Moon Children [solo]

   

Moon Children

Dés que j'ai eut les deux petites entre mes bras, j'ai tout de suite su qu'Hécate serait ma successeuse. Son aura me l'a dicté, elle était froide comme la nouvelle lune noire à laquelle elle doit son nom. Séléné, à l'inverse, était trop douce, si je devais trouver mes mots, je dirais qu'elle tiens de sa grand-mère maternelle, j'entends pas là Peggy Cornwall. Elle a d'ailleurs très vite trouvé un intérêt pour les plantes et le bien-être des pokémons. Elle sourit beaucoup, joue avec les spectres comme je le faisait à son âge et ne semble pas pouvoir faire de mal à un Bombydou. Hécate, à l'inverse, partage la haine du sang qui coule dans ses veines. Hécate n'a que quatorze ans mais elle n'est déjà plus une enfant. Je ne penserais pas que cela me chagrinerait autant mais peut-être est-ce normal pour une mère.

Nous avons été beaucoup surpris d'apprendre que ce serait des jumeaux. Avant même l'échographie, Ruby me l'avait apprit avec une certaine malice. Morgana était septique au début, la coïncidence était tout de même rocambolesque. Des jumeaux dans la famille Cornwall, encore ? Ma petite sœur n'a jamais douté en mon don à parler aux spectres, mais elle m'a suggéré quel ceux-ci me faisaient collectivement une blague. Mais quand mon ventre a commencé à s'arrondir, ils ont tous dû se rendre à l'évidence. Lady Cornwall accoucherait de deux enfants. Et tout comme sa deuxième mère avant elle, elle accoucherait au sein du manoir, à l'abri des menaces extérieures. Je mentirais si je disait que cette expérience fut agréable. Je pense que toutes les femmes qui furent enceinte avant moi peuvent confirmer que ce n'est pas une expérience facile.

J'ai toujours dis à Hécate et Séléné qu'elles n'avaient pas de père. Ce qui n'est pas entièrement faux, j'ignore le nom de celui-ci et à vrai dire, je n'en ai cure. Je n'aime pas les hommes et je m'en suis rendu compte très tôt dans mon adolescence. Mais comme Châtiment me l'avait expliqué, mon don se transmettrait par le sang et malgré la colère dont mon père a pu faire preuve en apprenant l'affaire, je n'ai eut aucune honte à sélectionner l'homme qui serait le père biologique de mes enfants. Une nuit pénible pour moi, je dois l'avouer. Mais c'était un sacrifice nécessaire pour la famille Cornwall et Père a finit par le comprendre. Même si il pense toujours que je n'étais pas obligée d'aller assez loin.

Cette affaire aurait sans-doute fait scandale dans une toute autre famille que les Cornwall. Mais on ne salit pas le nom des Cornwall et les journalistes savent cela. Ils se taisent par crainte mais je sais que nombreux sont ceux à me mépriser pour cela. Qu'ils me méprisent donc, qu'ils baissent leur garde, j'en sais plus sur eux qu'ils n'en savent sur eux-même. Le dernier sbire qui a osé me traiter de traînée y a laissé la peau. Non, je n'ai pas demandé à Lingtchi de le tuer, j’ignore ce que Blackjack lui a montré mais toujours est-il qu'il s'est donné la mort peu de temps après. J'ai toujours considéré comme une chance ce genre d’événement, que les autres fasse ce que l'on attends d'eux sans que l'on ait à leur demander.

Je regrette de n'avoir pas été assez présente pour mes filles pendant leur enfance mais il fallait que j'obtienne le titre de Lady Cornwall, l'expérience, la reconnaissance et la cruauté qui va avec. Morgana s'est très bien occupé d'elles. Elles n'ont pas souffert de mon absence, l'inverse en revanche, je n'ose l'admettre mais elles m'ont manqués. Dés l'instant où elles sont nées, elles m'ont manqués, comme si j'avais perdu une part de moi. Comme si maintenant qu'elles n'étaient plus à l'abri dans mon ventre, le monde pouvait les corrompre comme il le souhaitait. Je suis heureuse que Séléné ait pu conserver sa douceur malgré l'univers dans lequel elle vit. Hécate en revanche portera très bien le futur titre de Lady Cornwall. J'en ai longuement discuté avec Père et il pense de même. Elle a beau être la cadette, c'est elle qui a la carrure de l'emploi.

Ma chère et pauvre Hécate, j'aurais aimé qu'elle naisse plus douce et plus souriante. Mais elle ne sourit pas. Ou peu. Pas assez à mon goût. La mort et le monde des spectres la fascine déjà, je me souviens encore du jour de ses sept ans où elle m'a ramené un Flabébé mort, accompagnée d'une Séléné pleurant à chaude larmes. Hécate ne pleurait pas, elle paraissait si heureuse de sa trouvaille, j'en aurait presque été effrayée si son aura ne me dictait pas un profond désir de comprendre ce mécanisme, ce mystère qu'est la mort. Hécate est curieuse sur des sujets que certains qualifieraient d'anormaux, je laisse faire, je sais qu'elle n'est pas une détraquée comme Morgana semble le croire le jour où elle m'a confié ses craintes. Hécate adore sa famille, surtout Séléné. Tout comme moi, elle tuerait pour les Cornwall. Elle tuerait sans une once de remord pour sa sœur. Quel droit ai-je de la juger, moi qui fait de même régulièrement ?

Mes filles me voient comme une sorte de déesse, une femme de pouvoir mystifiée qui commande aux spectres comme aux mortels. Je n'aime pas cela, car l'adoration ne vient que rarement avec l'affection. Je tente chaque jour de leur prouver que je ne suis pas la divinité qu'elles imaginent. Quelle divinité serre ses enfants contre elle et vient leur raconter des histoires le soir pour qu'elles s'endorment ? Je ne suis pas encore très douée pour le rôle de mère mais je fais de mon mieux pour être la figure douce et protectrice dont elles ont besoin. Même si je jalouse souvent Morgana, car elle a obtenu ce titre bien plus aisément. Je sais qu'elle aime me taquiner à ce sujet et je n'ose pas lui dire que cela me vexe profondément. Ce serait admettre la vérité. Je suis une mauvaise mère.

Quand je pense que les De Montgomery m'ont envoyé des propositions de fiançailles entre nos progénitures, j'en ris encore. Pensent-ils vraiment pouvoir faire table-rase du passé si aisément ? J'ai leur sang sur les mains et je m'en délecte chaque jour en y pensant, nos familles ne se lieront pas. Du moins pas de mon vivant. Hécate trouvera peut-être judicieux de procéder différemment, elle n'a pas grandit avec la haine de cette maudite famille. Chaque jour, ma curiosité grandit à l'idée de savoir quelle genre de cheffe de famille elle sera. Mon père ressentait-il la même chose à mon égard ? Je pense plutôt que c'était de la crainte et de la tristesse qu'il ressentait. Mais il n'en reste pas moins satisfait de mon 'règne', les pokémons sont bien traités et j'ai mené mes études de médecine à merveille. Il est fier de moi et j'en suis très heureuse.

Mais comme lui avant moi, la solitude me hantes. Mes filles si proches de moi sont pourtant si loin de mon cœur. Morgan et Morgana grandissent et je ne l'ai pas vu venir, pas si vite. Mes parents vieillissent et bientôt, je sens que je devrais fleurir leur tombe à Soraid. Et je suis seule dans ce monde qui change plus vite que la musique. J'ai revu Molly à quelques reprises, ma colère contre elle s'était apaisé et elle m'a pardonné, m'a même accordé quelques nuits à ses cotés mais je n'ose lui demander plus. Le monde de la pègre n'est pas fait pour tous. Je ne veux pas la briser comme mon père a lui-même été brisé en devenant un Sealg. Je m'enferme dans le mensonge, je joue un rôle avec elle. Le rôle d'une Lady cultivée et saphiste, libre d'esprit. Si elle savait, elle me détesterait sans doute.

Mais je ne peux m'empêcher de penser que si je me libérais de ces mensonges, si je lui disait la vérité, si nous étions ensemble. Peut-être, juste, peut-être que nous pourrions être heureuses. L'annonce de ses noces prochaines m'a dévasté. Le fils d'un ami de ses parents adoptifs. Elle n'est pas vraiment amoureuse mais veut faire plaisir à ses parents. Puis la vie est plus simple avec un alibi hétérosexuel. J'ai tenté de lui écrire une lettre, de la supplier de changer d'avis, de vivre avec moi et de vivre heureuse en étant elle-même. Mais en ce moment-même, j'en suis réduite à regarder ma page blanche et mon stylo d'un air plein de détresse, j'en ai les larmes aux yeux. Peut-être que je devrais la laisser tranquille après tout, qu'elle vive sa vie en toute sérénité.

Mais je ne suis pas une bonne personne. La lettre lui parviendra sans-doute bientôt. Séléné et Hécate sont déjà impatientes de connaître leur seconde maman. Il me faut juste le courage d'écrire les premiers mots.