Soraid est une fête qu'Hilda peine à comprendre. Au fond, elle n'a pas à se plaindre. Elle n'a jamais perdu personne qui lui était cher. Ses parents peuvent crever si ça les amuse, la seule chose qu'elle irait déposer sur leurs tombes si elle apprenait leur mort, c'est un bon gros molard.
Alors pour qu'elle se soit trainée à Galar pour accompagner Gaylord dans son deuil... c'est qu'elle l'aime beaucoup, son pédé de compagnie.

Lui n'a pas autant été épargné par la vie. Ou plutôt, par la mort, puisqu'il a perdu sa mère ainsi qu'une petite sœur alors qu'elle n'était qu'un bébé. Contrairement à la sienne, la mère de l'aristo était une bonne personne, toujours attentive à lui là où son père et son frère le négligeaient au mieux. Sa seule alliée, qui est partie trop tôt.
Il est évident qu'il aime encore profondément sa mère. Quand il en a parlé à son amie, il avait les larmes aux yeux. Pour Soraid, il comptait aller visiter leurs tombes à Winscor et anticipait ce voyage en solitaire. À défaut de pleurer quelqu'un, Hilda pourra au moins tenir compagnie à son frère de cœur.

Bon, pour être honnête... une part d'elle est juste ravie de faire un peu de tourisme. Avec le peu d'argent que recevait sa mère célibataire, elle n'était jamais partie en vacances, encore moins dans une autre région. Du haut de son taxi Corvaillus, elle a regardé les paysages changer comme un Caninos passant sa tête par la fenêtre de la voiture. Une comparaison que Gaylord ne s'est d'ailleurs pas retenu de faire, et qui lui a valu une claque à l'arrière de la tête.
Un début de voyage plutôt joyeux et léger, probablement pour contraster ce qui allait venir.

Une fois le pied posé à Winscor, Gaylord passe de l'amusement à la déprime la plus totale. Son sourire en coin l'a quitté et c'est avec un sérieux qu'elle ne lui connait pas qu'il demande à son amie de l'attendre devant un fleuriste. Il en revient avec un bouquet qui coûte probablement plus qu'un enfant du tiers-monde et pour lequel Hilda se retient fort de se moquer. Il est ridicule. Gaylord, si petit et fragile, essayant de tenir un bouquet presque aussi gros que lui. Elle tient bon. Juste un jour. C'est juste un jour où elle doit tenir son sarcasme en laisse.

Le cimetière est bondé. Comme la plupart des célébrations kerosiennes, Soraid est également fêté par les Galariens. Au milieu de cette foule en larmes, Hilda ne se sent pas à sa place. Elle sent même des regards mauvais en coin, probablement pour sa chevelure roses que certains imaginent colorée, ou pour son port du jean. Pourtant, elle a fait un effort en venant avec un pull noir. Tandis que son ami a le dos tourné, elle ne se gêne pas pour montrer son majeur à ceux qui n'approuvent pas de sa tenue.

Quand elle rejoint Gaylord devant la tombe de sa mère, il est occupé, à quatre pattes, à la désherber. Pour la sépulture d'une noble, elle est dans un piètre état. Semblerait-il que son mari ne s'intéressait pas plus à elle qu'à son utérus. Pauvre femme... sans dire un mot, Hilda imite le jeune homme, qui ne dit rien, mais elle se doute qu'il est reconnaissant. Il n'est juste pas de bonne humeur pour commenter.
Ils n'ont malheureusement pas de quoi retaper la tombe. Mais au moins, elle est débarrassée de la mousse et des mauvaises herbes. L'année prochaine, Hilda lui proposera peut-être de venir avec des éponges et un bon seau d'eau. Ça n'y ferait pas de mal. Enfin, ça ne suffit pas à déranger le deuil de Gaylord. Les fleurs reviennent à sa mère et sa sœur, enterrées ensemble. Il s'agenouille et leur parle pendant ce qui semble être de heures. Hilda l'attend, adossée contre un mur de pierre. Elle n'écoute pas, ce ne sont pas ses soignons.

Enfin, l'aristo finit par se lever. Ses genoux craquent, trahissant sa fragilité, ce qui arrache un petit rire porcin à Hilda. Elle s'étire et en profite pour passer un bras autour de l'épaule de son ami.

Bon. C'est pas tout ça mais toutes ces émotions ça m'a donné faim, pas toi ?

Il la fusille du regard, tout comme les autres venus prier. Elle baisse un peu la tête, inconsciente du volume de sa voix. Certes, elle va essayer de faire moins de bruit. Mais elle a vraiment la dalle. Elle a le mérite d'attendre d'être sortie du cimetière avant de reprendre la parole.

J'ai vu un O'Donald's près de la gare ? Ca te dit ? Les potes à l'académie ont dit que c'était génial !

La nouvelle chaine de fast food commence à peine à débarquer à Keros, puisque l'un d'entre eux s'est installé à Pryderi. Malheureusement, l'adolescente n'a jamais au l'occasion d'y manger, c'est une belle opportunité qu'elle a là.
Gaylord, en revanche, ne semble pas ravi quand il constate que le fameux restaurant qui intrigue tant la demoiselle est un vulgaire coin à malbouffe qui pue la graisse et la friture.

T'es sérieuse ? Je mange pas là, c'est de la nourriture de gueux... dit-il avec un air pincé. Il a beau être déshérité, au fond, ça reste un fils de noble.
Eh bien la gueuse elle a faim. Alors tu bouffes ou je prends ta part.

Il semble... convaincu ? Du moins, son estomac grondant lui somme de goûter ce burger ruisselant. Il y plonge les dents avec une mine dégoûtée, mâche... en reprend une bouchée.

Tu vois, c'est pas si dégueu ! rétorque la jeune fille un peu fière d'avoir corrompu "môssieur l'aristocrate".
J'ai faim d'accord ? C'est toujours de la bouffe de gueux.

Et qu'il rouspète et qu'il rouspète. Hilda est ravie de retrouver le Gaylord qu'elle connait, pas celui qui se morfondait devant une pierre tombale plus tôt. Peut-être qu'ils referont la même l'année prochaine. Et la suivante. Peut-être même que le O'Donald's de Soraid deviendra une tradition pour ces deux-là. Qui sait ?