrai, c'est en priant que j'ai eu l'illumination. Je le prends comme un devoir de ramener la jeunesse sur le droit chemin. Contrairement à ce qu'on pourrait croire cependant je n'ai rien contre les Galliens ou leur cheffe de file, Meredith. J'ai lu son livre d'ailleurs, il contient quelques bonnes idées, je reproche en revanche la violence. Meredith Smith est une figure avec laquelle j'adorerais parler un jour, je suis certaine qu'on s'entendrait bien. On pourrait débattre tranquillement, du moins je crois, si j'arrive à ne pas m'énerver trop vite.

Apolline Jollière c'est mon nom. Une future figure politique importante, aux côtés de monsieur McThistle. J'espère qu'on reconnaîtra bientôt mon visage dans les rues - c'est déjà un peu le cas, pas forcément pour de bonnes raisons souvent. Sont-ce mes cheveux bleus ou mes yeux dorés qui restent en mémoire ? Aucune idée.