Quelque chose de persistant l'a poussé à sortir. Malgré les suppliques de Sol pour rester à l'intérieur et attendre que ça passe, malgré les piaillements affolés de ses oiseaux et malgré son propre bon sens.
Camil est sorti, prétendant simplement vérifier que tout allait bien. Il est sorti, comme attiré par le brouillard. Pour avoir vécu à Doon, pour avoir été présent lorsque les enfants ont été enlevés par des spectres, Camil sait que c'est tout sauf une bonne idée.

Pourtant, c'est poussé par une compulsion, fasciné, qu'il quitte la sécurité de la roulotte pour pénétrer le brouillard.
C'est la pire nuit pour faire ça. Le pire moment pour jouer aux curieux et pourtant-... Pourtant il y va. Quelque chose l'appelle.

Le constat n'a rien de rassurant.

Si quelque chose l'attire dans le brouillard de telle sorte à ce que même son esprit soit embrumé et que ses pensées soient loin d'être rationnelles, il devrait rebrousser chemin tant qu'il est encore temps. Ecouter la voix de Sol, suivre les miaulements de Beth pour rentrer à la maison là où on l'attend vraiment.
Mais s'il pouvait être rationnel, s'il pouvait réfléchir clairement, alors certainement, il ne serait pas sorti du tout. A la place, il s'est couvert pour l'occasion, a enfoui son visage dans une épaisse écharpé et a récupéré l'un des cristaux de protection de Sol pour le rassurer. Avant de finalement se laisser happer par la brume.

Là bas, il y fait froid, c'est silencieux et calme. Un peu trop, c'est presque morbide.

C'est familier.
Reposant.
Trop.

Une part de son esprit, encore un minimum lucide, n'est pas rassurée à l'idée qu'il se sente comme chez lui dans un tel environnement. La brume est si épaisse qu'on n'y voit pas à plus de deux pas. Aucun bruit ne lui parvient désormais plus. Il se sent-... Engourdi, étrangement paisible, comme s'il retrouvait des abysses qu'il avait quitté et qui attendaient impatiemment sa venue. Pour l'enlacer. Lui offrir le repos qu'il a si longtemps attendu...

Oh...

Il ne devrait pas rester ici.

C'est rattrapé par son instinct de préservation que Camil s'ébroue, repousse l'impression que le froid est un foyer sûr. Il-... Ne devrait décidément pas rester là. La compulsion l'ayant poussé à quitter la roulotte s'est affaibli et si une part plus morbide de son esprit lui souffle insidieuse de se laisser aller à l'étreinte engourdissante du brouillard, il ne s'y résout pas.

On l'attend.
Il doit rentrer.

Alors il tourne les talons, songe un instant qu'il ne peut pas se repérer dans un tel fog et repousse ses craintes. Au pire, il lui faudra juste trouver un abri pour la nuit et attendre un lendemain plus clément pour rebrousser chemin.
C'est une idée, une qui se brise instantanément alors qu'il perçoit un bruit.

Le frisson qui lui parcourt l'échine en cet instant précis n'est pas du à la température ambiante. Camil écarquille les yeux, se fige et attends. Concentré, il tend l'oreille pour s'assurer qu'il n'a pas rêvé. Mais les piaillements plaintifs s'élèvent de nouveau et lui font l'effet d'une douche froide.

« Ulysse ? »

Sa voix enrouée se casse au milieu du mot qui se finit dans un murmure. Ce n'est pas possible. Camil tente de se raisonner : aucun de ses poussins ne sortiraient par ce temps, Sol ne les laisserait pas faire-... Probablement. Et si par malheur, le voyant manquait de vigilance, alors la Cornèbre ne manquerait pas de s'interposer pour les en empêcher.
Alors vraiment, il n'y a pas de quoi paniquer : ce n'est pas l'un des siens qui se retrouve dehors dans ce genre de climat. Il peut respirer.

Mais il ne respire pas.

Camil reste figé, incapable de reprendre sa marche et son plan initial. S'il se persuade qu'il n'a pas à s'inquiéter pour ses moineaux, et que ceux qui ne sont pas à lui ne sont pas son problème, le vagabond a des scrupules.
Il ne veut pas devenir SPP, mais-.. S'il n'agit pas-...

Mais, si en revanche, il agit, les chances de se perdre pour de vrai dans le brouillard deviennent conséquentes.
Alors il prend sa décision. Réajustant son écharpe puis le col de sa veste, armé du cristal de protection dans sa poche, Camil se dirige vers la source des plaintes. Dans sa tête, mille arguments tournent et retournent pour le dissuader de continuer ou au contraire, pour l'encourager dans sa noble quête. Mais le bougre persiste bel et bien : le brouillard fait peut être peur, mais oh, il a survécu à tellement pire...

Si Camil est soulagé de ne pas reconnaître son protégé au plumage rose, il n'en est pas moins perplexe lorsqu'il devine tout de même la silhouette d'un moineau au sol. A mesure qu'il s'approche, les piaillements se font de plus en plus sonores et de plus en plus erratiques, à tel point que le vagabond finit par douter s'arrêter.
Un peu penaud, il fait même un pas en arrière lorsqu'il se rend compte que, peut-être... Peut être est-il la cause de la panique du poussin ? Si son esprit à lui est plus inquiet de la brume qui les encercle, il peut aisément imaginer que un géant s'approchait de lui dans de telles conditions, il n'en mènerait pas large non plus.

Alors Camil inspire, inspecte les alentours du regard sans vraiment rien distinguer de bien utile. Sa vision est bloquée, mais il peut tout de même deviner que quelque chose ne va pas. Dans la forêt Eagal, l'oeuf de Natu avait un gardien. Il y avait des arbres autour, de ceux qui témoignent de la présence d'oiseaux. On ne retrouve pas un bébé pokemon comme ça, sans parent, sans protecteur, encore moins au milieu de la ville-...

Ah, mais pourtant, c'est comme ça que Sol a adopté Chancla...

Alors, bien que toujours perplexe, Camil s'ébranle. A mesure qu'il s'approche du bébé, sa voix s'élève comme un murmure pour le rassurer et il se baisse doucement à chaque pas pour finir à genoux devant le moineau.
Ce dernier n'a pas bougé, trop jeune pour voler, probablement trop apeuré pour courir comme le ferait Ulysse. Camil a le temps de l'inspecter rapidement. S'il n'est pas vétérinaire, il devine vaguement que le poussin va bien, se met en tête de le prendre avec lui et de le ramener à la roulotte pour qu'il puisse au moins passer la nuit dans de meilleures conditions climatiques.

Doucement, avec le plus grand soin et des gestes lents, il retire l'écharpe de son cou pour venir protéger l'Etourmi du froid. Ce n'est pas sans mal, car la bête ne fait pas que gigoter et lorsque ses doigts passent à portée de bec, elle s'empresse de le picorer pour le dissuader de faire ce qu'il veut faire.
Mais il en faudrait plus pour le décourager, et à force de patience, Camil finit par récupérer l'oisillon emmitouflé dans ses bras. Durant l'opération, il n'a eut de cesse de tenter de l'apaiser, et si le poussin a l'air de s'être calmé, il n'a pas non plus l'air extrêmement serein.

Tant qu'il n'essaie pas d'encore le picorer, ils peuvent faire fonctionner l'affaire.

Alors Camil se retourne, pince des lèvres et soupire. Il n'est pas certain de retrouver la roulotte dans ses conditions, mais il se met tout de même en marche vers la direction qu'il estime être la plus correcte.
S'ils ne la trouvent pas, le vagabond ose espérer qu'ils trouveront au moins un endroit pour se mettre à l'abri le temps que la nuit passe.

Les choses semblent se calmer avec son protégé, et Camil soupire, un peu soulagé. Ils ne sont pas tirés d'affaire, mais si au moins il peut compter sur le poussin pour ne pas faire de bêtises, alors c'est déjà ça, et il peut se concentrer sur leur trouver un abri.

C'est qu'il ne faudrait pas tarder.
Sans son écharpe, il frissonne de plus belle.

Et puis il se fige.
Il lui faut un instant pour comprendre que le hurlement qui déchire la brume ne vient pas d'ailleurs que de l'oisillon dans ses bras. Le cri le fait pâlir. Un instant, un bref instant, il n'est même pas sûr et certain qu'il s'agisse de celui d'un Etourmi. Son imagination s'envole et lorsqu'il baisse les yeux vers son protégé, il s'attend presque à découvrir à la place un Zorua ou un Grimalin prêt à lui déchiqueter le visage.
Mais non, il s'agit toujours du même Etourmi. Et il n'a pas le temps d'en être rassuré qu'un nuage noir, fait de plumes et de becs fond sur lui.

Incapable de crier – à quoi bon, personne ne l'entendrait – Camil fait quelques pas en arrière mais est rapidement déséquilibré. Entre les battements d'ailes, la peur et l'angoisse d'une situation nouvelle, le bougre chute sur son séant, et si son premier réflexe est de couvrir le poussin dans son écharpe de son corps, le deuxième est de lever ses bras pour protéger sa tête.
Est-ce là sa punition pour ne pas avoir écouté le voyant ? Va-t-il finir déchiqueter et picorer à mort par une horde de moineaux ? Quelle ironie.

Pourtant, rien ne vient. Rien de violent tout du moins. Lorsqu'il relève un regard perdu autour de lui, tous les moineaux l'encerclent, mais aucun d'eux ne semble disposer à l'attaquer. Ce n'est pas pour autant qu'il ne sursaute pas dès qu'il sent l'un d'eux se poser sur lui.
C'est trop de contact et Camil se sent suffoquer un instant. La peur aux tripes, il déglutit difficilement et se couvre les oreilles des mains lorsqu'on les lui picore. Ce n'est pas agressif, mais ce n'est pas agréable pour autant.

Perdu au milieu du brouillard, recouvert de boules de plumes, Camil hoquète. Aucune larme ne sort mais Arceus sait que son cœur bat à tout rompre et que l'envie de se rouler en position foetale est forte. Mais même s'il le veut, ainsi recouvert, il en serait bien incapable sans écraser l'un des oiseaux.
Alors Camil renifle dans le vide, réajuste sa prise sur son petit paquet – qui se retrouve être un privilégié parmi les autres – et se redresse maladroitement.

« Qu'est ce que vous voulez ? » murmure-t-il bêtement. Ce ne serait pourtant pas la première fois que des pokemons lui répondraient, ne serait-ce que par des gestes et des genres de charades. Et puis Camil en est persuadé : ce qu'il se passe n'est pas normal. Sont-ils vraiment en période de migration pour se retrouver avec autant de moineaux à Peridot ? Et en pleine nuit, ne devraient-ils pas dormir ?
Il n'est pas ornythologue, et peut être que les superstitions de Sol ont déteint sur lui, mais Camil n'est pas rassuré. Il n'est pas rassuré, et s'il sait qu'il serait cruel d'abandonner son paquet sur le sol et de s'enfuir en courant, il ne peut s'y résoudre.

Est ce-... Qu'ils comptent sur lui ?