La crainte de la guerre est encore pire que la guerre elle-même. [Ft.Ilya Rusalka]

Apprendre à Typhon l'art de la photographie est aussi difficile que l'avait prévu Zahra. Comme prévu, ce sont ses sursauts d'humeur qui nuisent à son travail, il s'attaque parfois sans raison aux pokémons qu'il est censé photographier alors elle le rappelle à l'ordre. Et quand ça ne marche pas, il retourne dans sa pokéball. Mais aujourd'hui, il est particulièrement sage est concentré, il a apprit à manipuler un appareil photo avec brio, il ne lui manque plus que de savoir prendre de beaux clichés. Comme tous débutant qui se respecte, il a commencé en photographiant ses pieds. Ce qui est assez drôle en soi. Mais aujourd'hui, on part sur quelque chose de plus complexe : aller prendre des Funécire en photo.

Il n'y en a pas beaucoup à Doon, des Funécire, c'est donc un test de patience en quelque sorte. Mais aussi une facilité : de tout Doon, ce sont les pokémons les moins rapides et donc les plus faciles à prendre en photo. Avec un peu de chance, ils trouveront peut-être un chromatique, qui sait ! Au moins, elle n'est plus embêtée par les brutes du lycée des garçons ni par les poufs du lycée des filles, à croire qu'ils se sont passés le mot pour dire qu'elle était une combattante. Ça et Typhon le géant qui intimide un peu tout le monde. C'est mieux comme ça, ils ont plus de chances de trouver des Funécire dans des rues désertes.

Ils ont remportés trois clichés déjà. Oh, ils ont croisés plus de Funécire que ça mais Typhon n'est pas encore assez discret pour ne pas les faire fuir. Ça viendra, qu'elle lui assure pour le consoler. Et en effet, ça vient petit à petit, il apprends à faire moins de bruit en marchant, à aller doucement, à se concentrer pour trouver le bon angle. Et comme espéré par Zahra, ils ont eut la chance de trouver un petit Funécire à la flamme bleutée, une vraie chance ! Sauf qu'au moment même où le Typhlosion allait prendre sa photo, des bruits de pas se font entendre et le petit spectre disparaît. Zahra se retourne, furieuse, prêt à engueuler quiconque à foutu sa photo en l'air mais elle a presque un hoquet de surprise en reconnaissant l'inconnu.

Ilya Rusalka. Le Tsar des pédales comme tout le monde l'appelle. Il n'a pas très bien l'air de comprendre qu'il vient de foutre en l'air la photo de sa camarade. Mais il n'a pas l'air dans son assiette et elle n'a pas le cœur à l'engueuler. Typhon grogne un peu, mais une main doucement posée sur son bras suffit à le calmer. Elle attends qu'Ilya s'explique, parce qu'on dirait vraiment qu'il cherche quelque chose. À voir le regard de son œil restant, c'est bien elle qu'il cherchait en particulier.

Ilya, Zahra l'aime bien, parce qu'il a rejeté tout ce qui constituait le coté arriéré de Strana. Il s'est débarrassé de la couronne et en plus, il assume sa différence. Et d'après ce qu'elle a entendu, il sait se défendre, le gaillard ! Ces temps-ci, il a souvent l'air triste par contre. Elle se demande pourquoi venir la chercher, elle en particulier. Alors elle reste immobile avec son assistant photographe. Après quelque minutes à regarder ses pieds, le Stranaïte relève la tête et demande d'une voix un peu morne :

Zahra ? On...On peut parler ?J'ai besoin de te demander quelque chose, c'est important. Il remarque rapidement l'appareil photo de Typhon et comprends son erreur, il secoue la tête. Désolé si...Si je t’interrompt dans ton travail.

Zahra hausse les épaules, elle reste pragmatique. Ils en trouveront bien d'autres, des Funécire chromatiques, alors elle suit l'ancien Tsarévitch et s'assit à ses cotés sur un banc public, Typhon prenant la place restante du banc. Elle se demande bien ce qui peut être aussi important que ça. Surtout qu'il tire une de ses gueule, l'Ilya... Elle espère que ce n'est pas trop grave.

Zahra comprends un peu mieux pourquoi Ilya est tendu comme la corde d'un arc. La guerre n'est pas un sujet facile et il en a honte. Elle mentirait si elle disait ne pas culpabiliser des fois mais c'est plus facile quand on ne se souvient presque de rien. En plus de tout ça, il veut en parler à celui dont il est tombé amoureux. Un certain Dixon selon les rumeurs, mais Zahra ne prête pas trop attentions aux rumeurs. À Doon, elles ont le don de raconter un peu tout et n'importe quoi.

La Sabatéenne n'a pas grand chose à dire au Stranaïte. Enfin, si. Mais ça risque de ne pas lui plaire, tant-pis, elle a toujours été franche, ce n'est pas aujourd'hui que ça changera.

Écoute, Ilya. Si il ne peut pas t'accepter tel que tu es... C'est peut-être mieux que vous ne soyez jamais ensemble.

Pour elle, c'est une solution logique. Peut-être horrible mais logique. Oui, c'est peut-être mieux que l'amoureux d'Ilya le rejette plutôt que de se forcer à l'accepter. Ou bien... Peut-être que Zahra pourrait rendre service mais elle ne sait pas si elle est bien placée pour ça. Après tout, ce Dixon, elle ne l'a rencontré qu'une fois et c'était pour le sauver d'un pokémon enragé et de ses connards de dresseurs. Mais qui ne tente rien n'a rien.

Je pourrais... Préparer le terrain, si tu veux. Lance-t-elle, hésitante.

Ilya reste un long moment silencieux, il semble peser le pour et le contre mais quelque chose semble le tarauder, quelque chose qu'il n'a pas encore dit. Quand il ose enfin ouvrir la bouche, c'est pour murmurer un minuscule :

Je ne sais pas si je le mérite...

Zahra fronce les sourcils. Que veut-il dire par cela ? Qu'il ne mérite pas son aide ? Qu'il ne mérite pas le bonheur ? Qu'il ne mérite pas de vivre en paix ? Tout ça parce qu'il a tué pendant la guerre ? Mais bon sang, ce n'est pas comme si il était un psychopathe avide de sang ! Il est juste comme ce que Zahra a été avant lui : instable, violent et fragile. Ça ne veut pas dire que son cas est sans espoirs. Le professeur Baobab l'a bien prouvé non ? Et Typhon est une autre preuve de ce constat : tout le monde a le droit à une deuxième chance.

Espèce de Marcacrin ! Évidemment que tu le mérite ! Tu penses quoi ? Qu'on a pas le droit d'avoir une vie normale après être nés dans un pays en guerre ? Mais Ilya, c'est pas de ta faute toute cette merde ! Tu as buté pour survivre et pourquoi ? Parce que des gens voulaient ta peau, c'est tout.

Elle s'énerve un peu. Parce que ça touche à ce qu'elle croit profondément, à ce que le professeur Baobab est convaincu aussi : ce n'est pas en laissant tomber une jeunesse qui a subit des horreurs que l'on fonde un avenir solide. Il en va de même pour Ilya. Ce dernier, d'ailleurs, n'en mène pas large. Il se mords le bout du pouce et reste silencieux. Après un bon moment, Zahra soupire. Elle décide d'aller droit au but.

Écoute. On peut pas s'en sortir sans avoir d'objectif. Moi j'ai réussi à me tirer de là parce que mon but c'est de devenir prof pokémon. Qu'est-ce que tu veux faire de ta vie, toi ?

Zahra se fâche, Zahra se lève et tape du pied par terre. Typhon la regarde, intrigué. Devrait-il s'énerver aussi ? Ça a plutôt l'air d'être une affaire entre humains et il n'a pas de pokémons à combattre donc il laisse passer. C'est sa dresseuse qui gère la situation mais si jamais le blondinet venait à s'en prendre à elle, il irait dire bonjour aux spectres de Doon en tant que l'un d'entre eux.

Bon à rien ? Excuses-moi ? Ce n'est pas toi qui a gagné le prix du concours de coordination de la Saint-Valentin de cette année ? Tous les orphelins en parlent encore !

Ilya reste silencieux, il baisse la tête. Impossible pour la jeune fille de lire dans son esprit mais elle a clairement l'impression que ça ne veut plus dire grand chose pour lui. Elle tchipe encore, tourne en ronds puis finit par s'arrêter devant Ilya. Elle est sérieuse, très sérieuse et ce qu'elle dit fait froncer les sourcils au Stranaïte.

Très bien, tu as un pokémon sur toi ? Ilya acquiesce bêtement, sans comprendre de quoi il en retourne. Et bien montres-moi ce que tu sais faire en coordination, on va voir si t'es vraiment un bon à rien !

Ilya est mal à l'aise. Ça fait longtemps qu'il n'a pas dansé, qu'il n'a montré à personne ses séances de coordination clandestines dans la forêt Eagal. Ça fait longtemps que cette routine d'entraînement s'est arrêté et il a peur d'être un peu rouillé mais un coup d'oeil à la jeune fille suffit à le convaincre d'une chose : elle ne lâchera pas le morceau avant d'avoir vu ce qu'il sait faire. Ilya essaye de trouver une excuse pour ne pas se produire devant elle et...Tous les regards indiscrets qui passeraient par là. Et une excuse, il pense en avoir une bonne.

Ça rendrait Typhon nerveux si je sors Zaria.

Il a un petit sourire presque triomphal qui s'évanouit quand la jeune fille vient directement discuter de l'affaire avec son pokémon. Typhon comprends, il hoche la tête, il a même l'air curieux. Des humains qui dansent avec des pokémons ? Il n'a jamais vu ça, ça l'intéresse beaucoup. Lui qui a tellement à apprendre sur ce nouveau monde dans lequel il vit à présent.

Tu vois ? Il est d'accords ! Alors montres !

Ilya grimace en se levant du banc, il fait quelques pas en avant tandis que Zahra vient s'asseoir sur le banc, coté public. Elle attends le spectacle. Et elle a hâte de pouvoir jeter à la figure de cet idiot qu'il se sous-estime. Car si deux champions de coordination l'ont reconnus comme talentueux, ce n'est pas du flan. D'ailleurs, elle est curieuse de voir qui est cette Zaria, la consonance avec son propre prénom la fait sourire. Alors quand il sort de sa pokéball un magnifique pokémon dont Zahra ne connaît pas le nom, elle s'empresse de prendre quelques photos. Puis elle plonge sa main dans son sac pour en tirer l'un de ses livres et le feuilleter à toute vitesse. Rapidement, elle trouve ce qu'elle cherchait.

Togekiss. On dit que ce Pokémon dispense ses bienfaits, ce qui explique pourquoi il est représenté sur les porte-bonheurs depuis fort longtemps. Il n'apparaît jamais là où il y a du conflit. Ses apparitions se font de plus en plus rares, ces derniers temps. Bordel, normalement, le plus petit spécimen mesure un mètre vingt. Où t'en a trouvé un aussi minuscule ?

C'est vrai que Zaria est toute petite, elle tient facilement sur l'épaule de son dresseur. Mais elle n'en reste pas moins élégante. Porte-bonheurs, hein ? Ilya n'a pas l'air d'avoir profité de sa chance apparemment, elle se demande quel genre de bienfait lui procure le pokémon. Mais rien qu'à les voir tous les deux, on devine une forte complicité.

C'est à Strana...Enfin, du temps de l'empire, les nobles aimaient posséder des pokémons nains, c'était à la mode. Mais leur santé était très fragile...Enfin, ce n'est pas le cas de Zaria, elle est très résistante.

Ceci explique donc cela. Pauvres pokémons, des élevages sans doute consanguins jusqu'aux yeux. C'est malheureux pour ces pauvres pokémons mais au moins, Zaria a l'air d'avoir une santé normale et reste magnifique. Alors Zahra s'installe bien sur son banc, lance un regard à Typhon pour lui faire comprendre de se tenir tranquille puis fait un geste de la tête à Ilya.

Va-y, commences, je te regarde ! On va bien voir si t'es aussi nul que ce que tu racontes.

Et merde, ça devait bien arriver. Ilya se met à pleurer et Zahra se sent coupable de ne pas pouvoir faire plus pour l'aider. Elle a vraiment trouvé sa prestation jolie, elle n'a pas menti mais Ilya s'en est retourné à se morfondre à propos du garçon qu'il aime. Et Zahra... Ne sait pas comment réagir face à ça. Elle ne se souvient pas avoir été amoureuse un jour alors difficile de donner des conseils quand on y connaît rien.

La seule chose qu'elle peut à peu prêt identifier à son vécu, c'est de vivre uniquement pour une cause et de voir cette cause s'effondrer. Devoir en trouver une autre et continuer à vivre. C'est harassant mais c'est vital. Alors Zahra hésite avant de parler, mais Zahra est franche, comme d'habitude.

Ilya, les gens tombent pour mieux se relever ensuite. Ce n'est pas en étant auprès d'Oliver h24 que tu va te sentir heureux. Puis tu ne sais même pas ce qu'il pense pour l'instant. Elle prends une grande inspiration puis finit par ajouter. Je l'ai croisé, enfin, plutôt défendu d'abrutis qui voulaient lui casser la gueule. Il m'a demandé des nouvelles de toi, ça veut dire qu'il s'inquiète pour toi. C'est bon signe, non ?

Ilya ne se redresse pas, il ne s'arrête pas de pleurer. Zahra connait ce genre de pleurs, c'est l'usure, la fatigue. Le Stranaïte est à bout, il craque. Rien d'étonnant. La Sabatéenne aimerait faire d'avantage mais elle a l'impression d'avoir dit tout ce qu'elle avait à dire. Rien n'a fonctionné, elle n'est pas assez proche de lui pour vraiment le consoler. Et il semblerait que le pauvre Ilya n'avait plus qu'Oliver dans son carnet d'adresses.

Il a bien une sœur mais les orphelins se sont passés le mot. C'est un sujet tabou, Ilya s'énerve quand on en parle.

Hé, Ilya... Balance Zahra en tentant le tout pour le tout. Ça te dit qu'on devienne potes ? J'ai besoin d'aide pour certains trucs et toi tu as besoin de ne pas être seul. C'est gagnant-gagnant. Je t'oblige à rien mais je penses que tu as besoin de...

De la grande famille Nightingale ?

...Tu as besoin de nous.

Ilya secoue la tête. À savoir si c'est négatif ou affirmatif, impossible à dire mais le bougre ne s'en remets pas. Zahra lui tapote le dos, il faut juste attendre qu'il vide ses larmes à ce stade. Ça dure quelques minutes avant qu'il ne se relève et essuie son œil unique. Il tremble encore et sa respiration est sifflante, mais il va mieux. Il avait bien besoin de pleurer, d’extérioriser tout ça. Maintenant il regarde Zahra, enfin, il soutient son regard avec difficulté.

Tu as besoin d'aide pour quoi ? Demande-t-il d'une voix tremblante.

Zahra soupire de soulagement, elle n'a pas parlé dans le vide au moins. Et Ilya semble favorable à l'idée de l'aider dans ses recherches, ce qui est une très très bonne chose. Alors elle élabore avec enthousiasme.

J'ai toujours voulu aller prendre des photos dans les mines Muieral. Le problème, outre le fait que l'endroit est sombre comme le trou du cul d'un Ursaring, c'est qu'il grouille de pokémons pas très sympas et qu'on a besoin d'un guide pour s'y rendre. Parce que c'est un putain de labyrinthe. Tout le monde sait que tu connais les mines comme ta poche, on peut discuter de rémunération si tu veux. Je veux juste un guide touristique et toi tu pourras voir si le job de Ranger te plaît vraiment.

Ilya reste pensif un instant, il pèse le pour et le contre. Il réfléchit, se demande si ça vaut le coup puis finalement, il accepte d'un hochement de tête. Il pose tout de même la question qui fâche :

Typhon ne peut pas te protéger dans les mines ?

Zahra réponds du tac au tac.

Il n'a pas le droit de se battre, c'est... Dans notre contrat d'embauche en quelque sorte.

Typhon émets un petit grognement approbateur. Se battre ? Hors de question, il a déjà assez donné comme ça. Son job c'est photographe maintenant, il n'est plus l'esclave des Sealg. Il fait ce qu'il veut de sa vie. Et ce qu'il veut de sa vie, c'est suivre Zahra dans ses aventures et faire de superbes photos.

D'ailleurs, il n'a toujours pas digéré l'histoire du Funécire chromatique. Mais peut-être auront-ils l'occasion d'en voir un dans les mines ? Cette aventure sonne à la fois dangereuse et pleine de promesses.